Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
C

CARMI (Maria)

actrice italienne (Florence 1880 - Myrtle Beach, Ca., 1957).

Actrice de théâtre en Italie (avec Bragaglia) et en Allemagne (avec Max Reinhardt), elle apparut à l'écran entre 1912 et 1920 dans quelques films, dont les plus notables sont Das Mirakel (M. Reinhardt, 1912), Eine venezianische Nacht (id., 1913), Perdus dans les ténèbres (N. Martoglio, 1914), Teresa Raquin (id., 1915).

CARNÉ (Marcel)

cinéaste français (Paris 1909 - id. 1996).

Orphelin de mère à cinq ans, son père souvent absent, Carné est élevé librement par une grand-mère et une tante. Après la communale, son père l'envoie dans une école d'apprentissage afin d'en faire un ébéniste comme lui ; puis, devant ses résistances et son peu d'intérêt pour la menuiserie, il lui trouve un emploi dans une compagnie d'assurances. Carné a dix-sept ans. À sa passion pour le cinéma, il en ajoute une nouvelle : le music-hall. Après son travail, il suit aux Arts et Métiers des cours de photographie ; il obtient un diplôme de technicien. L'amitié de Françoise Rosay, rencontrée chez des amis communs, lui permet l'accès des studios : il est assistant de l'opérateur Georges Périnal et bientôt du réalisateur Jacques Feyder, pour le film les Nouveaux Messieurs (1929). Feyder appelé à Hollywood, Carné devient journaliste et critique, à Cinémagazine d'abord, au corporatif Hebdo-Film plus tard. Symptomatiquement, il s'enthousiasme, dès ses premiers textes, pour le cinéma expressionniste allemand (chez Murnau, dit-il, « la caméra est un personnage du drame ») et pour le film policier américain. Avec ses économies et celles d'un camarade, Michel Sanvoisin, il tourne le documentaire poétique Nogent, Eldorado du dimanche (1929). C'est le moment de la « troisième avant-garde ». Le film séduit René Clair ; Carné sera son assistant pour Sous les toits de Paris (1930). Entre 1930 et 1932, sans renoncer au journalisme, Carné tourne de petits films publicitaires en collaboration avec Paul Grimault et Jean Aurenche. Il assiste ensuite Feyder, rentré d'Amérique, pour le Grand Jeu (1934), Pension Mimosas (1935), la Kermesse héroïque (1935) ; il débute enfin dans la mise en scène, en 1936, toujours à l'ombre de Feyder et Françoise Rosay, et signe Jenny. Enthousiasmé par le Crime de M. Lange, réalisé par Jean Renoir avec la collaboration de Jacques Prévert, il exige de son producteur que ce dernier, dont il a aussi apprécié les créations pour le groupe Octobre, soit le scénariste et le dialoguiste de Jenny. C'est le départ d'une collaboration qui marquera dix ans de cinéma français. Carné adhère à l'Association des artistes et écrivains révolutionnaires (AAER) ; il filme pour Ciné-Liberté les manifestations du Front populaire. Il est vite célèbre. 1941 : le gouvernement de Vichy — mais c'était déjà le cas pour les censeurs sous la IIIe République en 1939 — juge ses films pernicieux et démoralisateurs. Carné et Prévert se réfugient dans la fable, dans l'histoire passée. Au sortir de la guerre, le tandem triomphe dans le monde avec la flamboyante fresque des Enfants du paradis, demeurée un classique du cinéma. En octobre 1979, un musée Marcel Carné a été inauguré à Boston.

La formation artistique de Carné éclaire l'essentiel de son style. Parce qu'il a tourné un documentaire de plein air empreint de poésie populiste, il réclame, en 1933, un cinéma qui descende dans la rue, loin du décor et de l'artifice des studios, à la poursuite de la vie immédiate. De son maître Feyder, il rejette significativement toutes les recherches et innovations de langage fondées sur la technique et garde le réalisme méticuleux du personnage, du cadre et du détail. Profondément marqué par Lang et Murnau, Sternberg et Hawks, il veut pour ses films une atmosphère, qu'il demande d'abord à la plastique, à la composition très élaborée de l'image, aux clairs-obscurs suggestifs, aux perspectives bouchées derrière lesquelles vibre comme une secrète obsession du soleil. Mais la rue, le Paris dans lequel il exige que la caméra descende sont quasiment ceux de René Clair qui donnent, selon ses propres termes, « une interprétation de la vie plus vraie que la vie elle-même ». Le réel, sa vérité seront donc retrouvés au terme de deux artifices : l'artifice expressionniste de la mise en scène, l'artifice poétique du scénario. C'est là définir le réalisme poétique, que Carné n'invente pas mais conduit à son point d'aboutissement. Ce réalisme est une quasi-constante du cinéma français depuis Delluc, Kirsanoff, Vigo, en passant par Chenal, Feyder, Renoir, Duvivier, Grémillon. Carné le fait virer au noir, l'imprègne d'un fatum omniprésent, lui confère une aura plus tragique qu'envoûtante, même si elle n'échappe pas à une étrange fascination de la misère et du malheur : le fantastique social.

Avec Jacques Prévert, les opérateurs Eugène Schüfftan, Curt Courant, Roger Hubert, le décorateur Alexandre Trauner, les musiciens Maurice Jaubert, Joseph Kosma et, pour deux de ses classiques, Jean Gabin, Carné constitue une équipe stable qui l'aide à définir un style et une vision du monde. Le style est raisonnable, rigoureux, limpide, plutôt froid. Carné procède par champs et contrechamps commandés par le dialogue et l'intelligence du rythme. Il refuse l'effet de cinéma : le réveille-matin qui sonne au dénouement du Jour se lève pour appeler un ouvrier mort au travail est unique dans son œuvre. Son découpage est analytique. Héritier du kammerspiel et de son fatalisme, il a le goût des trois unités et celui de la claustration, de la clôture-prison. Peintre bien plus qu'architecte, s'il veut que la ville figure aussi le destin, que le décor constitue la psychologie de ses héros, que la caméra soit un acteur du drame, il privilégie néanmoins l'atmosphère, donne le pas aux personnages sur l'action. Son picturalisme déréalise subtilement le monde qu'il a construit, le hante de rêve, d'espoir ou d'angoisse, le dissout plus qu'à demi dans la légende (les Visiteurs du soir) ou dans le mythe (Quai des brumes, les Portes de la nuit). On a pu très justement dire : un pavé de Carné n'est pas un cube de pierre ; c'est un bloc d'ouate aux formes molles gorgées d'huile.