Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
C

CHILI. (suite)

L'émergence d'un cinéma indépendant.

Julio comienza en Julio (Silvio Caiozzi*, 1979), et quelques documentaires (Pepe Donoso, C. Flores, 1977) témoignent de la lente réapparition d'un cinéma indépendant. Chez les exilés, l'élan du nouveau cinéma chilien réussit néanmoins à se maintenir, grâce à la solidarité internationale. Selon un recensement établi en 1980 par la Cinémathèque chilienne en exil, des réalisateurs chiliens ont tourné hors de leur patrie 29 longs métrages (dont 21 de fiction réalisés notamment par Raul Ruiz), 15 moyens métrages et 46 courts métrages, production équivalente à celle des sept années antérieures au coup d'État. Sur le plan thématique, le bilan de la gauche et la dénonciation de la répression cèdent peu à peu la place au déracinement, consécutif à l'exil, et à des adaptations littéraires, auxquelles on peut rattacher l'évocation du poète Pablo Neruda, filmée par l'écrivain Antonio Skarmeta (Ardente paciencia, 1983). Plusieurs cinéastes d'autres nationalités s'intéressent également au Chili, avec des œuvres comme la Spirale (Armand Mattelart, Valérie Mayoux et Jacqueline Meppiel, 1976) et la série de documents de Heynowski* et Scheumann*.

Une quarantaine de cinéastes chiliens signent leur premier long métrage au cours des années 80, plusieurs d'entre eux étant en exil. Cette prolifération de la diaspora chilienne n'a pas d'équivalent puisqu'elle est éparpillée dans une vingtaine de pays, de l'Amérique latine à l'Europe occidentale et orientale en passant par le Canada, les États-Unis et l'Australie. Une singularité mérite d'être soulignée : l'apparition d'un noyau de réalisatrices, avec Angelina Vásquez (Gracias a la vida, 1980), Marilu Mallet (Journal inachevé, 1982), Tatiana Gaviola (Ángeles, 1988) et surtout Valeria Sarmiento* (Amelia Lopes O'Neill, 1991). Les personnalités dominantes restent Raúl Ruiz, d'une invention formelle constante, Miguel Littin, à la recherche d'une veine épique latino-américaine, Patricio Guzmán, qui manie le documentaire avec l'ambition d'un essayiste, et Valeria Sarmiento justement, plongée dans l'inconscient collectif des femmes latino-américaines. La démocratisation très graduelle favorise le retour ou le va-et-vient des expatriés et la rencontre entre les cinéastes de l'exil et ceux de l'intérieur au festival de Viña del Mar (1990). Avant même que les conditions minimales, sur un plan institutionnel, légal et économique, ne permettent l'épanouissement d'une cinématographie au Chili, plusieurs talents s'affirment : Cristián Sánchez, proche par certains côtés de Ruiz (El zapato chino, 1979 ; Los deseos concebidos, 1982), Pablo Perelman (Imagen latente, 1987, remarquable évocation autobiographique d'un «  disparu  » politique, suivi par l'étrange Archipiélago, 1992), Gonzalo Justiniano* (dont Sussi, 1987, touche un large public), Leonardo Kocking (La estacion del regreso, id.), Juan Carlos Bustamente (Historias de lagartos, 1988), Caiozzi, déjà cité (La luna en el espejo, 1990, maîtrisé et troublant), Ricardo Larraín (La frontera, 1991, dont le succès est justifié), Gustavo Graef Marino (Johnny Cien Pesos, 1993), Andrés Wood (Historias de fútbol, 1997), sans oublier Ignacio Agüero, avec le documentaire Cien niños esperando un tren (1988), sur le formidable travail de pédagogie cinématographique animé par Alicia Vega dans un bidonville de Santiago. Cependant, le succès tapageur de Radio sexo latino, le Blagueur sentimental (El chacotero sentimental, Cristián Galaz, 1999), ne suffit pas à assurer la continuité d'une production chilienne.

CHINE.

Le cinéma pénètre très tôt en Chine : un programme de films Lumière - d'après la tradition - est projeté dès le 11 août 1896 dans un parc d'attractions de Shanghai, ville où des concessions ont été attribuées à diverses puissances étrangères. Les projections se poursuivent avec des films Edison dès 1897. C'est à Pékin (Beijing) qu'est tourné en 1905 le premier film national par des professionnels du studio de photographie Fengtai ouvert en 1892 par un certain Ren Jingfeng, pionnier chinois formé au Japon, et qui devait plus tard investir une partie de ses capitaux dans une salle de cinéma, du nom de Daguanlou. Ce film de trois bobines, d'une durée totale de quinze minutes, fut tourné en trois jours à ciel ouvert avec le célèbre acteur de l'Opéra de Pékin Tan Xinpei, dans l'interprétation d'extraits d'une pièce de répertoire, le Mont Dingjun (Dingjunshan). Un magasin spécialisé de Pékin tenu par un Allemand fournit le matériel. Si la caméra était française, le cameraman, lui, était chinois : Liu Zhonglun. Encouragé par ce premier essai, Ren Jingfeng tourna la même année plusieurs petits films d'opéra dans le studio Fengtai pour les exploiter dans sa salle de Daguanlou, à laquelle s'ajoute bientôt la salle Jixiang.

Il faut cependant attendre 1913 pour que soit tourné le premier long métrage chinois (quatre bobines, un record !) :  Un couple infortuné (Nanfu nanqi), satire des mariages imposés de Zhang Weitong, dit Zhang Shichuan, et Zheng Zhengqiu, produit par l'Asia Motion Pictures, fondée par des Américains la même année.

Les années 20 et 30.

En 1926, les divers studios de Shanghai produisent déjà 70 films et les frères Wan* réalisent le premier dessin animé (300 m), Pagaille à l'atelier (Danao huashi). Le retard sur le reste du monde se comble rapidement. Le premier film sonore (enregistrement sur disque) sort le 15 mars 1930 : la Cantatrice Pivoine Rouge (Genü Hongmüdan), encore signé Zhang Shichuan. Celui-ci avait créé en 1916 la première société de production réellement chinoise avant de lancer la Mingxing (l'Étoile) en 1922, creuset d'où sortiront bientôt les meilleurs films des années 20 et 30. Distributeurs et propriétaires de salles restent pourtant souvent des étrangers, comme l'était le premier exploitant, au tout début du siècle, l'Espagnol A. Ramos, et la plupart des films programmés sont importés des pays qui possèdent des concessions ; longtemps, pour cette raison, les Chinois appelleront le cinéma des « jeux d'ombres occidentaux ». Les capitaux chinois - parfois en provenance de Hongkong - ne s'investissent que lentement dans l'industrie cinématographique. L'évolution de cette dernière apparaît très liée au sous-développement économique de la Chine, à son état semi-colonial. Phénomène essentiellement urbain, malgré une population à 80 pour cent rurale, le cinéma puise ses sujets presque uniquement dans la vie citadine, au moins jusqu'au milieu des années 30. Généralement, les personnages appartiennent soit à l'intelligentsia, soit à la bourgeoisie d'affaires, soit encore aux couches supérieures de la société. Ils sont les protagonistes de drames sentimentaux où l'amour est traité à la manière de la presse du cœur, de mélodrames larmoyants peuplés d'orphelins, de femmes abandonnées, de veuves éplorées et d'enfants dévoués (L'orphelin sauve son grand-père [Gu'er jiu zu ji, 1923], Une pauvre fille [Kelian de guinü, 1925], réalisés par Zhang Shichuan*, etc.). La dramaturgie et la littérature classiques, l'inépuisable fonds des opéras de types divers, sous-exploités malgré leur richesse, renouvellent pourtant un peu une thématique d'une extrême pauvreté, réduite parfois à des imitations de comiques américains, surtout Laurel et Hardy ou Charlot. Par exemple Le roi des clowns visite la Chine (Huaji dawang you hua ji, 1922) et Pagaille au théâtre (Danao guai juchang, 1923), deux films de Zhang Shichuan qui marquèrent les débuts de la société Mingxing. Les autres influences étrangères se révèlent plus fécondes, telle celle de Lubitsch qu'avoue le prolifique réalisateur Li Pingqian* (la dernière partie de sa carrière s'accomplit à Hongkong). Une volonté de rupture et de rénovation s'affirme dès 1930 parmi les cinéastes de gauche, dont beaucoup sont en étroit contact avec cette colonie britannique, tandis que certains reviennent des États-Unis (Sun Yu*, Hong Shen*, Situ Huimin*). En riposte à la censure instituée par le gouvernement de Tchang Kaï-chek le 1er janvier 1930, ils créent une organisation corporative, à l'initiative de membres du parti communiste, et se répartissent dans les divers studios des compagnies cinématographiques de Shanghai. Des critiques lancent en juillet la revue l'Art du film, y dénoncent la mainmise des capitaux américains sur l'industrie cinématographique nationale comme génératrice de la crise qui affecte la production, mais doivent la saborder après le quatrième numéro.