Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
C

COLUMBIA. (suite)

Tandis que Jack Cohn assure, à New York, la gestion financière de la compagnie, Harry dirige le studio, avec une poigne de fer et un sens aigu de l'économie. Les plans de tournage n'autorisent aucune fantaisie et pas le moindre dépassement, les décors sont réduits à leur plus simple expression, le nombre de prises rigoureusement surveillé. Les films Columbia n'offrent guère d'attraits visuels ; dénués de prétention stylistique, ils n'aspirent qu'à la sobriété, qui restera longtemps leur marque distinctive.

En 1927, Franck Capra commence à travailler pour le studio (Submarine, Flight, Blonde platine), auquel il assure une entrée réussie dans le parlant. Premier réalisateur vedette de la Columbia, il y développe un cinéma d'inspiration populaire, mêlant, avec une incomparable habileté, critique sociale et messianisme, humour, émotion, rêve et réalisme. Le succès inattendu de New York-Miami (1934) marque l'entrée à la Columbia de la « comédie loufoque » (screwball comedy), genre où s'illustreront notamment Leo McCarey (Cette sacrée vérité), Howard Hawks (Train de luxe), John Ford (Toute la ville en parle), Gregory La Cava (Mon mari le patron), Tay Garnett (Gosse de riche), George Cukor (Vacances) et Richard Bolesławski (Théodora devient folle).

Hormis les — rares — films de série A qui assurent son prestige, la Columbia reste fidèle à une politique d'austérité qui se poursuivra jusqu'à la fin du « règne » de Harry Cohn. De 1938 à 1955, elle produit ainsi plus d'une cinquantaine de serials ou séries à petit budget, dont : Blondie (1938-1950), Mandrake (1939), Crime Doctor (1943-1949), Jim la Jungle (1948-1955) et The Whistler (1944-1948). Le western est réservé, jusque dans les années 50, à des stars comme Rory Calhoun, Gene Autry ou Bill Elliott et ne fait que de rares incursions dans la série A : Femme ou Démon (G. Marshall, 1939), Arizona (W. Ruggles, 1940). Le film de cape et d'épée, abondamment représenté, ignore l'opulence qui est de mise à la Warner ou à la MGM. Le court métrage accueille, à peu de frais, d'anciennes gloires du muet (Langdon, Keaton) ou célèbre l'humour, grossier et « physique » à souhait, des Trois Stooges. Dans le domaine du dessin animé, la Columbia est témoin des débuts de Mickey, en 1930, et de ceux de Frank Tashlin (qui la quitteront tous deux rapidement) et produit des séries au graphisme médiocre comme Krazy Kat (1929-1939), Scrappy (1929-1940), Mr. Magoo (1949-1959) et Gerald McBoingBoing (1951-1956).

Le musical s'accommode mal de l'austérité ; la firme lui réserve une place restreinte, mais enregistre grâce à lui une série de succès : One Night of Love (Victor Schertzinger, 1934 ; interprété par une gloire du muet ; Grace Moore), Ô toi, ma charmante (W. A. Seiter, 1942, avec Fred Astaire et Rita Hayworth), la Reine de Broadway (Ch. Vidor, 1944, avec Gene Kelly et Rita Hayworth) ; la popularité de deux biographies romancées à gros budget, la Chanson du souvenir (Ch. Vidor, 1945) — consacrée à Chopin — et le Roman d'Al Jolson (Alfred E. Green, 1946), encourage l'entrée progressive, timide, de la couleur dans la firme.

En 1949, les Fous du roi de Robert Rossen marquent une date importante dans l'évolution de la Columbia. On y retrouve la veine polémique qui est, depuis M. Smith au Sénat (F. Capra, 1939), une des constantes de la maison, cette fois sans aucune sentimentalité. L'influence du film noir est évidente ; les traces d'une écriture documentaire, parajournalistique, cultivée depuis plusieurs années par la Warner et la Fox, le sont plus encore. Dans le sillage des Fous du roi, s'inscrivent alors des films-dossiers comme : le Maître du gang (J. H. Lewis, 1949), les Ruelles du malheur (N. Ray, 1950), Plus dure sera la chute (M. Robson, 1956), Au cœur de la tempête (D. Taradash, 1956) et Racket dans la couture (V. Sherman, 1957). La sécheresse, la sobriété obligée de ces œuvres s'accordent avec le style dépouillé, factuel, de la Columbia, et c'est tout naturellement dans ce domaine, et plus largement dans celui du pur film noir, qu'on rencontre certaines des plus authentiques réussites de la firme : la Dame de Shanghai (O. Welles, 1948), les Désemparés (Max Ophuls, 1949), l'Homme à l'affût (E. Dmytryk, 1952), Règlement de comptes (F. Lang, 1953), Du plomb pour l'inspecteur (R. Quine, 1954), Meurtre sous contrat (I. Lerner, 1958), The Crimson Kimono (S. Fuller, 1959).

Pauvre en stars, la Columbia fonctionne pendant plusieurs années avec une « écurie » réduite. Elle emprunte le plus souvent ses vedettes aux grands studios (c'est ainsi que Clark Gable, temporairement suspendu par la MGM, tournera New York-Miami). Elle attendra les années de guerre pour lancer sa vedette féminine : Rita Hayworth, qui brillera d'un éclat aussi vif qu'éphémère, mais ne trouvera plus guère de véhicule à sa mesure après Gilda (Ch. Vidor, 1946) et cédera la place à Kim Novak. Côté masculin, la tendance sera longtemps à la sobriété, pour ne pas dire à la morosité (William Holden, Cornel Wilde, Glenn Ford, Randolph Scott), et il faudra attendre le milieu des années 50 pour qu'apparaissent régulièrement au studio des comédiens expansifs à la Jack Lemmon ou à la James Stewart.

C'est à cette époque que la Columbia, à l'évidence plus soucieuse d'attirer de grands metteurs en scène et de traiter des sujets forts que d'entretenir à demeure une équipe d'acteurs, prend sa vitesse de croisière. Les succès de Tant qu'il y aura des hommes (F. Zinnemann, 1953), Sur les quais (E. Kazan, 1954) et, plus encore, du Pont de la rivière Kwai (D. Lean, 1957) ouvrent la voie à une série de productions indépendantes à grande audience : Autopsie d'un meurtre (O. Preminger, 1959), Soudain l'été dernier (J. L. Mankiewicz, id.), Lawrence d'Arabie (D. Lean, 1962), Tempête à Washington (Preminger, id.), le Cardinal (id., 1963), Docteur Folamour (S. Kubrick, id.), les Professionnels (R. Brooks, 1966), Un homme pour l'éternité (Zinnemann, id.), Devine qui vient dîner (S. Kramer, 1967), qui assoient solidement la réputation artistique et commerciale de la firme.