Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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PRÉJEAN (Albert)

acteur français (Paris 1893 - id. 1979).

As de l'aviation pendant la Première Guerre mondiale, il apparaît à l'écran, en 1921, comme doublure de Pierre de Guinguand dans les Trois Mousquetaires d'Henri Diamant-Berger. Contrairement à beaucoup, il n'est pas passé par le théâtre, et c'est seulement devant les caméras qu'il fait ses classes. D'où peut-être cette absence de prétention et ce naturel qui le firent tant apprécier du public. Son optimisme bon teint, son air de fêtard ahuri rappelant un peu Max Linder seront exploités par René Clair, dans Paris qui dort (1924), le Fantôme du Moulin-Rouge (1925), le Voyage imaginaire (1926) et Un chapeau de paille d'Italie (1928), où il est un excellent Fadinard. À la fin du muet, sa popularité est acquise, et il est aussi à l'aise dans le Bouif errant (R. Hervil, 1926) que dans Verdun, visions d'histoire (1929) ou les Nouveaux Messieurs (id.). Il se paie même le luxe de mettre en scène un petit film « d'avant-garde », l'Aventure de Luna-Park (1929). Le parlant — et le chantant — découvre sa voix gouailleuse, son rire malicieux : il en joue, avec brio, dans Sous les toits de Paris (Clair, 1930), le Chant du marin (C. Gallone, 1931), Un soir de rafle (id., id.) et surtout l'Opéra de quat'sous (G. W. Pabst, id., où il est un Mackie plus parfait peut-être que son homologue allemand : ce sera son plus grand rôle). Détrôné par Gabin, dont le jeu plus réaliste surclasse le sien, il va incarner désormais, plus conventionnellement, les mécanos, les bons garçons, les détectives classiques ou retors. On sauvera de cette carrière (trop) riche : l'Or dans la rue (K. Bernhardt, 1934), La crise est finie (R. Siodmak, id.) et Mollenard (id., 1938), Jenny (M. Carné, 1936), l'Alibi (P. Chenal, 1937). Sous l'Occupation, il est un bien peu crédible commissaire Maigret (Picpus, R. Pottier, 1943). La dégringolade s'accentue après la guerre, malgré un beau rôle — de patron alcoolique — dans les Frères Bouquinquant (L. Daquin, 1948). Après de laborieuses « pannes » chez Maurice Cloche ou Yvan Govar, il se retrouve faire-valoir d'Eddie Constantine dans Bonne chance, Charlie ! (Jean-Louis Richard, 1961) avant de se recycler — comme directeur commercial — dans le cirque de Jean Richard. Il fit aussi un peu de télévision, par exemple Trois Valses, en 1965, aux côtés de son fils Patrick Préjean. Celui-ci a pris une relève qui s'annonce difficile.

PRELORAN (Jorge)

cinéaste argentin (Buenos Aires 1933).

Auteur de documentaires ethnographiques qui découvrent et mettent en valeur l'Argentine métisse, généralement occultée par l'hégémonie culturelle d'un Buenos Aires d'ascendance européenne. Sa démarche s'inscrit dans le sillon de Fernando Birri pour ce qui est de l'exploration d'une géographie humaine méconnue, tout en se démarquant du courant militant, politiquement plus explicite, représenté par Fernando Solanas et Octavio Getino. Parmi ses principaux films, on trouve Hermógenes Cayo (1970), Araucanos de Ruca Choroy (1971), Valle fértil (1972), Cochengo Miranda (1975). Son long métrage de fiction Mi tía Nora, tourné en Équateur (1983), est moins convaincant.

PREMINGER (Otto)

cinéaste américain d'origine autrichienne (Vienne 1906 - New York, N. Y., 1986).

Fils d'un important homme de loi, Otto Preminger devient acteur à dix-sept ans dans la troupe de Max Reinhardt. Après avoir interprété plusieurs spectacles à Vienne, Salzbourg et Prague, il signe, en 1925, sa première mise en scène. Il participe ensuite à la fondation de deux théâtres : la Komödie et le Schauspielhaus, puis retourne auprès de Reinhardt. De 1933 à 1935, il administre le Theater der Josefstadt, où il met en scène une douzaine de comédies, opérettes ou drames (Men in White, Libel, The First Legion). Invité aux États-Unis par l'un des grands producteurs de la scène new-yorkaise, Gilbert Miller, et par le directeur de la Fox, Joseph M. Schenck, Preminger se partagera pendant plusieurs années entre Hollywood et Broadway (Outward Bound, Margin for Error, The Moon Is Blue, etc.), et montera encore, dans les années 60-70, Critic's Choice et Full Circle.

Après des débuts modestes dans la réalisation (Die grosse Liebe, 1931 ; Under Your Spell, 1936 ; Charmante Famille, 1937), Preminger révèle dans Laura (1944) les grandes lignes de force de son œuvre. Ce beau film noir fixe aussi les deux pôles entre lesquels son cinéma ne cessera d'osciller. Le combat ambigu, incertain, obstiné que s'y livrent le romantique décadent Waldo Lydecker et le flic « réaliste » Mark McPherson se prolongera, en effet, tout au long de sa riche carrière, donnant à celle-ci, par-delà d'apparentes fluctuations, une profonde unité d'inspiration. Cinéaste de l'énergie, de la lucidité, de l'objectivité, Preminger restera toujours, simultanément, fasciné par la dimension secrète, nocturne, fragile de ses personnages, et plus particulièrement de ses héroïnes, qui prendront, au fil des années, les traits étrangement voisins de Gene Tierney et Jean Simmons, Linda Darnell et Dorothy Dandridge, Jeanne Crain, Jean Seberg et Carol Lynley. Ses films, qu'ils appartiennent au registre noir et intimiste de Laura, Crime passionnel (1945), le Mystérieux Dr Korvo (1950), Mark Dixon, détective (id.), Un si doux visage (1953) et Bunny Lake a disparu (1965) ou à celui de la « fresque » politique (Exodus, 1960 ; Tempête à Washington, 1962), religieuse (le Cardinal, 1963) ou guerrière (Première Victoire, 1965), participeront tous de cette double polarité, observeront tous ce partage entre l'ombre et la lumière, la volonté et la mélancolie, le présent et le passé.

Dans ce film-principe qu'est Laura, Preminger détermine aussi la forme, aisément repérable, de sa mise en scène : travail systématique à la grue, prises longues (ou plans-séquences) aérées, ponctuées par de multiples et subtils recadrages assurant la continuité spatio-temporelle de la scène. Cette technique extrêmement mobile dotera les meilleurs films de Preminger d'une « chorégraphie » précise et souple, organisant un rapport mouvant et rigoureux entre personnages et décors. Elle lui permettra aussi d'unifier, dans sa mise en scène, un pouvoir de fascination et une approche analytique d'une froideur et d'une distance soigneusement contrôlées.