Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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YOUGOSLAVIE. (suite)

Le film documentaire de court et de moyen métrage sera l'apanage de cette nouvelle cinématographie qui produira, entre 1945 et 1950, plus de 270 œuvres, avec pour thème essentiel la Résistance, mais aussi la reconstruction nationale et la vie politique, culturelle et sportive. L'année 1947 verra la réalisation du premier long métrage du nouvel État socialiste : Slavica (id.) de Vjekoslav Afrić. Bien que toujours centrée sur les exploits de l'Armée de libération, l'intrigue prend un peu de distance avec le thème guerrier en introduisant une touche de poésie dans l'évocation de la lutte. À partir de 1948, la rupture avec le guide soviétique ouvre le cinéma à des œuvres partisanes et contradictoires, mais les premiers films de réelle fiction ont du mal à se détacher de l'esprit propagandiste. Quelques œuvres, pourtant, par leur esthétisme novateur, apportent un regain d'intérêt à une production qui avait tendance à s'enliser : ‘ Ce peuple vivra ’ (Živjeće ovaj narod, Nikola Popović, 1948) et, surtout, ‘ Sur notre terre ’ (Na svojoj Zemlji, France Štiglić, id. — premier film slovène), chronique riche et chargée d'émotion d'un peuple en proie à la révolte. Citons encore Sofka (id., Radoš Novaković, 1949), qui ouvre, avec trop d'effets de style et d'éclairage, la voie à l'adaptation littéraire. Bien que dominé par le thème obsessionnel de l'évocation des diverses étapes de la résistance antinazie (le Drapeau [Zastava, B. Marjanović, 1949]), le cinéma yougoslave commence à donner des œuvres dans des registres différents, qui deviendront bientôt les thèmes de prédilection du public : l'humour avec Oncle Žvane (Barba Žvane, Afrić, id.) ; le conte populaire avec l'Épée magique (Čudotvorni mač, Vojislav Nanović, 1950).

Régionalisation et richesse du cinéma yougoslave.

Au début des années 50, le cinéma, d'abord dirigé par un Comité central, bénéficie de la décentralisation de l'appareil administratif et de la création d'une Association des producteurs, qui contrôle, au niveau national, chaque organisme de production. Ceux-ci, qui dépendaient auparavant de l'État, deviennent alors autonomes pour le choix, le financement et la vente des films. L'État peut, le cas échéant, intervenir financièrement lorsqu'il s'agit de production coûteuse ou d'évocation historique. L'autonomie régionale (la Yougoslavie est une fédération) ouvre de nouvelles perspectives aux sociétés de production qui se lancent avec plus ou moins de bonheur dans la coproduction : en 1954, le Dernier Pont (Die letzte Brücke / Poslednji most), d'Helmut Käutner*, est la première collaboration avec l'étranger (Autriche). Un certain nombre d'œuvres marquent encore la période : le Disciple de Frère Brne (Bakonja Fra Brne, Fedor Hanžeković, 1951) ; Kekec (Jože Gale, id.) ; Printemps (Vesna, František Cap, 1953) ; la Fille et le Chêne (Djevojka i hrast, Krešo Golik, 1955).

Contrastant avec le petit nombre de films de long métrage réalisés (3 en 1947,6 en 1951,11 en 1955), la vigueur de la production du film d'animation peut paraître surprenante. Aussi, pendant de longues années, le cinéma yougoslave ne sera-t-il connu à l'étranger qu'à travers les innombrables dessins animés issus du studio spécialisé Duga Film, fondé à Zagreb en 1956. La place prépondérante que prend cette cinématographie dans le monde est dans une large mesure due au travail de Dušan Vukotić*. En 1951, avec son Comment naquit Kico (Kako se rodio Kićo), il se signale par sa conception surréaliste du dessin d'animation. S'écartant du traditionnel « style Disney », reproduisant les gestes naturels, il s'oppose à cette époque au travail des frères Robert et Walter Neugebauer et insuffle à l'art de l'animation une liberté de création qui vaudra son renom au dessin animé yougoslave. Le groupe de Vukotić, noyau de ce qu'on appelle l'école de Zagreb*, qui comprend encore notamment Vatroslav Mimica*, Nedeljko Dragić, Vladimir Jutriša et Vlado Kristl*, rechercha une expression nouvelle sans s'assujettir à aucune règle esthétique précise, rejetant l'anthropomorphisme et l'imitation du « geste » humain ou animal. Le film documentaire évolue également. Tourné de plus en plus fréquemment en couleurs, il cesse de s'intéresser uniquement aux problèmes de la guerre et de ses conséquences pour évoquer des questions sociales, politiques ou culturelles : effets d'un tremblement de terre dans la Ville morte (Mrtvi grad, Velja Stojanović, 1952) ; portrait d'une ville dans Un jour à Rijeka (Jedan dan na Rijeci, Ante Babaja, 1955) ; drames et paysages des provinces perdues dans Eaux noires (Crne vode, F. Vodopirec, id.) ; drame de société dans Dans l'ombre de la magie (U senci magije, Krsto Škanata, id.), ou évocation de l'œuvre du peintre Sara Sumanovic dans les Routes (Aleksandar Petrović, 1959).

L'essor du cinéma yougoslave dans les années 60 et 70.

L'aube des années 60 voit s'accroître la production de longs métrages et se caractérise par l'émergence ou la confirmation d'une première vague de réalisateurs, qui parviennent à dépasser l'audience nationale : France Štiglić*, avec la Vallée de la paix (Dolina mira, 1956), propose un poème lyrique sur l'expérience de deux enfants durant la guerre ; Vladimir Pogačić*, avec Grands et Petits (Veliki i mali, id.), traite du thème de la révolution sur un fond de drame psychologique, avant d'évoquer, avec Samedi soir (Sabotom uveče, 1957), la vie citadine dans les années 50 puis, avec Seul (Sam, 1959), un sujet très antonionien ; Veljko Bulajić*, avec le Train sans horaire (Vlak bez voznog reda, 1959), le film le plus important de la période, dresse le portrait d'immigrants à la recherche d'une vie nouvelle ; Žika Mitrović, avec Miss Stone (Mis Stoun, 1958), réalise le premier long métrage national en couleurs et en CinémaScope ; Branko Bauer, après Ne te retourne pas, mon fils (Ne okreći se sine, 1951), tente, avec Nous sommes des hommes (Samo Ljudi, 1957), une incursion dans le monde de l'inconscient et de la maladie. Avec Le vent s'est arrêté à l'aube (Vetar je stao pred zoru), le vétéran Radoš Novaković signe, en 1959, le centième long métrage yougoslave. En cette fin de décennie, la production vient de franchir un pas important en traitant de fa¸con de plus en plus fréquente les problèmes de la vie moderne. Ce courant va aller en se généralisant à partir de 1960, avec une notable évolution thématique qui autorise davantage une diffusion sur le marché extérieur. En 1960, Štiglić réalise le Neuvième Cercle (Deveti krug), histoire de jeunes gens pris dans la tourmente de la guerre, œuvre qui sera l'une des cinq « nominées » pour l'Oscar du meilleur film étranger. La production va, dès lors, se situer autour d'une quinzaine de films de long métrage au début des années 60, pour se stabiliser dans les années 80 à une trentaine par an.