Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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NOIR AMÉRICAIN (cinéma). (suite)

De 1916 à 1923, de nombreuses compagnies indépendantes naissent sur la côte est, à Chicago dans le Middle West, à Los Angeles. On estime, entre 1916 et 1950, leur nombre à 160, dont plus de la moitié est mixte (financiers blancs, acteurs et parfois metteurs en scène noirs). Bien qu'inscrits sur les registres officiels, seuls 50 p. 100 de ces organismes produisent au moins un film. L'acteur de couleur Noble P. Johnson, son frère George, et l'acteur Clarence Brooks participent à la fondation, en 1916, de la Lincoln Motion Pictures Company. Cette structure produit six films n'excédant pas les trois bobines. Il faut en détacher deux créations de 1916 : The Realization of the Negro's Ambition et Trooper of Company K, cette dernière sur le massacre des troupes noires servant la cause américaine. Une des plus importantes compagnies de l'époque est la Reol Motion Pictures Corporation, dirigée par le Blanc Robert Levy. Elle contrôle un bon nombre des six cents salles des ghettos qui s'ouvrent alors sur le territoire américain pour diffuser ces films. La Reol Motion Pictures Corporation s'avère pionnière dans deux domaines. Elle adapte d'abord des ouvrages écrits par des Noirs : The Call of His People (1921), d'après l'œuvre de Aubrey Browser, The Man Who Would Be White, ou Sports of Gods, inspiré des textes du poète Paul Laurence Dunbar. N'oublions pas que bourgeonne alors ce qu'on appelle la « Renaissance noire », dont on retient aujourd'hui surtout l'influence des musiciens et des écrivains. Second point, la Reol façonne la première star de la communauté en la personne d'Edna Morton surnommée la « Mary Pickford de couleur ». Des compagnies indépendantes se créent un peu partout : la Foster Photoplay, à Chicago ; la Gate City Film Corporation, à Kansas City ; Constellation Films, à New York ; la Renaissance Company, spécialisée dans les actualités filmées noires, à New York...

Si certaines œuvres d'Oscar Micheaux telles que Within Our Gates et The Symbol of the Unconquered (toutes deux de 1920) s'attaquent au problème du racisme, la plupart des œuvres issues de cette première vague de cinéastes indépendants noirs développent des thèses réformistes et intégrationnistes qui illustrent la philosophie de la bourgeoisie de couleur, ainsi qu'en témoignent des films comme The Call of His People (1921), The Scar of Shame (Frank Perugini, 1928, produit par la Colored Players of Philadelphia, gérée par des Blancs) ou God's Stepchildren (Micheaux, 1938 — le seul nom d'auteur qui émerge de cette époque). De 1918 à 1948, Micheaux réalise une trentaine de films dont les plus représentatifs sont : Body and Soul (1924, avec Paul Robeson), A Daughter of the Congo (1930), God's Stepchildren (1938), The Betrayal (1948). Cet ancien romancier, doué d'un solide sens des affaires, sillonne le pays pour promouvoir ses produits. Cela explique qu'au lendemain de l'éclatement du mouvement (à la fin des années 20), il demeure un des rares réalisateurs noirs encore en activité. À travers mélodrames ou œuvres de genre, les Afro-Américains ont alors acquis une certaine identité à l'écran, dont témoignent, après Emperor Jones (Dudley Murphy, 1933), Dark Manhattan (George Randol et Ralph Cooper, 1937) ou Blood of Jesus (Spencer Williams, 1941).

Une épidémie de grippe, survenue en 1923, oblige de nombreuses salles des ghettos à fermer. L'arrivée du parlant qui alourdit les budgets et la concurrence des grands studios désireux de s'approprier les spectateurs noirs sonnent rapidement la fin de cet âge d'or du film ethnique. De nombreux Blancs montent alors des bandes à interprétation intégralement noire. Ainsi Octavus Roy Cohen qui produit, à la fin des années 20, une série de courts métrages où les Noirs sont ridiculisés. Des mises en scène à gros budget comme Hearts in Dixie (Paul Sloane, 1929) ou Hallelujah (K. Vidor, 1929) récupèrent, au profit d'Hollywood, cette récente tradition filmique.

Le Noir est, par ailleurs, le serviteur idéal, l'oncle Tom à tout faire. Hollywood épousant les mutations de la société américaine, des films plus subtils sur la tolérance raciale sont conçus : l'Héritage de la chair (E. Kazan, 1949), Frontières invisibles (Alfred L. Werker, id.), la Chaîne (S. Kramer, 1958). Par ailleurs, des cinéastes indépendants blancs évoquent avec lucidité et sans démagogie les relations interraciales (Shadows, de John Cassavetes, 1961), la vie dans les ghettos (Harlem Story — The Cool World, de Shirley Clarke, 1963) ou la réalité culturelle noire (Right On : Poetry on Film, Herbert Danska, 1971).

Au début des années 60, sous l'effet de l'évolution des mentalités, Hollywood invite des Noirs à venir travailler sur place. Ainsi Ossie Davis écrit-il le scénario de Gone Are the Days (Nicholas Webster, 1963). Davis est à l'origine, avec Gordon Parks, de ce qu'on appelle la « Blaxploitation » (l'exploitation du Noir). Devenus cinéastes, ces individus travaillent dans le secteur commercial et fabriquent des supers héros noirs, policiers ou bandits, qui tiennent tête aux Blancs et étanchent ainsi la soif de revanche par procuration du public de couleur. Les œuvres les plus notoires de cette veine sont le Casse de l'oncle Tom (Cotton Comes to Harlem, Ossie Davis, 1970) et les Nuits de Harlem (Shaft, Gordon Parks, 1971). Ces deux metteurs en scène évoluent par la suite. Ossie Davis part, en 1971, pour le Nigeria et y conçoit Kongi's Harvest, une œuvre politique. De retour aux États-Unis, il fonde avec d'autres acteurs noirs le Third World Cinema Corporation qui permet au vétéran blanc John Berry, ancienne victime du maccarthysme, de réaliser, avec Claudine (1974), un projet sincère sur une famille noire américaine. Gordon Parks tourne, en 1976, Leadbelly, un film consacré au fameux guitariste et chanteur de blues Huddie Leadbetter. Michael Schultz est un des rares auteurs à faire une carrière suivie à Hollywood : Cool (Cooley High, 1975), Car Wash (1976) et, surtout, For Us the Living (1983). L'acteur noir Sidney Poitier — qui fait avec Paul Robeson, durant ces décennies, évoluer dans un sens positif l'image du Noir à l'écran — réalise un film de valeur : Buck and the Preacher (1972).