Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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COPPOLA (Francis Ford)

cinéaste américain (Detroit, Mich., 1939).

Sa précocité, sa formation universitaire, la variété de ses dons, sa réussite spectaculaire, tant commerciale que critique, sa personnalité controversée ont fait de lui l'incarnation de la Nouvelle Vague hollywoodienne qui, dans les années 70, a pris les commandes de l'industrie américaine du cinéma. À bien des égards, on peut le considérer comme le parrain de cette génération d'enfants prodiges qui regroupe son ami George Lucas, Steven Spielberg, Martin Scorsese et Brian de Palma.

Il découvre le spectacle lorsque, cloué au lit par la polio (à dix ans), il passe son temps à animer des marionnettes et à monter et à synchroniser avec un magnétophone les films d'amateur que réalisent ses proches (son père, Carmine, écrira plus tard la musique de ses films ; sa sœur cadette jouera au cinéma sous le nom de Talia Shire). Coppola étudie ensuite le théâtre au Hofstra College et monte plusieurs pièces ; diplômé en 1960, il entre au département de cinéma de l'UCLA, remporte le prix du scénario Samuel Goldwyn et s'initie aux différentes étapes de la fabrication d'un film. Pendant ses années d'études, il tourne quelques courts métrages érotiques (dont The Pepper, qui, monté avec un western « déshabillé », sera exploité sous le titre The Wide Open Spaces/Tonight for Sure, en 1961), remonte et double des films d'aventures soviétiques pour l'American International de Roger Corman, avec qui il travaille en Irlande sur The Young Racers (1963). Le réalisateur-producteur le laisse utiliser la même équipe pour tourner un scénario d'épouvante écrit à la hâte : Dementia 13.

De retour en Californie, il est engagé par la compagnie Seven Arts pour écrire des scénarios : Propriété interdite (S. Pollack, 1966) ; Paris brûle-t-il ? (R. Clément, id.) ; Reflets dans un œil d'or (J. Huston, 1967) ; Patton (F. Schaffner, 1970). Pour le remercier de ses services, Seven Arts lui donne aussi la possibilité de mettre en scène son deuxième film, Big Boy (1967), comédie au montage rapide sur les rapports d'un jeune homme maladroit et inhibé avec sa famille et les femmes. Influencée par Richard Lester, l'œuvre ne révèle pas une forte personnalité. Elle a du moins plus de rythme et de conviction que le film suivant, la Vallée du bonheur (1968), conte de fées que Fred Astaire vieillissant ne parvient pas à animer.

Tirant la leçon de cette expérience décevante, Coppola rassemble une équipe réduite et tourne sur les routes les Gens de la pluie (1969). Il y révèle alors avec maîtrise un sens de l'aliénation et de la solitude modernes, ainsi qu'un réel talent pour peindre le paysage américain (motels, voitures, cabines téléphoniques, roulottes). Ce film, comme la fondation, la même année, avec George Lucas, de sa propre compagnie, American Zoetrope, marque un tournant dans la carrière de Coppola. Mais les Gens de la pluie, ainsi que THX 1138 (1971) de George Lucas, premier film produit par Zoetrope, sont des échecs commerciaux.

Paradoxalement, c'est une commande que lui propose Albert Ruddy pour Paramount, le Parrain (1972), d'après le roman de Mario Puzo, qui va faire soudain de Coppola un des cinéastes les plus en vue des années 70. Coppola se révèle comme un maître du cinéma romanesque, un excellent directeur d'acteurs et, avec l'aide des chefs opérateurs Gordon Willis et Vittorio Storaro ainsi que du décorateur Dean Tavoularis, un artiste sensible à la texture des choses, avec un lyrisme « opératique » dans lequel on retrouve ses origines italiennes. Comblé d'honneurs (deux Oscars pour la meilleure mise en scène grâce aux Parrain I et II, deux Palmes d'or au festival de Cannes pour Conversation secrète et Apocalypse Now), le cinéaste affirme de plus en plus sa volonté de puissance, défraie la chronique (le tournage spectaculaire aux Philippines d'Apocalypse Now, les multiples problèmes financiers) et joue les nababs dans la grande tradition hollywoodienne. Il est le producteur exécutif d'American Graffiti (G. Lucas, 1973), qui lui rapporte une fortune, achète en 1974 un théâtre, une station de radio et City, un magazine de San Francisco, acquiert des parts dans une compagnie de distribution, s'installe à San Francisco, puis en 1979 à Los Angeles, où il rachète General Studios, ressuscite Zoetrope, engage Michael Powell et Gene Kelly, distribue le Hitler de Syberberg et le Napoléon de Gance, produit un film de Wenders (Hammett), et pleure devant ses employés pour qu'ils continuent, sans être payés, le tournage de Coup de cœur (1981).

Les films de Coppola reflètent les contradictions de leur auteur. Que leur sujet évoque le crime organisé (la mafia des Parrain), l'espionnage (Conversation secrète, qui annonce Watergate) ou la guerre au Viêt-nam (Apocalypse Now), ils ne se réduisent jamais à des solutions simples. Leur richesse tient pour beaucoup à leur ambiguïté. Si le Parrain est une œuvre de facture assez traditionnelle, qui semble exalter la vertu de la famille, sa suite, le Parrain II, entretient avec lui un rapport dialectique. Plus complexe, d'une composition hardie (voyage dans le temps et l'espace), il s'ouvre sur le monde extérieur et la politique et montre comment le pouvoir conduit à la solitude tout en dévoilant les structures ethniques et économiques d'un milieu regardé sans complaisance.Conversation secrète trace le portrait d'un enquêteur qui épie un couple, le filme et l'écoute. Film sur le pouvoir qui détruit autant celui qui le détient que ceux qu'il contrôle, c'est aussi une réflexion sur le cinéma soutenue par un suspense dans la pure tradition américaine (Hitchcock) avec des préoccupations plus cérébrales (Blow Up, d'Antonioni). Apocalypse Now abolit enfin les frontières entre le réel et l'imaginaire. Inspiré du court roman de Conrad Au cœur des ténèbres, le film devient à la fois un cauchemar de l'Histoire (la guerre au Viêt-nam) et le voyage d'un militaire, Willard (Martin Sheen), vers sa propre folie. Véritable opéra de la mort et de la destruction, le film déploie une imagerie grandiose où l'on a pu voir une exaltation ou, au contraire, une condamnation de l'esprit guerrier ; le cinéaste en proposera en 2001 une version augmentée de 53 minutes. Si Coppola aborde en visionnaire le territoire des mythes, il témoigne par la suite d'un curieux penchant pour les sentiments et les clichés en tentant de retrouver le public populaire au lendemain de graves tracas financiers. Coup de cœur, est une histoire d'amour, délibérément stylisée dans les décors minnelliens d'un Las Vegas reconstruit en studio. Outsiders (1983), évocation des rivalités entre gangs de jeunes dans l'Amérique des années 60, semble dépourvu d'ambition. Mais Rusty James (1983), inspiré lui aussi d'une littérature pour adolescents, atteste d'une plus grande audace avec son style expressionniste entre Welles et Cocteau. Avec Cotton Club (1984), film historique sur le monde des gangsters, Coppola tente de renouer avec le succès des Parrain.