Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
A

ANTOINE (André Paul)

scénariste français (Paris 1892 - id. 1982).

Fils d'André Antoine à qui il rend hommage dans son livre Antoine père et fils, journaliste, auteur dramatique, il aborde le cinéma en collaborant au Miracle des loups (R. Bernard, 1924). En 1928, il réalise en collaboration avec Robert Lugéon un documentaire : Chez les mangeurs d'hommes. Son activité est considérable ; il travaille pour Max Ophuls (la Tendre Ennemie, 1936 ; Sans lendemain, 1940 ; De Mayerling à Sarajevo, id.), J. Duvivier (le Golem, 1936), Christian-Jaque (Barbe-Bleue, 1951), J. Renoir (French Cancan, 1955). L'Inévitable Monsieur Dubois (P. Billon, 1943) et le Carrefour des enfants perdus (L. Joannon, 1944) ont connu le succès.

ANTON (Karel)

cinéaste allemand d'origine austro-hongroise (Brünn, [auj. Brno, Tchécoslovaquie], 1898 - Berlin 1979).

Auteur prolifique — près de cent films —, il mène une carrière partagée entre la Tchécoslovaquie, où le film Tonischka (1930) le fait connaître (il s'agit du premier film sonore de ce pays), l'Allemagne, où il se fait prénommer Karl, se spécialise dans l'opérette et la comédie, tourne un Croiseur Sébastopol (Weisse Sklaven, 1938) de facture antisoviétique, assiste Hans Steinhoff pour le Président Krüger (1941), et la France, où de Karl il devient Charles et réalise entre 1932 et 1936 quelques divertissements anodins (il devait revenir curieusement dans les studios français en 1948 pour signer le scénario de Barry [R. Pottier]).

ANTONELLI (Laura)

actrice italienne (Pola [auj. Pula], Yougoslavie, 1941).

Venue au cinéma (1968) après quelques films publicitaires pour la RAI, elle se voit imposer une classification sexy qui répond à son charme mais limite ses possibilités. Égarée dans des entreprises faussement intellectuelles comme Vénus en fourrure, de Max Dillman (Massimo Dallamano) [Le malizie di Venere/Venere nuda, 1975, 1969], elle a plus de succès dans ses rôles secondaires des Mariés de l'an II (J.-P. Rappeneau, 1970) ou de Docteur Popaul (C. Chabrol, 1972). En tête du box-office italien avec Ma femme est un violon... sexe (P. Festa Campanile, 1971) et surtout Malicia (S. Sampieri, 1973), films faits sur mesure pour sa beauté à la fois innocente et sensuelle, elle prouve ses qualités variées dans les sketches de Sexe fou (D. Risi, 1973) et dans une amusante composition « d'époque » : Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ? (L. Comencini, 1974). Elle soutient dignement un rôle écrasant dans l'Innocent (L. Visconti, 1976). Mais une sorte de nonchalance prévaut dans sa carrière, où elle dilapide en quelque sorte sa gentillesse et sa séduction : les Monstresses (L. Zampa, 1977), Mi faccio la barca (S. Corbucci, 1981), les Derniers Monstres (D. Risi, 1982), la Vénitienne (M. Bolognini, 1987), L'avaro (Tonino Cervi, 1990).

ANTONIONI (Michelangelo)

cinéaste italien (Ferrare 1912).

Après des études à Ferrare, puis Bologne (sciences économiques), il se consacre au journalisme. Parti pour Rome en 1939, il collabore à la revue Cinema. Il est envoyé en tant qu'assistant stagiaire auprès de Carné, qui réalise les Visiteurs du soir. Il entreprend en 1943 son premier essai, Gente del Po (CM documentaire) ; mais c'est comme scénariste qu'il participe à Chasse tragique (G. De Santis, 1948) et au Cheikh blanc (F. Fellini, 1952). Après une dizaine de courts métrages, il tourne Chronique d'un amour en 1950, début d'une filmographie relativement peu abondante, héritière pour une part du néoréalisme dans ses constats d'échecs sociaux (les Vaincus — interdit en France jusqu'en 1963... — ou le Cri) et de l'interrogation pavésienne sur la solitude et l'incommunicabilité (Femmes entre elles, L'avventura). C'est ce dernier titre qui vaut à Antonioni la notoriété en 1960, comme il marque une rupture par rapport aux motivations psychologiques traditionnelles et à l'argumentation dramaturgique des films précédents. Par le jeu de la disparition d'une femme sur une île, et qui demeure inexpliquée — dissolution, éclatement de la réalité qu'on retrouvera dans Blow Up, Zabriskie Point, voire la fuite de l'objectif à la fin de Profession : reporter —, Antonioni accuse l'indicible qui sépare les êtres et se détache d'un temps logique du récit. Ainsi, le Cri (avec Alida Valli, Betsy Blair et Steve Cochran), qui peut paraître directement issu de Gente del Po par la voie du compromis néoréaliste, est-il à la fois aboutissement et transition. Si on excepte la scène finale, la caméra y approche la liberté d'écrire sans avoir à se justifier à mesure, sans définir arbitrairement cette part de l'être qui demeure secrète, fragile, immergée dans son espace et sa solitude. C'est cet espace que s'efforcent de cadrer l'Éclipse, la Nuit, le Désert rouge : tout y est en relation, et tout y est obstacle, clôture, solitude...

La fortune de ces films est due pour une part à ce qu'ils correspondent alors à un phénomène de sensibilité : l'incommunicabilité, la déshumanisation de la vie, l'agression du monde (si visuelle dans le Désert rouge), que regardent, impuissants, Monica Vitti ou Marcello Mastroianni, et, jusqu'au sentiment poignant de l'effacement du réel, David Hemmings dans Blow Up. Le néoréalisme, assez paradoxalement, a fait le lit du nouveau mal de vivre hérité, après l'effondrement des valeurs occidentales, de Sartre, ou de Pavese, dont Antonioni adapte le roman Femmes entre elles. Alors que, en 1967, comme à l'avant-garde d'une génération nouvelle, Marco Bellocchio s'en prend, dans les Poings dans les poches, à ce qui survit des valeurs condamnées, Antonioni s'oriente — avec, il est vrai, une incomparable élégance — vers l'exploration intimiste d'une faillite de civilisation que le Désert rouge amorce, puis que Zabriskie Point, tourné aux États-Unis pour la MGM, veut traduire par une gestuelle proche des attitudes et des représentations naïves d'une jeunesse en attente de révolte. On voit ainsi l'esthète désenchanté, sauf, peut-être, de son propre poème visuel, glisser de la mystérieuse Avventura à l'explosion répétitive qui conclut Zabriskie Point, puis à l'angoisse policière de Blow Up. Ce sont les progrès successifs d'un effacement : souvenons-nous que Blow Up s'achève, s'évanouit sur la répétition d'un simulacre : échange de balles imaginaires à quoi répondra le plan-séquence techniquement admirable de champs/contre-champs dans le hall de l'hôtel de Venise (Identification d'une femme) : mais il semble alors que, dans le no man's land esthétisant où nous sommes parvenus, ni le portrait ni son modèle ne nous proposent plus d'identification ; la réalité humaine des protagonistes s'est elle-même dissipée... Antonioni célèbre, d'une certaine manière, l'impossible innocence, que l'Occident a perdue. Mais il y a beaucoup de naïveté dans l'approche de la Chine (dans le film qu'il réalise pour la RAI), et trop d'artifices dans Profession : reporter. Le « nouveau sentiment de la réalité » (pour citer Alberto Moravia) qui sous-tend son œuvre depuis le Cri et L'avventura, explore d'abord un espace-temps où l'individu dans sa solitude tient la place prééminente. C'est ce qui fait que la trilogie (L'avventura, la Nuit, l'Éclipse), dans laquelle passent aussi les visages de Jeanne Moreau et d'Alain Delon, possède un pouvoir d'émotion sous le glaçage nocturne de l'image, une fascination (d'aucuns parlent plutôt de mystification) qui s'exerça en dépit des huées reçues, en 1960, au festival de Cannes, jusqu'à une date récente. Un désarroi se décèle pourtant chez le cinéaste, comme si, à la dissolution du réel, il ne parvenait plus à opposer une invention créatrice (Identification d'une femme). Les formes, les êtres se seraient-ils vidés de tout pouvoir, échappant à la saisie poétique, par effacement, comme la caméra, à la fin de Profession : reporter, échappe inexplicablement, par un travelling dans l'espace, à la chambre abandonnée ? À l'évidence, Antonioni est un cinéaste de la solitude. Son univers nocturne, déserté, et qu'habite le silence, où les paroles inutiles, convenues et dérisoires ne retiennent aucune dérive de s'accomplir, a su refléter un monde qui, pour une part, est aussi le nôtre. Et rien n'est jamais vulgaire, ni démagogique, ni dramatiquement exagéré dans son œuvre. C'est un cinéma de la « sous-conversation », ainsi que l'on a défini les romans de Nathalie Sarraute. Intellectuel et lyrique à la fois, Antonioni occupe, face à cette réelle impasse, une place bien particulière. L'importance qu'il accorde à l'esthétique est différente, dans sa nature même, du raffinement de Visconti, du baroque ironique de Fellini ; son sens de la réalité a pris, très tôt, ses distances par rapport à De Sica, à Lattuada. Après plusieurs années d'inactivité pour raisons de santé, il revient au cinéma avec l'appui de Wim Wenders (Par-delà les nuages, 1995).