Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
I

IRAN.

Sans doute est-ce inattendu : le premier film « persan » est tourné le 18 août 1900 sur la plage... d'Ostende, en Belgique, par le photographe du chah Moẓaffar al-Din. Le shah, qui vient d'acquérir en France un appareil de prise de vues, a chargé Mirzâ Ibrâhîm Khân d'enregistrer sur pellicules les scènes qui l'amusent ou qui jalonnent la vie de la Cour. Cette lubie gagne naturellement les notabilités, et le cinéma amateur contamine bientôt la haute société du pays, phénomène à rebours de ce qui se passe alors dans presque tous les pays du monde — excepté le Siam. Le Kinetoscope Edison fait son apparition (en 1905, dit-on) grâce à Sahâf Bâshi, qui ouvre une première salle à Téhéran, bientôt suivi (en 1907) par Russi Khân, qui se dote d'une salle affichant 600 places, programme les films Pathé, Max Linder, les séries de Rigadin. Les troubles qui conduisent à la chute de la dynastie Quâdjâr entraînent le pillage des films et du matériel. Le successeur à l'initiation semble avoir été l'Arménien Ardashes Badgramian (Ardachir Khân pour les Persans), qui a fréquenté à Paris les studios Pathé et ouvre une salle à Téhéran vers 1912. D'autres salles popularisent peu à peu le 7e art, héritier des ombres magiques — que d'ailleurs on ne pratique plus —, au gré de séances qui sont réservées tantôt aux hommes, tantôt aux femmes. La Seconde Guerre mondiale fera adopter la mixité, sous l'œil ou bien complice ou bien furieux du clergé. En 1932, on dénombre huit salles dans la capitale et quelques-unes en province : Tabriz, Iṣpahan...

En 1924, Shoedsack et Cooper tournent leur grand film documentaire, Grass, sur la transhumance. Mais c'est une production étrangère. La Perse ne produit encore que des actualités : ‘ le Couronnement de Rezâ Châh ’ en 1926. Les essais de comédies inaugurent les années 30, copiant les succès publics de Doublepatte et Patachon dont les aventures viennent du Danemark ! Ces petits films à trucages et à poursuites sont dus encore à un Arménien, Ohanian, formé en URSS, et fondateur, dès 1931, d'une école de cinéma à Téhéran. Les élèves de cette école, dirigés par un nommé Ibrahim Moradi, interprètent un moyen métrage mi-comédie, mi-mélo : ‘ le Capricieux ’ (Bolhavas, 1932). Mais le parlant, avec ‘ la Fille de la tribu Lor ’ (Dokhtar Lor, id.), tourné en Inde par Abol Husayn Sepenta (1907-1969), puis ‘ les Yeux noirs ’ (Tchechmâne Châh, 1934), consacré à la conquête de l'Inde par Nâder Châh, réalisé dans les mêmes conditions, sont des triomphes. Sepenta, véritablement le premier cinéaste iranien à part entière, signera également la même année une biographie romancée d'un célèbre poète national, Ferdowsi, et deux légendes lyriques : ‘ Chirin et Farhad ’ (id.) ; ‘ Layli et Majnun ’ (1935). Le coup d'arrêt vient, selon Sepenta, des compagnies américaines, inquiètes de voir se développer une production indépendante et concurrentielle. La première phase du cinéma en Iran — qui est encore la Perse — s'achève comme elle a commencé, par de banales actualités sur la vie de la Cour ou des bandes vaguement documentaires sur les trésors, les palais ou les paysages, dues pour la plupart au représentant de la Fox à Téhéran, Stefan Naymân.

La plus ancienne société de production, Mitrafilm (devenue en 1947 la Parsfilm), est fondée, pour le tournage du ‘ Tourbillon de la vie ’ (Ṭufâne Zendegi, Muḥammad Ali Daryâbegi, 1947), par Ismâil Kuchân. Les mélodrames se suivent : 49 films en sept ans ; on peut surtout en retenir une œuvre picaresque et drôle, Amir Arsalân, de Châpur Yâsemi (1954). En 1950, on compte 80 salles, dont vingt saisonnières. En 1957, il y a 22 compagnies de production. Chanteurs et gens de théâtre s'intéressent alors au cinéma. On recopie ou on « s'inspire » des films chantés hindi... L'acteur Majid Moḥseni réalise ‘ le Truand chevaleresque ’ (Lât-e Javanmard, 1957) d'après Dach Akol, nouvelle de Ṣâdeq Hedâyat. C'est l'arrivée sur l'écran des truands, souvent au grand cœur. Ils apportent une « anarchie » que Farrogh Ghaffari se voit interdire par la censure (‘ le Sud de la ville ’ [Jonube Charhr, 1958]) parce que son propos est par trop réaliste. Il tourne ensuite un conte adapté des Mille et Une Nuits : ‘ la Nuit du bossu ’ (Chab-e Quzi, 1963), puis un conte comique, ‘ le Canon en marche ’ (Zanburak, 1973). Né, comme Ghaffari, en 1922, Ibrâhim Golestân signe des films aigus et personnels — sans succès public : ‘ la Brique et le Miroir ’ (Khecht va Âyeneh, 1965) ; ‘ le Trésor ’ (Gandj, 1973). La fin des années 60 marque un divorce évident entre les essais les plus intéressants de cinéma d'auteur et le grand public — dont la nouvelle bourgeoisie — qui ne s'intéresse qu'aux films étrangers (américains, français, toujours doublés en farsi) ou aux médiocres mélos nationaux. Le marché accueille 76 films iraniens en 1971-72. Il y a 440 salles en Iran, dont 128 dans la capitale. Le ministère de la Culture et des Arts gère la profession et la censure. L'enseignement est dispensé par l'École supérieure de la télévision et du cinéma et les Beaux-Arts (Téhéran). L'exportation trouve des débouchés dans les pays limitrophes, et la première session d'un festival international très conventionnel se tient en 1972 à Téhéran.

Des œuvres émergent régulièrement qui témoignent surtout d'une vague créatrice pratiquement née avec les années 70, tandis que sur les campus on réalise en super-8 des courts métrages souvent saisissants comme l'art brut — c'est le « cinéma Âzâd » (libre) ; mais ces témoignages sans négatif de sauvegarde sont peu à peu détériorés et disparaissent. Les cinéastes qui se révèlent d'autre part ne constituent pas une école, ils œuvrent au contraire dans les directions les plus différentes : les chroniques paysannes avec ‘ la Vache ’ (Gâv) de Dariush Mehrjui* (1969) ou Balutch de Mas'ud Kimyâ'i* (1972), ou héroïques avec Dach Akol, meilleure adaptation du récit de Hedâyat (Kimyâ'i, 1971) ; l'intimisme avec ‘ l'Averse ’ (1972), premier film de Bahrâm Beyzâ'i* ; ‘ Nature morte ’ (Tabi'at-e bi Djân), derniers jours de travail d'un vieux garde-barrière, un très beau film de Sohrâb Shahid-Saless* (1974). Citons d'autre part Amîr Nâderi* (Tangsir, 1973), et Parviz Kimiâvi* ; Bahman Farmânârâ, ou le prolixe Ali Ḥatemi. De la vie paysanne au lyrisme des légendes, à l'enfer aussi de Téhéran, dont le Cycle révèle avec un talent brutal les trafics (D. Mehrjui, 1974), un cinéma national se lève, que la révolution islamique anéantit soudain. Pendant le règne de l'Ayatollah Khomeyni l'industrie cinématographique demeure en veilleuse et le nombre de films tournés n'excède pas deux ou trois par an. Le cinéma souffre d'une campagne contre son «  immoralité  » et d'une censure qui va du contrôle préalable des productions à la surveillance de tous les détails faisant l'objet d'interdits religieux. Pourtant, l'industrie du cinéma reprend son développement, dépassant les cinquante longs métrages annuels dans les années 90 et attirant l'attention sur de nombreux cinéastes présents dans les festivals du monde entier. La Fondation Farabi, émanation du ministère de la Culture et de l'Orientation islamique, soutient la production, la diffusion et l'exportation. L'Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes, institution héritée du régime du Shah, soutient de nombreux cinéastes dans leur travail avec des enfants, parmi lesquels Abbas Kiarostami*, qui a obtenu le plus de récompenses en Iran et à l'étranger. Mohsen Makhmalbaf* (né en 1957), prisonnier politique à l'époque du Shah, écrivain et militant islamiste, qui fut considéré quelque temps comme un cinéaste officiel du régime, a réalisé onze longs métrages depuis 1982, souvent très libres, voire dérangeants, comme le Cycliste (Bicycleran, 1989). Les meilleurs cinéastes savent évoquer avec indépendance les déshérités, la corruption, la situation des femmes, les effets de la guerre contre l'Iraq et, parfois, les grandes traditions culturelles persanes et les minorités régionales. Certains observateurs ont pu s'étonner de trouver parmi ces travaux des œuvres réalisées par des femmes : Rakhstan Bani Etemad, avec, notamment, la Banlieue (Kharedj mahdodeh, 1989) et Nargess (id., 1992), Tahminek Milani, avec la Légende de Ah (Afsane-yé Ah, 1991), Pouran Darakhsandeh, avec le Petit Oiseau du bonheur (Parendeh-yé koutchaké khoshbakhti, 1988). Parfois connus à l'étranger grâce aux festivals et à la politique de la Fondation Farabi, quelques noms s'imposent : Massoud Jafari Jozani, réalisateur, après des études en Californie, de plusieurs films, dont le Lion de pierre (Shir é sangi, 1987) ; Nasser Taghvaï, avec, notamment, Capitaine Khorshid (Nakhoda Khorshid, 1987) ; Ô Iran (1990) ; Ali Hatami, avec la Mère (Madar, 1990) ; Kiyânush Ayyâri, avec 'l'Homme d'Abadan (Abadani-Ha, 1993) ; Saïd Ebrahimifar, avec Nar-o-Ney (1989).