Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
H

HONGRIE. (suite)

Avec un enthousiasme fébrile, on décida de réaliser de nombreux films adaptés des grandes œuvres de la littérature mondiale progressiste. Les « 133 jours » furent trop courts pour mener à bien ces projets ambitieux. Néanmoins, 31 longs métrages furent réalisés par Sándor Korda, Béla Balogh, Márton Garas, Oszkár Damó, Alfréd Deésy, Pál Aczél, Ödön Uher, Károly Lajthay, Pál Sugár, Möric Miklós Pásztory, Cornelius Hintner, Joseph Stein, Béla Geröffy, Gyula Szöreghy, Sándor Pallos et Dezsö Orbán. Seul le film de ce dernier, Hier, a pu être retrouvé. Tous les autres ont disparu. La Terreur blanche qui suivit la chute de Béla Kun ruina l'industrie du cinéma. Fuyant arrestations et persécutions, la plupart des réalisateurs, qui avaient été actifs durant la république des Conseils, gagnèrent l'étranger. Les distributeurs réintégrés dans leurs privilèges tentèrent de sauver les apparences. On réalisa de 1919 à 1922 près de 86 films d'un assez médiocre niveau artistique. En 1923, la crise éclate, et ses conséquences sont immédiates. Les distributeurs se désintéressent peu à peu du film hongrois, préférant acheter des films étrangers, loués à haut prix aux exploitants. Béla Balogh, auteur de Blanche Colombe dans la cité noire (Fehér galambok a fekete városban, 1923), émigre après avoir cherché douze mois durant un exploitant pour son film les Enfants de la rue Pál (Pál utcaï fiúk). Le plus prometteur des réalisateurs hongrois de l'époque, Pál Fejós* (Paul Fejos), suit la même voie et part pour les États-Unis après avoir laissé inachevées les Étoiles d'Eger. La banqueroute est grande. Les firmes ferment leurs portes les unes après les autres. En 1929, le cinéma hongrois n'existe pratiquement plus. L'année suivante, aucun film n'est mis en chantier. La production ne reprend que modestement à partir de 1931. Pál Fejós revient dans son pays tourner pour le compte d'une compagnie française Marie, légende hongroise (1932), mais le film, pourtant remarquable à bien des égards, ne remporte guère de succès. Après un nouvel échec (Tempêtes, id.), Fejós se décourage et émigre définitivement, laissant les écrans hongrois à des artisans sans génie qui s'évertuent à imiter le style d'Ernst Lubitsch. István Székely* et Béla Gaal remportent de confortables succès avec des comédies légères. Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, les « films limonade » (opérettes tziganes, drames mondains) submergent le marché. Aussi est-ce avec un certain étonnement qu'on note en 1942 l'apparition d'une œuvre plus originale, les Hommes de la montagne (Emberek a havason), d'un jeune metteur en scène, István Szöts*. Aujourd'hui, Szöts, qui n'a pu bâtir l'œuvre qu'il portait en lui à cause des vicissitudes politiques de son époque, est considéré à juste titre comme le véritable père du cinéma hongrois moderne. En 1945, la production tombe à trois films. Les studios sont détruits. Pendant trois années, les films seront produits par quatre partis de la coalition gouvernementale. Ce n'est qu'en 1947 que se situent certains changements profonds, dont la fin du financement des films par des entreprises privées. La même année, un film de Géza Radványi*, Quelque part en Europe, attire l'attention internationale sur le cinéma hongrois. La nationalisation intervient le 21 mars 1948, année qui sera marquée par la réalisation d'Un lopin de terre (Talpalatnyi föld), de Frigyes Bán*.

L'étincelle, si l'on se place du moins au niveau strictement artistique, sera de courte durée. De 1949 à 1953, la Hongrie se stalinise à outrance : c'est l'époque des procès politiques, de la guerre froide. L'art sera réaliste-socialiste ou ne sera pas. Le Jdanov hongrois se nomme Jószef Révai. Le schématisme idéologique est absolu. Seul le héros positif a droit de cité sur les écrans. Le réveil n'a lieu qu'un an après la mort de Staline et la mise à l'écart de Révai. Liliomfi (1955), de Károly Makk*, Printemps à Budapest (id.) de Felix Máriássy* et surtout Un petit carrousel de fête (id.) et Professeur Hannibal (1956) de Zoltán Fábri*, annoncent une véritable renaissance du cinéma en Hongrie. Renaissance du cinéma mais aussi naissance de véritables auteurs, comme Makk, Fábri, Máriássy et plus modestement László Ranódy*, Imre Fehér*, György Revesz*, János Herskó*, qui viennent épauler les « vétérans » Viktor Gertler, Frigyes Bán ou Marton Keleti. Les événements de 1956 ne vont pas entièrement réduire à néant les tentatives entreprises pour créer un cinéma résolument moderne, engagé et responsable. Mais la crise morale a des répercussions indéniables sur les cinéastes, et les œuvres tournées entre 1957 et 1962 reflètent d'une manière plus ou moins voilée les angoisses de la « génération moyenne », dont la vie a suivi les méandres tragiques de l'histoire.

Le « nouveau cinéma » hongrois.

Favorisé par un contexte politique plus libéral, le « nouveau cinéma hongrois » commence à s'imposer dès 1962. La création du studio Béla Balázs, en 1960, permet aux jeunes réalisateurs d'éprouver leur talent en tournant des courts métrages selon une formule qui se révélera particulièrement heureuse (décision prise en commun des scénarios à tourner, gestion financière de l'entreprise — les fonds leur étant confiés par l'État — assurée par les membres du studio). À partir de 1960 et surtout de 1962, une plus grande liberté dans le choix des thèmes annonce un renouvellement, dont vont bénéficier les jeunes cinéastes qui sortent du studio Béla Balász. Peu à peu, les films hongrois remportent des succès dans les festivals internationaux et on peut parler d'une Nouvelle Vague hongroise, qui suit de près l'éclosion du jeune cinéma tchécoslovaque. István Gaál* (Remous, 1963 ; les Vertes Années, 1965 ; les Faucons, 1970), Ferenc Kardos et János Rózsa (Grimaces, 1965), István Szabó* (l'Âge des illusions, 1964 ; Père, 1966), Ferenc Kósa* (Dix Mille Soleils, 1967), András Kovács* (Jours glacés, 1966 ; les Murs, 1967), Tamás Rényi (Impasse, 1966), Pal Zolnay* (le Sac, id.), l'ex-opérateur Sándor Sára* (la Pierre lancée, 1969), Péter Bacsó* (le Témoin, 1969) sont les nouveaux metteurs en scène les plus talentueux. Bénéficiant du courant favorable, caractérisé généralement par une grande franchise dans les thèmes les plus divers (affrontement des destins individuels dans un contexte politique troublé, évocation de l'évolution des communautés paysannes au XXe s., description de la vie des étudiants, des ouvriers, etc.), certains auteurs, János Kerskó (Dialogue, 1963) ou Zoltán Fábri (Vingt Heures, 1964), tournent leurs œuvres les plus significatives. Un nouveau cinéaste, Miklós Jancsó*, déjà réalisateur de plusieurs longs métrages (Cantate, 1963 ; Mon chemin, 1964), met en scène, en 1965, les Sans-Espoir et, en 1967, Rouges et Blancs ainsi que Silence et Cri, et s'impose comme l'un des grands cinéastes contemporains d'envergure internationale. La production est effectuée par un organisme d'État nommé Mafilm. Dans le cadre de cette entreprise travaillent quatre groupes de production consacrés au long métrage. Chaque groupe de production dispose d'un budget accordé annuellement par l'État, dont ils peuvent disposer à leur guise. La distribution des films à l'étranger est assurée par Hungarofilm. (Il n'est pas indifférent de noter que deux personnes — István Dosai à la direction et Klará Kristóf pour les relations internationales et la vente à l'étranger — assureront pendant une vingtaine d'années avec un talent certain la défense du cinéma hongrois dans le monde à travers cet organisme.)