Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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WESTERN. (suite)

Mais ce n'est là, pour ainsi dire, que la partie émergée de l'iceberg. La production de série B n'a nullement disparu ; sa qualité moyenne est élevée, avec quantité de films logiquement construits autour de leur « star », l'inexpressif mais éloquent Randolph Scott (qui avait été Wyatt Earp dans Frontier Marshall de Dwan), l'inexpressif et insignifiant Audie Murphy — « le soldat américain le plus décoré de la Seconde Guerre mondiale » — ou encore Rory Calhoun. De nombreux metteurs en scène travaillent avec constance dans le genre, réalisant parfois des œuvres estimables ; citons pêle-mêle Rudolph Maté (Horizons lointains, 1955 ; Terre sans pardon, 1956), David Butler (La poursuite dura sept jours, 1954), Joseph Newman (Tonnerre apache, 1961), Harry Keller (les Sept Chemins du couchant, id.), Edward Ludwig (le Justicier de l'Ouest, 1963), Gordon Douglas (Rio Conchos, 1964), George Marshall (la Vallée de la poudre, 1958, western comique)...

La période de 1950 à 1965 fut d'une extraordinaire richesse, permettant à de véritables auteurs de s'affirmer tout en respectant, au moins en apparence, les servitudes d'une production de série, qu'il s'agisse de Budd Boetticher (qui dirigea Randolph Scott dans plusieurs films, écrits par Burt Kennedy, à l'efficacité rigoureuse et comme schématique), d'André De Toth (la Trahison du capitaine Porter, 1953 ; la Chevauchée des bannis, 1959), d'Ulmer (le Bandit, 1955, western mexicain) ou de Tourneur (Un jeu risqué, id.), voire de Fuller (le Jugement des flèches, 1957 ; Quarante Tueurs, id.). Dans le même temps, les « vétérans » semblent renouer avec l'inspiration de leurs débuts : Dwan adapte Bret Harte (Le mariage est pour demain, 1955), King signe Bravados (1958) ; Walsh, avec une élégante désinvolture (les Implacables, 1955 ; le Roi et quatre reines, 1956), Hawks, avec une rigueur systématique (Rio Bravo, 1959), Hathaway, avec détermination (les Quatre Fils de Katie Elder, 1965), continuent à illustrer le genre. Quant à Ford, il en exprime, de manière pathétique, l'évolution thématique : l'opposition entre la civilisation et la sauvagerie va jusqu'à s'inverser (les Cheyennes, 1964) ; tel Moïse au seuil de la Terre promise, l'homme de l'Ouest est rejeté de la communauté, il ne jouit pas de la transformation (qu'il a rendue possible) du désert en jardin (l'Homme qui tua Liberty Valance, 1962, et, déjà, la Prisonnière du désert, 1956, film clé de l'œuvre).

On s'accorde généralement à considérer que les genres hollywoodiens subissent une crise à partir de 1960 environ. Le western n'échappe pas à la règle, même s'il évolue et si la mort du genre a été annoncée à d'innombrables reprises. « Le western narrant la fin de l'Ouest, on a cru qu'il s'agissait de la fin du western » (J.-L. Leutrat). Il n'en est pas moins vrai qu'à partir de 1960 se multiplient les images de mort et de vieillissement, en même temps que les réalisateurs s'attachent de plus en plus à « démystifier » — mieux vaudrait écrire « démythifier » — le genre. Tendance renforcée par la disparition du western de série B, davantage respectueux des stéréotypes du genre, et dont la place est maintenant occupée par les feuilletons télévisés (Bonanza, Gunsmoke...) et par les œuvres confectionnées à Cinecittà (s'il est tentant de voir dans le phénomène du « western-spaghetti » un autre symptôme du déclin du genre, il convient de se rappeler que le western a été imité en Europe, en France notamment avec Arizona Bill, dès 1910). Si bien que la vaste gamme du western hollywoodien s'est réduite au surwestern (même les films de Monte Hellman n'infirment cette règle qu'en apparence), à des œuvres chargées de « messages » et souvent de nostalgie, où la fidélité même aux lois du genre ou à certains interprètes accentue l'impression de vieillissement : Gary Cooper, déjà cité, mais aussi Joel McCrea et Randolph Scott dans Coups de feu dans la Sierra (S. Peckinpah, 1962), Rory Calhoun dans le Justicier de l'Ouest (E. Ludwig, 1963), Charlton Heston dans Will Penny le Solitaire (Tom Gries, 1968), Robert Ryan et William Holden dans la Horde sauvage (Peckinpah, 1969), Holden dans Deux Hommes dans l'Ouest (B. Edwards, 1971), John Wayne enfin dans le Dernier des géants (Siegel, 1976).

Ces interprètes vieillis, qui incarnent l'homme de l'Ouest, désignent la mort, mais aussi l'idéalisation, ce qui contredit donc la volonté de démystification, laquelle s'exerce pourtant d'au moins deux manières. Pour l'époque « classique », on recherche une vérité « historique » nue, débarrassée des oripeaux de la légende : citons le Gaucher de Penn (1958) et Billy le Cave de Stan Dragoti (1972), tous deux sur Billy le Kid ; également de Penn, Little Big Man (1970), où le personnage du général Custer est non seulement critiqué comme dans Fort Apache, mais ridiculisé et accusé de génocide ; Buffalo Bill et les Indiens d'Altman (1976), où le personnage du colonel Cody subit, en dépit de l'interprétation de Paul Newman, un traitement similaire. Dans de nombreux cas, il semble que ces œuvres ne soient ni plus ni moins véridiques que celles qui les ont précédées, et renversent les stéréotypes au lieu de les détruire. D'autre part, on note une tendance à s'éloigner des années 1860-1890 et à rapprocher l'action jusqu'au début de ce siècle, ce qui présente plusieurs avantages. Une impression d'originalité, puisque la période a été moins souvent exploitée à l'écran ; le sentiment que l'Ouest symbolise, par rapport à l'Europe et à l'est des États-Unis, non plus l'avenir mais le passé, sentiment que traduit la juxtaposition incongrue de l'Ouest et de la technologie moderne (bicyclette dans Butch Cassidy et le Kid, Roy Hill, 1969 ; automobile dans Un nommé Cable Hogue, Peckinpah, 1970). Enfin l'accent est mis sur le fait que l'Ouest n'a pas été épargné par l'« idéologie dominante » des grandes puissances, des États-Unis notamment, qu'il n'a échappé ni à l'essor du capitalisme (John McCabe , Altman, 1971 ; les Moissons du ciel, T. Malick, 1978 ; la Porte du paradis, M. Cimino, 1980), ni à celui de l'impérialisme (la Horde sauvage, 1969 ; les Cent Fusils, Tom Gries, id.).