Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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FETCHIT (Lincoln Theodore Perry, dit Stepin) (suite)

Ce cliché vivant du Noir lent, peureux, souriant et soumis est surtout intéressant pour ce qu'il révèle de l'attitude hollywoodienne envers les Noirs, pendant une longue période. Sa silhouette familière et dégingandée a traversé nombre de films des années 30, Fox pour la plupart : Show Boat (Harry Pollard, 1929) ; Carolina (H. King, 1934) ; Judge Priest (J. Ford, id.) ; David Harum (J. Cruze, id.). À mesure qu'Hollywood perdait son innocence, il s'est fait, inévitablement, plus rare.

FEUILLADE (Louis)

cinéaste français (Lunel 1873 - Nice 1925).

C'est le « troisième homme » du cinéma français muet, après Lumière et Méliès, dont il constitue une parfaite synthèse, héritant du premier le goût de la réalité prise sur le vif (l'un de ses objectifs explicites fut de fixer « la vie telle qu'elle est »), de l'autre le sens du spectacle et de l'imaginaire contrôlé (il créa aussi le « film esthétique », qui ambitionnait de « produire une impression de pure beauté »). Cette double et paradoxale orientation fait de lui le précurseur incontesté (avec Victorin Jasset) de l'école dite du « réalisme poétique ». Alain Resnais admire son art de faire surgir le merveilleux de la réalité quotidienne la plus banale (des rues, des docks, des palissades) ; Georges Franju, qui lui rendit hommage en 1963, dans son remake de Judex, le décrit comme le maître de la « magie orthochromatique, inaltérable au temps » ; André Delvaux glisse un extrait de Fantômas dans Rendez-vous à Bray (1971) ; et Francis Lacassin, son infatigable exégète, découvre dans ses films les plus oubliés « le fantastique tapi derrière le naturel, l'irréalité des apparences ». Feuillade apparaît — pour reprendre le titre d'un de ses courts métrages — comme une sorte d'homme aimanté, qui attire à lui le mystère du réel. Ajoutons qu'à la tête des Établissements Gaumont il fut, pendant de longues années, un directeur de service économe et vigilant, sachant combiner habilement l'art et les impératifs du commerce.

Son œuvre est considérable : près de 700 films (dont 12 longs métrages à épisodes ou serials), écrits et réalisés entre 1906 et 1925, sans compter une centaine de scénarios, à ses débuts, pour Alice Guy, Étienne Arnaud et Roméo Bosetti. On y trouve à la fois des scènes mythologiques, des reconstitutions historiques, des vaudevilles, des mélodrames, des burlesques, des féeries, des drames de guerre, des tableaux patriotiques ou religieux, des films d'aventures. Il excelle surtout dans le genre comique (la série des Bébé et des Bout-de-Zan), mais c'est le film policier et le film à épisodes qui vont l'imposer définitivement. En 1913 et 1914, il tourne la série des Fantômas (cinq films d'une quarantaine de minutes chacun, avec René Navarre), d'après l'œuvre de Pierre Souvestre et Marcel Allain, qui connaîtra un succès prodigieux — à l'écran tout autant qu'en librairie. Suivront, en pleine guerre, les Vampires, vaste fresque criminelle où les surréalistes voudront voir plus tard « la grande réalité de ce siècle ». L'effrayant génie du crime cède la vedette à une séduisante égérie opérant en collant noir, la belle Musidora. La paix revenue, Feuillade tournera encore deux grands cinéromans à épisodes, dont le héros, Judex, incarne cette fois les forces du bien. Moins célèbres, Tih Minh (1918) et Barrabas (1919) contiennent également de beaux éclats de baroque visuel.

Feuillade fut, de son vivant, vilipendé par la critique. Louis Delluc, tout le premier, stigmatisa ses « abominations feuilletonesques », tout en leur reconnaissant un brio technique « supérieur à toute la production française » de l'époque. Il est vrai que Feuillade ne s'embarrassait pas de préciosités formelles ; mais il avait un sens très pur de la narration et du rythme. « Un film, écrivait-il en 1920, n'est pas un sermon, ni une conférence, encore moins un rébus, mais un divertissement des yeux et de l'esprit. La qualité de ce divertissement se mesure à l'intérêt qu'y prend la foule pour laquelle il a été créé. » Se définissant lui-même en toute humilité comme un « ouvrier du mélodrame », il sut toucher le cœur du grand public et édifier un univers authentiquement populaire. On ne trouve à lui comparer, à cet égard, que Griffith ou Fritz Lang.

Le gendre de Louis Feuillade, Maurice Champreux (1893-1976), après avoir été son chef opérateur, termina son dernier film, le Stigmate, et devint réalisateur à son tour. — Le petit-fils Jacques Champreux (né en 1930) est comédien, scénariste (il a collaboré au Judex de Georges Franju) et metteur en scène.

Films :

— Principales séries : les Heures (1909) ; le Film esthétique (1910) ; les Sept Péchés capitaux (id.) ; Bébé (1910-1913) ; la Vie telle qu'elle est (1911-12) ; les Enquêtes du détective Dervieux (1912-13) ; Bout-de-Zan (1913-1916) ; Fantômas (5 films : Fantômas, Juve contre Fantômas, le Mort qui tue, Fantômas contre Fantômas, le Faux Magistrat, 1913-14) ; la Vie drôle (1913-1918) ; les Vampires (10 films : la Tête coupée, la Bague qui tue, le Cryptogramme rouge, le Spectre, l'Évasion du mort, les Yeux qui fascinent, Satanas, le Maître de la foudre, l'Homme des poisons, les Noces sanglantes, 1915-16) ; Belle Humeur (1921-22). — Serials : Judex (1917) ; la Nouvelle Mission de Judex (1918) ; Tih Minh (id.) ; Vendémiaire (id.) ; Barrabas (1919) ; les Deux Gamines (1920) ; l'Orpheline (1921) ; Parisette (id.) ; le Fils du flibustier (1922) ; l'Orphelin de Paris (1923) ; Vindicta (id.) ; le Stigmate (1925). — Divers : Dans la brousse (1912) ; l'Agonie de Byzance (1913) ; Severo Torelli (1914) ; l'Homme sans visage (1919) ; le Gamin de Paris (1924) ; Lucette (id.).

FEUILLÈRE (Edwige Cunati, dite Edwige)

actrice française (Vesoul 1907 - Paris 1998).

L'évolution de ses rôles et la courbe de sa carrière montrent ce qu'une discipline rigoureuse, un contrôle permanent et une volonté inflexible peuvent faire d'une actrice que le cinéma cantonne à ses débuts dans des rôles polissons : Une petite femme dans le train (K. Anton, 1931) ; les Aventures du roi Pausole (A. Granowski, 1933). Elle prend appui sur son expérience du théâtre qui la mène à la Comédie-Française pour affiner son jeu, exploiter les ressources d'une voix de gorge et aborder indifféremment le drame ou la comédie, voire la reconstitution historique : Lucrèce Borgia (A. Gance, 1935) ; Golgotha (J. Duvivier, id.). Elle joue dans les années 30 les aventurières au grand cœur et les espionnes sentimentales (Marthe Richard, R. Bernard, 1937 ; l'Émigrante, L. Joannon, 1939 ; Sans lendemain, Max Ophuls, 1940), tout en se réservant de rire de son personnage (J'étais une aventurière, Bernard, 1938). Sa composition d'archiduchesse (De Mayerling à Sarajevo, Max Ophuls, 1940) l'oriente vers les rôles qui vont établir son prestige et en même temps glacer son jeu en raison de sa perfection même (la Duchesse de Langeais, J. de Baroncelli, 1942 ; l'Idiot, G. Lampin, 1946 ; l'Aigle à deux têtes, J. Cocteau, 1948). En même temps, elle détaille en virtuose la comédie : l'Honorable Catherine (M. L'Herbier, 1943) ; Adorables Créatures (Christian-Jaque, 1952) ; les Amours célèbres (M. Boisrond, 1961). Dans En cas de malheur (C. Autant-Lara, 1958) et la Chair de l'orchidée (P. Chéreau, 1975), elle aborde avec aisance des emplois pour elle inhabituels.