Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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URSS. (suite)

Les premiers cinéastes se nomment Vassili Gontcharov (Mazeppa, 1909 ; Pierre le Grand, 1910 ; Roussalka, id. ; Eugène Onéguine, 1911 ; la Défense de Sébastopol, id. ; Histoire des Romanov [CO Tchardynine, 1913]) ; Petr Tchardynine* (Un mariage russe au XIVe s., 1909 ; l'Idiot, 1910 ; la Dame de pique, id. ; la Sonate à Kreutzer, 1911 ; le Quartier des travailleurs, 1912 ; les Chrysanthèmes, 1914) ; Yakov Protazanov* (la Fontaine de Bakhtchissaraï, 1909 ; la Nuit de mai, 1910 ; la Dame de pique, 1916 ; le Père Serge, 1917-18 ; Andreï Kojoukhov, 1917) ; Vladimir Gardine* (Anna Karenine, 1914 ; Une nichée de gentilshommes, 1915), et surtout Evgueni Bauer* (le Bossu K., 1913 ; la Vie dans la mort, 1914 ; Résurrection, 1915 ; le Tocsin, 1917). Certains acteurs deviennent de grandes vedettes, à l'instar de leurs homologues américains, comme Natalia Lissenko*, Vera Kholodnaia*, Vladimir Maksimov, Vitold Polonski et Ivan Mosjoukine*.

Parmi ces films, bien peu sont entrepris dans un souci de recherche artistique (à l'exception de certaines œuvres de Bauer), et les essais plus ou moins expérimentaux (comme Drame au cabaret futuriste no 13 [1914] de Vladimir Kassianov) ou les deux œuvres de Vsevolod Meyerhold*, le Portrait de Dorian Gray (1915) et l'Homme fort (1916), font figure d'exception.

La révolution de 1917 : cinéma et propagande.

L'année 1917 bouleverse la Russie. On note l'apparition du premier film antitsariste (le Révolutionnaire de Bauer). Lorsque éclate la révolution, le cinéma n'a pas d'assises très solides, mais il a déjà su s'attirer la complicité d'un public nombreux. Les partisans du nouveau régime comprendront très vite l'impact populaire de cet exceptionnel moyen de propagande. Pendant quatre années, de 1918 à 1922, à l'image du pays tout entier secoué par la guerre civile, l'industrie cinématographique ne fait que survivre. Le Polikouchka (1922) d'Aleksandr Sanine est tourné en 1919 au milieu d'innombrables difficultés. Des opérateurs sont envoyés sur tous les fronts pour en rapporter de précieux documents d'actualité. Gardine, Poudovkine* et Edouard Tissé* lancent un appel au monde sous forme de film : Faim... faim... faim... (1921). Le 27 août 1919, Lénine signe le décret de nationalisation du cinéma. Il déclare à Lounatcharski : « Le cinéma est de tous les arts le plus important. » Au début de 1922, dans un climat de vitalité euphorique exceptionnel, le septième art se réorganise. Le nombre des films ne cesse d'augmenter (11 films en 1921,157 en 1924). L'État s'est assuré le monopole de la production et de la distribution. Les deux premiers instituts de cinéma du monde qui s'étaient ouverts dès l'automne 1919 sont fréquentés par des jeunes gens enthousiastes qui s'efforcent de donner au cinéma une place éducative et idéologique, mais sans négliger pour autant les recherches culturelles et artistiques. Tandis que certains cinéastes, producteurs, acteurs émigrent vers Paris (autour d'Ermoliev graviteront bientôt Aleksandr Volkov*, Victor Tourjanski*, Ladislav Starevitch, Protazanov [qui retournera en URSS quelque temps plus tard], Nathalie Lissenko, Nicolas Koline, Ivan Mosjoukine), vers Berlin (Grigori Chmara, Dimitri Buchowetzki*), vers Hollywood (Richard Boleslavsky*), une nouvelle génération prend le pouvoir. La plupart sont très jeunes et ouverts à toutes les expériences. Dziga Vertov* invente le « cinéma-vérité » dans ses magazines filmés, Lev Koulechov* élabore ses premières théories sur le montage dans son célèbre Laboratoire expérimental (1922). Grigori Kozintsev*, Leonid Trauberg* et Sergueï Youtkevitch* fondent la FEKS (Fabrique de l'acteur excentrique, 1922). Maïakovski n'est pas le dernier à se passionner pour le cinéma et l'on assiste à la naissance de petits groupes de création qui s'affrontent parfois avec vigueur (dans un certain sens, le ciné-œil [Kino-Glaz] de Vertov est à l'opposé des théories de Koulechov ou des recherches de Kozintsev). Vertov traque la réalité et condamne le film dramatique. Kozintsev demande à l'acteur d'aller au-delà du réalisme qui l'entoure et rejoint parfois les tentatives des expressionnistes. Si les années 1922 et plus encore 1923 sont cruciales pour tout ce qui touche la réorganisation du cinéma (on voit apparaître des films comme les Diablotins rouges d'Ivan Perestiani* et Un spectre hante l'Europe de Gardine, dont la facture traditionnelle est plus apte à servir de tremplin de propagande que des œuvres de pure recherche), c'est en 1924 que se manifestent avec le plus d'éclat les signes évidents d'un renouvellement cinématographique.

Eisenstein et le renouveau idéologique.

Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein*, alors âgé d'à peine 26 ans, tourne son premier long métrage : la Grève. Koulechov (les Aventures extraordinaires de Mister West au pays des Bolcheviks), Kozintsev et Trauberg (les Aventures d'Octobrine), Vertov (chroniques documentaires du Kino-Glaz) mettent en application leurs théories filmiques respectives. L'émulation gagne certains cinéastes plus expérimentés, comme Protazanov par exemple, dont l'Aelita surprend beaucoup par l'extravagance de ses décors constructivistes. La production, tout en s'organisant et en se développant (non seulement à Moscou et Leningrad, mais également en Géorgie, en Ukraine, en Arménie), s'amplifie. En réalisant en 1925 le Cuirassé Potemkine, Eisenstein offre à la jeune cinématographie soviétique son film phare. Présenté dans plusieurs capitales étrangères, le film reçoit un accueil chaleureux. Trop chaleureux sans doute au gré de certains gouvernements, qui, effrayés par son impact révolutionnaire, s'empressent d'en interdire la diffusion. Ce boycottage systématique servira plutôt la cause du film. Devenu œuvre « maudite » hors d'URSS, le Potemkine n'en sera pas moins étudié avec passion et apprécié à sa juste valeur par tous les privilégiés qui auront l'occasion d'assister à une projection plus ou moins « sauvage » et sauront reconnaître sa grande importance idéologique, historique et artistique. On louera notamment la saisissante intelligence du montage dans la célèbre séquence de la fusillade sur les escaliers d'Odessa. Le cinéma soviétique est ainsi devenu en quelques années un art démocratique profondément populaire, chargé d'exprimer les pensées, les sentiments et les aspirations des spectateurs. Art éducatif, il se donne pour mission de décrire de façon parfois simpliste et partisane, mais avec une foi évidente, les grands bouleversements qui ont fait naître sur les ruines de l'empire tsariste un nouvel ordre social. Il est inégalable pour traduire le mouvement d'une foule ou pour peindre la misère ou l'espoir d'un individu confronté aux forces sociales ou politiques qui le dépassent. Il veut prouver que l'épopée d'un peuple n'est rien d'autre que le produit des milliers d'enthousiasmes de tous ceux qui le composent. De 1925 au début du cinéma parlant, trois metteurs en scène s'imposent. Ce sont les grands chantres de la révolution à l'écran : Eisenstein (Octobre, 1927 ; la Ligne générale, 1928-29), Poudovkine (la Mère, 1926 ; la Fin de Saint-Pétersbourg, 1927 ; Tempête sur l'Asie, 1928) et l'Ukrainien Aleksandr Dovjenko* (Zvenigora, 1928 ; Arsenal, 1929 ; la Terre, 1930). Mais ils ne sont pas seuls : ils sont épaulés par les Kozintsev, les Youtkevitch, les Koulechov, les Abram Room* et d'autres encore dont le talent s'épanouira au cours des années 30.