Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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DELLI COLLI (Antonio, dit Tonino)

chef opérateur italien (Rome 1923).

Après avoir travaillé comme assistant des opérateurs pionniers Anchise Brizzi et Ubaldo Arata, il dirige la prise de vues de Finalmente si (Ladislao Kísh, 1943) et de Il paese senza pace (Leo Menardi, 1943). Dans l'après-guerre il travaille sur plus de 130 films, surtout des comédies et des mélodrames populaires, dont le premier film italien en couleurs, Totò a colori (Steno, 1952, tourné en Ferraniacolor). Son style s'affirme avec une vision réaliste et lucide de Rome (Pauvres mais beaux, D. Risi, 1956 ; Accattone, P. P. Pasolini, 1961 ; Mamma Roma, id., 1962). À toute l'œuvre pasolinienne jusqu'à Salò (1976), il fournit l'apport professionnel dont elle avait besoin, mais il s'adapte aussi aux visions d'autres cinéastes comme Raffaello Matarazzo (la Femme aux deux visages, 1955), Luis Garcia Berlanga (le Bourreau, 1963), Alberto Lattuada (la Mandragore, 1965), Marco Bellocchio (La Chine est proche, 1967), Louis Malle (Lacombe Lucien, 1973), Dino Risi (Âmes perdues, 1976 ; Dernier Amour, 1978), Marco Ferreri (Le futur est femme, 1984), Federico Fellini (Ginger et Fred, 1985 [CO E. Guarnieri] ; Intervista, 1987 ; La voce della luna, 1990), Jean-Jacques Annaud (le Nom de la rose, 1986), Louis Malle (Au revoir les enfants, 1987) ou Margarethe von Trotta (l'Africaine, 1990). Avec Sergio Leone, il a pu créer une superbe photo en Scope digne des maîtres cameramen du western américain (le Bon, la Brute, le Truand, 1966 ; Il était une fois dans l'Ouest, 1968 ; Il était une fois en Amérique, 1984). Il a aussi composé les délires visuels de Caligula (T. Brass, 1977-1980), et les images naïves de Rosy la Bourrasque (M. Monicelli, 1980).

DELLUC (Louis)

cinéaste et écrivain français (Cadouin 1890 - Paris 1924).

Comme les Goncourt, Delluc est surtout connu par le prix qui porte son nom, décerné annuellement par un jury de critiques au film jugé le meilleur de la saison ( PRIX LOUIS-DELLUC). Mais il fut avant tout l'un des premiers critiques français de cinéma qui ait pris le 7e art au sérieux et présenté des films dans des cénacles qu'il baptisa du nom de ciné-clubs. « Par ses articles, par son talent, par son exemple et par sa parole, écrivent Bardèche et Brasillach dans leur Histoire du cinéma, il fit plus que personne pour créer un art du film. On peut dire que, sans Delluc, nous ne saurions pas aimer le cinéma. » On sait moins qu'il écrivit de nombreux romans, et même des pièces en vers. Son œuvre de cinéaste, enfin, quoique faible en quantité (7 films, tous tournés entre 1920 et 1923) mérite quelque considération.

C'est surtout par la plume que Delluc s'affirma. Des études secondaires brillantes le destinent à la carrière littéraire. De santé fragile, il consacre ses loisirs à la lecture et au théâtre, publie à l'âge de quinze ans une plaquette de poèmes, les Chansons du jeune temps, collabore à la rubrique théâtrale du magazine Comœdia illustré. Délaissant l'université, il écrit des romans, dont certains ne seront publiés qu'après sa mort (Monsieur de Berlin ; le Train sans yeux, que portera à l'écran Alberto Cavalcanti ; la Danse du scalp ; le Roman de la manucure), des nouvelles (l'Homme des bars), des pièces de théâtre (Francesca ; la Vivante), des souvenirs (Chez De Max). Son style alerte et incisif le fait situer par Jean Mitry « entre Blaise Cendrars et Paul Morand ». Le cinéma ne l'intéresse guère (il a vu, dit-il, « trop d'horreurs pour être indulgent et affectueux à cette triste mécanique »), jusqu'à la révélation de Forfaiture, de Cecil B. De Mille, en 1915. Dès lors, il abandonne tout pour la défense de cet « art nouveau ». Le 27 juin 1917 paraît sa première critique dans l'hebdomadaire de Diamant-Berger le Film. Il tient ensuite une chronique cinématographique régulière à Paris-Midi, avant de créer, en janvier 1920, son propre magazine, le Journal du ciné-club. Insatisfait de la formule, il lance en 1921 Cinéa, publication de haut niveau qu'il ouvre aux meilleures plumes de l'époque : Émile Vuillermoz, Lucien Wahl, Jean Epstein, etc. Ce sera la première revue française de cinéma témoignant d'une certaine exigence intellectuelle. Delluc y écrira sans relâche jusqu'à début 1923, après quoi il passera à Bonsoir, où son dernier article paraîtra un mois avant sa mort. Dans ces écrits, ou dans les volumes qui ont été publiés de son vivant (Cinéma et Cie, Photogénie, Charlot, la Jungle du cinéma), c'est l'amour du cinéma américain qui éclate : Thomas Ince, Griffith, Douglas Fairbanks, Chaplin surtout. Au contraire, il n'a que mépris pour les cinéastes français, ces « aveugles-nés », et pour les « abominations feuilletonnesques » d'un Louis Feuillade. Sont exceptés du discrédit Gance, L'Herbier, Germaine Dulac. C'est à cette dernière qu'il confie son premier scénario : celui de la Fête espagnole, qu'elle tournera en 1920. Dans ce film comme dans ceux qu'il dirigera lui-même par la suite, l'action ne compte pas. Il n'y a (ou il ne devrait y avoir) que « la poussière des faits », une mosaïque de détails enregistrés « au hasard de la caméra » (ainsi qu'il devait le déclarer à Henri Fescourt). Le cinéma, selon Delluc, doit viser non à une narration de type romanesque, à grand renfort de péripéties, mais à l'instauration d'un climat, d'une atmosphère. Il doit être fait de notations fragmentaires, d'une myriade d'impressions, que le spectateur aura à assembler. C'est l'amorce d'un courant nouveau dans le cinéma français, qui sera appelé, par référence à la peinture, « impressionniste ».

Pour affirmer ces audacieuses conceptions, dans la voie ouverte par Germaine Dulac, Delluc passe donc à la mise en scène. Dans Fumée noire (1920), il tente d'opposer des événements réels à des images mentales. Mécontent du résultat, il reprend et développe cette idée dans le Silence (1920), « instantané dramatique » où le présent est filmé en clair et les souvenirs du temps passé en grisaille. Selon Jean Epstein, ce film parvenait à révéler « l'âme fatale des choses ». Mais la grande réussite de Delluc, ce fut, en 1921, Fièvre : une simple rixe dans un bouge marseillais est le prétexte à la création d'une ambiance trouble, authentiquement cosmopolite. L'interprète principale était — comme dans tous ses films — une actrice d'origine belge, qu'il avait épousée en 1918 : Ève Francis. Delluc renoncera à cette inspiration « naturaliste » pour revenir à des préoccupations plus intimistes dans la Femme de nulle part (1922), nouvelle variation sur les rapports du présent et du passé, célèbre surtout par le dernier plan, où l'on voit l'héroïne s'éloigner sur une longue route au crépuscule, et l'Inondation (1924), un drame paysan situé dans la vallée du Rhône, fortement influencé par À travers l'orage de Griffith et l'école suédoise : l'héroïne s'appelle Margot, et l'on n'esquive que de justesse le pire mélodrame... Ce fut son dernier film. Delluc, comme le souligne Jean Mitry, « demeure dans l'histoire du cinéma bien davantage par son action morale, par ses idées, que par son œuvre, glorieusement inachevée... Il sut donner à toute une génération le goût du cinéma, et nul plus que lui ne fut responsable de la renaissance du cinéma français au cours des années 20 ». S'il ne fut pas vraiment un chef d'école, on peut le tenir pour un précurseur.