Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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ALLEMAGNE. (suite)

Plus tard, Leni Riefenstahl tentera de se justifier. « Mon film, dira-t-elle évoquant le Triomphe de la volonté, n'est qu'un document. J'ai montré ce dont tout le monde alors était témoin ou entendait parler. Et tout le monde en était impressionné. Je suis celle qui a fixé cette impression, qui l'a enregistrée sur pellicule. Et c'est sans doute à cause de cela qu'on m'en veut : pour l'avoir saisie, mise en boîte... Ce film ne contient aucune scène reconstituée. Tout y est vrai. C'est de l'histoire. Un pur film historique... »

Karl Ritter*, lui, va se faire le spécialiste des histoires édifiantes de soldats : Permission sur parole (Urlaub auf Ehrenwort, 1937), Pour le mérite (1938), Kadetten (1941), ou de la propagande anticommuniste : Guépéou (GPU, 1942). Cinéaste officiel s'il en fut, Veit Harlan* se fait connaître avec Crépuscule (1937). Mais son œuvre la plus célèbre reste le Juif Süss (1940), avec Werner Krauss, prototype du film antisémite qui connut un triomphe. « Particulièrement recommandé », par la propagande officielle, « pour sa valeur politique et artistique », le film eut une première mondiale à Venise en septembre 1940, en présence du réalisateur et de ses interprètes. Par la suite, Veit Harlan, comme Leni Riefenstahl, tentera de se justifier en amoindrissant la signification de son film. Avec le Grand Roi (1942), Harlan entame la veine d'exaltation du passé germanique à travers le portrait de Frédéric II, « grand précurseur de l'unité allemande, qui, seul et sûr de lui, trouve la force de vaincre ».

Au même genre appartiennent Bismarck (1940), de Wolfgang Liebeneiner*, Friedrich Schiller (id.), de Herbert Maisch*, ou Der Höhere Befehl (1935), de Gerhard Lamprecht.

Drames paysans (Friesennot, 1935, de Peter Hagen), opérettes (Premiere, 1937, de Geza von Bolvary*, avec Zarah Leander*) et films d'évasion exotique (Kautschuk, 1938, de Eduard von Borsody*) sont mis eux aussi au service de la propagande. Pabst lui-même, de retour dans son pays, tourne deux œuvres de circonstance : les Comédiens (1941) et Paracelse (1943). Production de prestige en Agfacolor réalisée pour le vingt-cinquième anniversaire de l'UFA, les Aventures fantastiques du baron de Münchhausen (1943), de Josef von Baky*, restera une apothéose sans lendemain.

L'après-guerre.

En 1945, le cinéma allemand entre dans le néant. La plupart des studios et de nombreuses infrastructures ont été détruites, les structures économiques anéanties. La production redémarre en zone d'occupation soviétique dès 1946, les autorités militaires ayant favorisé la création de la DEFA dans les studios de l'ancienne UFA à Postdam-Babelsberg. C'est ainsi que Staudte* peut tourner Les assassins sont parmi nous, sorti en salles dès novembre 1946. Staudte, Erich Engel, Gerhard Lamprecht, Slatan Dudow, Kurt Maetzig*, relancent ainsi le cinéma à l'Est, tandis que les Alliés occidentaux favorisent la relance à l'Ouest, notamment avec Erich Pommer*, revenu en Allemagne tout d'abord sous l'uniforme américain.

— ALLEMAGNE DE L'OUEST.

Après la constitution de la RFA (République fédérale allemande), en 1949, l'industrie cinématographique redémarre lentement à l'Ouest. Erich Pommer, de retour en Allemagne, organise l'International Film AG et les studios Bavaria à Munich. D'autres studios sont édifiés à Hambourg et Tempelhof. Quelques œuvres ici et là échappent à l'insignifiance. Elles appartiennent à la lignée des Trümmerfilme (films des ruines) : le Dernier Pont (1954), et le Général du diable (1955), tous les deux de Helmut Käutner* ; Un homme perdu (1951), de Peter Lorre* ; l'Amiral Canaris (1954), d'Alfred Weidenmann* ; Les SS frappent la nuit (1957), de Robert Siodmak ; Rosemarie (1958), de Rolf Thiele ; les Demi-Sel (1956) et Tötenschiff (1959), de Georg Tressler, ou encore le Pont (1959), de Bernhard Wicki*... Dans les studios de Munich, Fritz Lang tourne un remake du Tigre du Bengale et du Tombeau hindou (1958-59). Il achève son cycle mabusien avec le Diabolique Dr Mabuse (1960). Retour sans lendemain, au demeurant.

Le nouveau cinéma allemand.

C'est en 1962, lors du festival annuel d'Oberhausen, que 26 jeunes cinéastes publient un manifeste qui peut être considéré comme l'acte de naissance du nouveau cinéma allemand. Il mérite d'être cité : « L'effondrement du cinéma traditionnel allemand retire enfin sa base économique à une tournure d'esprit que nous refusons. De ce fait, le nouveau cinéma allemand a une chance de vivre. Les courts métrages de jeunes auteurs, réalisateurs et producteurs ont remporté au cours de ces dernières années un grand nombre de prix dans les festivals internationaux et ils ont été reconnus par la critique internationale. Ces œuvres et leur succès montrent que l'avenir du cinéma allemand est entre les mains de ceux qui ont prouvé qu'ils parlaient un nouveau langage cinématographique. De même que dans d'autres pays, en Allemagne aussi le court métrage est devenu l'école et le champ d'expérimentation du long métrage. Nous proclamons notre volonté de créer le nouveau long métrage allemand. Ce nouveau cinéma a besoin de nouvelles libertés. Liberté à l'égard des conventions habituelles de la profession. Liberté à l'égard de l'influence de l'associé commercial. Libération de la tutelle exercée par les groupes d'intérêts. Nous avons des idées concrètes intellectuelles, formelles et économiques en ce qui concerne la production du nouveau cinéma allemand. Nous sommes prêts à en supporter les risques économiques. Le vieux cinéma est mort. Nous croyons au nouveau. »

Le déclin économique et artistique de l'industrie cinématographique allemande ne facilitera pourtant pas le renouvellement de la profession. Le boom cinématographique des années 50 a trop longtemps exclu la jeune génération. La faillite est totale. Il faudra attendre 1965 et la création du Comité du jeune cinéma allemand pour que les débutants aient une chance de réaliser leur premier long métrage. La télévision sera pour beaucoup dans l'émergence d'un cinéma autre. Les chaînes régionales se mettent à prospecter et bientôt à subventionner les talents nouveaux. Gouvernement fédéral puis Länder apportent une maigre contribution, relayés par un Office d'encouragement au cinéma. Premiers bénéficiaires : les frères Schamoni* (Es [Ulrich Schamoni], 1965, et La chasse au renard est fermée [Schonzeit für Fuchse, Peter Schamoni], 1966) ; Volker Schlöndorff* (les Désarrois de l'élève Törless, id.) ; Alexander Kluge* (Anita G., id.) ; Jean-Marie Straub (Chronique d'Anna-Magdalena Bach, 1967) ; Peter Fleischmann* (Scènes de chasse en Bavière, 1969) ; Rudolph Thome* (Soleil rouge, id.) ; Werner Schroeter* (la Mort de Maria Malibran, 1971) ; Rainer Werner Fassbinder* (les Larmes amères de Petra von Kant, 1972) ; Werner Herzog* (Les nains aussi ont commencé petits, 1970) ; Wim Wenders* (l'Angoisse du gardien de but avant le penalty, 1971). Ignorés dans leur propre pays et souvent en butte à l'incompréhension de leurs compatriotes, le combat pour l'existence d'un cinéma national a créé entre eux des liens qui ne gomment nullement leurs différences. Dans le vide laissé par leurs aînés, ils ont peu à peu forgé les instruments de leur survie, créant souvent leurs propres maisons de production. La liberté à l'égard des pratiques traditionnelles du cinéma commercial, garantie par les subventions publiques, a rendu possible une multiplicité de sujets et de styles.