Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
C

COOPER (Frank James Cooper, dit Gary) (suite)

La figure de Cooper se définit aussitôt dans un double contexte. D'une part, une série de modestes westerns dont il est la vedette (Arizona Bound ou Au service de la loi) fait de lui, avec la même rudesse physique, l'héritier de William S. Hart. Cooper continuera fidèlement d'incarner un cow-boy, non seulement dans des épopées sur l'Ouest qui deviendront de plus en plus prestigieuses, mais aussi dans des comédies comme Madame et son cow-boy, des romances comme l'Intrigante de Saratoga, ou des revues où il joue son propre rôle (It's a Great Feeling). Ce pôle constitue l'assise emblématique de son personnage : un homme simple et franc, laconique et obstiné, dont la traditionnelle ingénuité exclut toute méchanceté, sinon toute faiblesse.

D'autre part, suivant une progression plus lente, il acquiert une belle réputation d'acteur : dans Wings, on louera son aisance ; dans Beau Sabreur, entreprise désargentée, il est pour la première fois le protagoniste d'une aventure éloignée de la Frontière ; Mariage à l'essai lui permet de s'essayer à la comédie ; Betrayal le transforme en artiste peu scrupuleux. Un stéréotype menace toutefois : celui du vertueux militaire qu'on ne se lasse pas de lui faire jouer. Cœurs brûlés, l'Adieu au drapeau et même Sergent York se souviendront d'ailleurs de cette représentation pour la distordre. Mais le parlant libère Cooper des clichés. Sa haute taille, la simplicité et la lenteur de ses gestes, la tranquillité de sa voix et de son débit lui suffisent alors pour composer une effigie familière, qui appartient au même registre que celles d'une pléiade d'acteurs de sa génération : Gable, Tracy, Cary Grant ou Cagney. Très maîtrisé, leur jeu ne recourt ni à des attitudes symboliques ni à une expression délicate et continue des nuances, il n'illustre pas les thèmes obligés de la passion et ne détaille pas les profondeurs imprévisibles de la personne, mais se contente de définir un caractère par rapport à une situation. Cela n'était guère possible avant que les personnages ne deviennent vraiment des sujets parlants.

Professionnel consciencieux, capable d'interprétations de plus en plus riches et délicates, Cooper ne s'efface jamais derrière son personnage. D'abord l'image emblématique de l'aventurier de l'Ouest garde une présence allusive dans plus d'un héros : le provincial fourvoyé des Carrefours de la ville, le romanesque Peter Ibbetson, le millionnaire candide de l'Extravagant Mr. Deeds peuvent passer pour des avatars de l'homme de la nature, tandis que l'architecte individualiste du Rebelle ou l'officier opiniâtre de Condamné au silence transposent le cavalier solitaire. Mais surtout la présence physique de Cooper ne se laisse jamais ignorer. Le premier mérite de son jeu est de nous convaincre de la réalité charnelle de son personnage. Cela tient sans doute à sa stature, mais aussi aux rapports vrais qu'il entretient avec les objets qui l'entourent : dans le décor, ce corps immense trouve toujours une assise, il s'établit. D'autre part, ses gestes harmonieux entraînent tout son être : ils n'ont jamais l'aspect désincarné d'un signal ; leur inhabileté ne laisse pas le seul rendement les définir. Enfin, un curieux contraste oppose sa silhouette élégante et élancée à un visage mince et fort découpé ; il en résulte que son individualité s'affirme aussi bien par ses traits singuliers que par son impressionnante taille.

Le jeu de l'emblème et de l'effigie produit une figure d'autant moins simple que l'image de l'homme d'action doit être incarnée par une personne évidemment lymphatique, ce qui donne à tous ses gestes une tournure méditative. L'attitude la plus fréquente de l'acteur, en raison de ses relations avec autrui, consiste à conserver la tête inclinée : ainsi se dessine le paradoxe d'un aventurier réfléchi, d'un conquérant timide. On ne saurait douter de sa portée politique, dans un monde où la modération n'était pas une vertu qu'on dût demander aux vainqueurs. Comme la retenue de ses mouvements et de son expression est l'indice d'une grande réserve, Cooper peut enfin colorer d'ironie, plus ou moins, toutes ses interprétations. Second paradoxe : le héros le plus respectable de Hollywood est aussi, et parfois en même temps, le personnage le moins respectueux. Vera Cruz fait l'usage le plus complet de ces paradoxes qui intéressent toute la carrière de l'acteur : son aptitude à la comédie ne lui vient par exemple ni d'une vivacité ni d'une invention bouffonne, mais d'une certaine malice qui s'exerce aussi bien contre lui-même que contre son entourage. La parfaite transparence de ses yeux bleus dénie toute expression immédiate de la passion : les mobiles du personnage deviennent ainsi plus lointains et plus graves. Ce regard innocent, presque rêveur, marque volontiers le secret, mais son incertitude nonchalante n'exclut pas l'humour.

Dans la première partie de sa carrière, les rôles les plus romanesques (l'Adieu au drapeau, Peter Ibbetson) utilisent la singularité physique de cette figure, tandis que les films d'aventure (les Trois Lanciers du Bengale) continuent à s'appuyer sur l'élégance du cavalier. Mais Cooper n'est pas seulement une présence captivante : sous la direction de Mamoulian, de Borzage ou de Vidor, mais d'abord de Sternberg, le prestige évasif se change parfois en trouble ; les comédies de Lubitsch montrent l'étendue du jeu de l'acteur. Si sa sobriété et son impassible dignité l'aident à incarner les héros exemplaires de De Mille, son personnage évolue à l'approche de la guerre : sa sincérité devient plus pathétique (l'Homme de la rue, Pour qui sonne le glas ?) ; sa candeur, plus embarrassée (Sergent York, Boule de feu). À l'époque où son visage cesse d'être émacié, ses rôles gagnent en gravité, même dans l'épopée (l'Odyssée du docteur Wassel, Cape et Poignard, les Conquérants d'un Nouveau Monde) ou la comédie (Ce bon vieux Sam). Alors se dessine un lutteur idéaliste, profondément étranger au monde qui l'entoure : le Rebelle ou les Aventures du capitaine Wyatt tirent parti en ce sens de la rupture physique que marque le corps de Cooper. Les westerns de Zinneman, De Toth ou Hathaway laissent apparaître un vieillissement à la faveur duquel le visage et les interprétations vont se nuancer. Incarnant souvent un homme sur qui pèsent d'injustes accusations, Cooper traduit la lourdeur du passé et de la culpabilité. Sensible dans Ariane, il sera particulièrement touchant dans l'Homme de l'Ouest et la Colline des potences, vieilli, ridé et entaché par la faute, mais d'une indomptable bonne volonté.