Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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WARNER BROS. (suite)

La Warner connaît, grâce au soutien du banquier Motley Flint, une expansion rapide. En 1923, année de sa fondation officielle, elle se dote d'un nouveau plateau, plus vaste et plus moderne, pouvant accueillir simultanément six équipes. Les quatre frères confient à l'un des plus grands producteurs de Broadway, David Belasco, l'adaptation de certains de ses spectacles. Ils produisent aussi une série de drames mondains et achètent les droits de romans comme Main Street, Babbitt, etc. En 1923, ils engagent Ernst Lubitsch, qui tourne pour eux ses premières comédies américaines : Comédiennes (1924), l'Éventail de Lady Windermere (1925), les Surprises de la TSF (1926).

En février 1925, la Warner ouvre une station de radio, la KWBC (Warner Bros Classics). En avril 1925, elle acquiert les Studios Vitagraph, et en novembre de la même année engage Michael Curtiz, qui s'affirme rapidement comme le réalisateur le plus créatif et le plus diligent du studio.

En 1927, la Warner lance une série de courts métrages sonorisés à l'aide du procédé Vitaphone, puis sort le premier long métrage sonore de l'histoire du cinéma : le Chanteur de jazz (A. Crosland). Devant le triomphal succès de ce film, elle s'engage hardiment dans l'aventure du parlant, sonorise en hâte plusieurs de ses productions muettes, et décide d'étendre son parc de salles. Après diverses manœuvres, elle acquiert, en septembre 1927, le contrôle de la First National, qui lui donne accès à plusieurs centaines de salles et marque son entrée au rang des Majors hollywoodiennes.

Jack L. Warner prend alors la tête du service production, avec pour premier adjoint Darryl F. Zanuck. Après une brève incursion dans le domaine du « musical », celui-ci décide d'axer le programme Warner sur des sujets « chauds », tirés de l'actualité, et traités dans un style factuel quasi journalistique. La vie des faubourgs, les grandes figures de la pègre retiennent particulièrement l'attention du studio. Des auteurs d'origine populaire, d'anciens reporters criminels assurent une vérité idiomatique et une solide base documentaire aux premiers films policiers de la Warner : le Petit César (M. LeRoy, 1931), l'Ennemi public (W. A. Wellman, id.). De jeunes acteurs venus du théâtre (Edward G. Robinson) ou du music-hall (James Cagney) apportent à ces films une rythmique, un style d'interprétation musclé, dépouillé, fondé tout entier sur l'énergie, qui feront date.

Réformiste et populaire, la Warner ne se contente pas de décrire les aspects les plus saillants de la crise des années 30 : elle entend les corriger, en associant l'humour, l'émotion, l'indignation et le discours humaniste, et se consacre à des sujets aussi divers que la condition féminine (Night Nurse, W. A. Wellman, id.), les drames de la dépression (Wild Boys of the Road, id., 1933) ou les abus du système carcéral (Je suis un évadé, M. LeRoy, 1932).

La comédie musicale, qui témoigne d'un égal souci de réalisme, connaît, grâce aux inventions visuelles de Busby Berkeley, un nouvel essor (42e Rue, L. Bacon, id. ; Dames, R. Enright, id. ; etc.).

Le studio Warner fonctionne, à cette époque, comme une véritable usine (certains diront comme une galère). Trois impératifs y dominent : rendement, vitesse, économie. Le climat social y est détestable, propice à d'incessants affrontements. L'un deux décide Zanuck, le 15 avril 1933, à céder sa place à Hal B. Wallis. Celui-ci lance, en 1935, une série de « biographies » opulentes, dont il confie la réalisation à William Dieterle. La Vie de Louis Pasteur (1936), l'Ange blanc (id., sur Florence Nightingale), la Vie d'Émile Zola (1937), Juarez (1939) et Dr. Ehrlich's Magic Bullet (1940) illustrent, face à la montée du fascisme, les vertus de la démocratie et de l'humanisme. Ils ont aussi, dans l'évolution esthétique du studio, une importance considérable. Ils favorisent en effet l'éclosion d'un style narratif dynamique et puissant, fondé sur le mouvement (travail à la grue) et le clair-obscur, soutenu par les partitions amples et romantiques d'un Erich Wolfgang Korngold ou d'un Max Steiner. Ce style, où se mêlent intimement les influences germaniques et la concision traditionnelle du cinéma hollywoodien, dominera l'histoire de la Warner jusqu'à la fin des années 40.

Parallèlement à cette série biographique, le studio confie à Michael Curtiz une éblouissante suite de films d'aventures, où s'illustre Errol Flynn : Capitaine Blood (1935), la Charge de la brigade légère (1936), les Aventures de Robin des Bois (1938), la Vie privée d'Élisabeth d'Angleterre (1939), l'Aigle des mers (1940).

Fidèle à sa vocation socio-politique, la firme produit également des films-dossiers comme Justice des montagnes (Curtiz, 1936) ou La ville gronde (LeRoy, 1937), sur le lynchage. Elle commande à Anatole Litvak le premier grand film antinazi hollywoodien : Confessions of a Nazi Spy (1939), et, dès l'entrée en guerre des États-Unis, lance un vaste programme de films de propagande, destinés à éclairer le grand public sur les enjeux du conflit. Howard Hawks (Air Force, 1943 ; le Port de l'angoisse, 1944), Michael Curtiz (Casablanca, 1942 ; Passage to Marseilles, 1944 ; Mission to Moscow, id.), Raoul Walsh (Sabotage à Berlin, 1942 ; Aventures en Birmanie, 1945), Delmer Daves (Destination Tokyo, 1943) et Lloyd Bacon (Convoi vers la Russie, id.), appuyés par la remarquable infrastructure technique Warner, signeront certaines des œuvres les plus marquantes de cette période.

La guerre, avec les menaces immédiates qu'elle fait peser sur la famille, amène un regain du cinéma féministe. Bette Davis, rescapée d'une longue bataille juridique avec la Warner, avait triomphé, dès 1938, dans l'Insoumise (de W. Wyler). Durant la guerre, elle tournera ses rôles les plus mémorables dans Victoire sur la nuit (E. Goulding, 1939) et Une femme cherche son destin (I. Rapper, 1942), tandis qu'à ses côtés s'affirmeront, dans un registre plus populaire, des comédiennes aussi modernes et attachantes qu'Ida Lupino, Anne Sheridan, etc.

L'après-guerre est marqué par plusieurs événements : départ de Hal B. Wallis (1946), début de la croisade anticommuniste (1947), loi antitrust, forçant les Majors à scinder leurs services production et exploitation. Para-doxalement, c'est dans cette extrême précarité que naîtront certaines des œuvres les plus achevées de la Warner : la Vallée de la peur (Walsh, 1947), L'enfer est à lui (id., 1949), le Boulevard des passions (Curtiz, id.), le Rebelle (K. Vidor, id.), la Femme aux chimères (id., 1950), Trafic en haute mer (id.). Mais cet étonnant foisonnement de films noirs et romantiques, préparé par des titres clés comme la Grande Évasion (Walsh, 1941), le Faucon maltais (J. Huston, id.), le Roman de Mildred Pierce (Curtiz, 1945) ou le Grand Sommeil (Hawks, 1944-46), ne résiste pas à la décomposition générale du système hollywoodien. La Warner arrête son « cycle social » dès le début des années 50 pour s'adonner aux plaisirs innocents du film d'aventures (la Flèche et le Flambeau, J. Tourneur, 1951) ou du « musical » familial (Doris Day). Durant cette décennie, les meilleurs films Warner émaneront d'équipes indépendantes, réunies autour de vétérans comme John Ford (la Prisonnière du désert, 1956), Raoul Walsh (l'Esclave libre, 1957), Howard Hawks (Rio Bravo, 1959), ou d'acteurs comme Burt Lancaster, John Wayne (Batjac Productions) ou Judy Garland (Une étoile est née, Cukor, 1954).