Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
I

INDE. (suite)

Pendant ce temps, le Sud (Madras) se lance dans de coûteuses productions spectaculaires destinées à concurrencer Bombay sur son propre terrain. Ainsi, Chandralekha (id., 1948), de S. S. Vasan, parvient à triompher sur le marché du film hindi. Quant au Bengale, amputé de la moitié ou presque de son territoire par la création du Pakistan-Oriental (devenu depuis le Bangladesh*), de nombreuses personnalités du cinéma l'abandonnent pour Bombay et le cinéma bengali fait face aux plus graves difficultés de son histoire. C'est pourtant au Bengale que l'avenir du cinéma indien va se jouer. 1955 demeure une date clé dans l'histoire de ce cinéma.

Satyajit Ray et le renouveau du cinéma indien.

Le jeune Satyajit Ray, avec la Complainte du sentier (Pather Panchali, 1955), place définitivement l'Inde sur la carte cinématographique mondiale. Le cinéma indien, jusqu'alors, même chez ses meilleurs représentants et en dépit des genres différents qu'il a abordés, s'en est toujours tenu, au niveau du scénario et du traitement, aux structures convenues du mélodrame et à un jeu d'acteur très appuyé. Pour la première fois, un film solidement structuré s'attache vraiment à la réalité indienne quotidienne, raconte une histoire simple de manière sobre, avec des comédiens justes et retenus. Pas de chansons ni de danses bien entendu, mais une émotion, une poésie, une chaleur humaine telles que ce film, après le prix qu'il reçut à Cannes en 1956, fut montré avec succès dans les ciné-clubs du monde entier avant de devenir un classique du cinéma. C'était une sorte de révolution esthétique.

L'important, c'est que, pour Ray, ce film a raisonnablement marché à Calcutta, lui permettant de poursuivre une longue et brillante carrière qui, à travers une succession d'œuvres remarquables, a fait de lui un des plus grands cinéastes du monde. L'essentiel, pour l'Inde, c'est que ce film a démontré qu'il y avait place pour autre chose que le cinéma commercial de série, et même pour un cinéma d'auteur, exigeant et sans compromis. Au Bengale même, d'autres cinéastes se lancent dans cette voie, Tapan Sinha et surtout Ritwik Ghatak*, dont la ‘ Pathétique illusion ’ / l'Homme-Auto (Ajantrik, 1957) et l'Étoile cachée / l'Étoile voilée de nuages (Meghe Dakha Tara, 1960) sont des œuvres majeures. Pendant près de dix ans pourtant, les efforts de Satyajit Ray resteront à peu près solitaires. La grosse machinerie du cinéma commercial tient solidement ses positions. Les ciné-clubs indiens, qui se développent considérablement dans les années 60, effectuent cependant un important travail de formation du public et constituent une pépinière de futurs cinéastes, dont beaucoup prendront le chemin du Film Institute of India, créé en 1961.

Une nouvelle génération de cinéastes se formait. Mais l'industrie du cinéma veillait à ce que les portes des studios leur restent fermées. La Film Finance Corporation, organisme de financement créé en 1960, décide en 1968 d'adopter une nouvelle politique exclusive de prêts à des films de jeunes auteurs, ambitieux mais à petit budget, ce qui allait provoquer l'irruption rapide de la Nouvelle Vague indienne, et changer le paysage du cinéma de ce pays.

De nombreux cinéastes, ainsi libérés des contraintes commerciales et formelles du cinéma dominant, s'affirment avec éclat. Citons : Basu Chatterjee, spécialiste de comédies légères comme ‘ le Ciel entier ’ (Sara Akash, 1969) ou ‘ la Maison du mari ’ (Piya Ka Ghar, 1971) ; Basu Bhattacharya, auteur de ‘ Expérience ’ (Anubhav, 1971), analyse de la crise d'un couple ; Chidananda Das Gupta, attiré par le comique dans ‘ Ceux qui reviennent de l'étranger ’ (Bilet Pherat, 1972) ; Avtar Kaul, qui montre les difficultés de la jeunesse dans ‘ le Train de Bénarès ’ (27 Down, 1973) ; M. S. Sathyu, analyste des effets de la partition de l'Inde dans ‘ Vent chaud ’ (Garam Hawa, id.).

Certains s'imposent assez vite : Pattabhi Rama Reddy, qui critique les brahmanes dans Rites funéraires (Samskara, 1970) ; Girish Karnad, qui peint la lutte entre deux villages dans la Forêt (Kaadu, 1973) ; Shyam Benegal*, avec la Graine (Ankur, id.) sur les abus commis par les propriétaires ruraux ; Kumar Shahani*, qui analyse l'oppression quotidienne dans le Miroir de l'illusion (Maya Darpan, 1972) ; Mani Kaul*, qui montre la rigueur de la condition féminine dans le Pain d'un jour (Uski Roti, 1969), et Mrinal Sen*, cinéaste déjà confirmé mais qui, avec Monsieur Shome (Bhuvan Shome, 1969), commence une seconde carrière qui va s'épanouir dans ses films engagés consacrés aux problèmes sociaux de Calcutta et faire de lui un cinéaste de tout premier plan.

Faute de moyens, la Film Finance Corporation n'a pu assurer la distribution normale de ces films. Beaucoup ont été peu et mal montrés. Le mouvement semble être en difficulté. Les cinéastes piétinent. Heureusement, plusieurs États régionaux, le Karnataka, le Kerala, entreprennent une politique d'aide au cinéma de qualité. Cela permet à nombre de cinéastes de tourner et à ces cinémas régionaux de connaître un renouveau remarquable, surtout dans le Sud. De nouveaux cinéastes émergent : B. V. Karanth avec ' l'Arbre familial ' (Vamsha Vriksha, 1971) ; M. T. Vasudevan Nair avec ‘ Pureté ’ (Nirmalyam, 1973) ; G. Aravindan* avec Uttarayanam (1974) et Kanchana Seeta (1977) ; Adoor Gopalakrishnan* avec ‘ l'Ascension ’ (1977).

Des années 80 au troisième millénaire.

Le cinéma d'auteur, qu'on appelle aussi « le cinéma parallèle », prend une importance de plus en plus grande à la fin des années 70 et au début des années 80. Sans concurrencer sérieusement le cinéma commercial, il trouve plus souvent le chemin des écrans indiens, participe aux festivals en Inde et à l'étranger, attire l'attention des critiques. L'œuvre entreprise par Satyajit Ray s'épanouit enfin. Les difficultés restent grandes, certains cinéastes ne tournent que rarement, mais le monopole de fait du cinéma de divertissement est brisé. De nouveaux talents ne cessent d'apparaître, confirmant la vitalité du mouvement : Girish Kasaravalli avec ‘ la Conquête ’ (Akramana, 1980), Govind Nihalani avec ‘ le Cri du blessé ’ (Aakrosh, 1980), Saeed Mirza avec ‘ Pourquoi Albert Pinto se met en colère ’ (Albert Pinto Ko Gussa Kyon Aata Hai, 1980), Rabindra Dharmaraj avec Cercle vicieux (Chakra, 1980) ; Buddhadeb Dasgupta* avec la Croisée des chemins (Grihajuddha, 1982) et l'Homme-tigre (Bagh Bahadur, 1989) ; Gautam Ghose avec la Traversée (Paar, 1984), Ketan Mehta avec ‘ la Fête du feu ’ (Holi, 1983), Mira Nair avec Salaam Bombay (id., 1988), Jahnu Barua avec ‘ la Catastrophe ’ (Halodiya Choraye Baodhan Khaye, id.), Shaji Karun avec ‘ Piravi ’ (id., 1988), Aparna Sen, Utpalendu Chakraborty, Mani Rathnam, Bhabendranath Saikia, Prakash Jha, Aribam Syam Sharma. La disparition d'Aravindan, en 1991, celle de Satyajit Ray, en 1992, ont été ressenties comme des moments funestes pour le cinéma indien. Si Mrinal Sen (Antareen, 1994), Adoor Gopalakrishnan (le Servile, 1993), Mani Kaul (la Chemise du serviteur, 1999), Gautam Ghose (Patang, 1994), Ketan Mehta (Maya Memsaab, 1993), Jahnu Barua (Il y a loin de la rivière à la mer [Hkhagoroloi bohudoor], 1998) ou le très original Buddhadeb Dasgupta (Uttara, 2000) restent d'incontestables auteurs de qualité et de renom international on note l'éclosion de nouveaux talents dont fort malheureusement les films ne franchissent guère les frontières sinon pour apparaître de-ci de-là dans quelques festivals spécialisés à travers le monde. Les exemples les plus probants de ces cinéastes en quête de reconnaissance publique semblent être Shaji N. Karun (Piravi, 1988), Dev Benegal (English, August, 1994), Aribam Syam Sharma (Ishanou, 1991), Sandip Ray, le fils de Satyajit Ray (Uttoran, 1994), Shekhar Kapur (la Reine des bandits [The Bandit Queen], 1994), Nabyendu Chatterjee (Shilpi, 1994), Saeed Akthar Mirza (Naseem, 1995), Rituparno Ghash (Bariwali, 1999), Amol Palekar (Kairee, 1999), Jayaraaj Rajasekharan Nair (Karunam, 2000), Murali Nair (le Trône de la mort [Marana Simhasana], 1999). Même si l'afflux des films américains a pu laisser craindre un instant que le cinéma commercial indien n'en subisse les contrecoups économiques, le public continue à apprécier massivement les mélodrames chantés et dansés qui ont de tout temps fait le bonheur des producteurs de Bombay (Maine Pyarkiya, par exemple, réalisé au début des années 90 et, dirigé par Sooraj Bharjatiya connut un large succès public et fut distribué avec une profusion de copies parfois raccourcies, parfois allongées de séquences supplémentaires).