Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
C

CLÉMENTI (Pierre) (suite)

Découvert par le compositeur et futur cinéaste André Almuro, enthousiasmé par la vision d'un film de Buñuel pour lequel il interprétera plus tard l'un de ses rôles les plus fameux, il suit les cours d'art dramatique du Vieux Colombier et joue sur des scènes d'avant-garde. Ses débuts au cinéma sont modestes, et, si Visconti lui donne un petit rôle dans le Guépard (1963), ce n'est que grâce à Buñuel (Belle de jour, 1967 ; il est l'amant sadique de Catherine Deneuve) et à Deville (Benjamin, 1968 ; il est le héros candide que l'on initiera aux jeux de l'amour) qu'il conquiert la renommée. Il est dès lors plus ou moins catalogué dans les personnages insolites ou marginaux, auxquels sa maigreur et son regard confèrent une sorte de présence illuminée. Il retrouve Buñuel (la Voie lactée, 1969) et tourne à nouveau avec des Italiens : Bertolucci (Partner, 1968 ; le Conformiste, 1971), Pasolini (Porcherie, id.), Cavani (les Cannibales, 1969), mais aussi avec Glauber Rocha (Têtes coupées) et Miklos Jancso (La pacifista, 1971) et des « avant-gardistes » français : Philippe Garrel (le Lit de la vierge, 1968 ; la Cicatrice intérieure, 1971), Yvan Lagrange (la Naissance, la Famille, id.). On le retrouve, avec la même présence dans Sweet Movie (D. Makavejev, 1974), l'Affiche rouge (F. Cassenti, 1976), la Chanson de Roland (id., 1978), le Pont du Nord (J. Rivette, 1982), Exposed (James Toback, 1983), Il est difficile d'être un Dieu (P. Fleischman, 1990), Présumé suspect (Ipoptos politis (Stelios Pavlidis, 1994). Il est lui-même l'auteur de films de style underground et psychédélique emblématiques de leur époque : Ce n'est qu'un début, la Révolution continue (1968), Visa de censure n°X (1976), New Old (1979), Soleil (1989) d'un curieux film de politique-fiction À l'ombre de la canaille bleue (1978-1985), ainsi que d'un livre rédigé en prison, Quelques messages personnels.

CLIFT (Montgomery) [Edward Montgomery Clift]

acteur américain (Omaha, Nebr., 1920 - New York, N. Y., 1966).

S'il avait tourné plus et s'il avait consenti à vulgariser son image et son talent, Montgomery Clift aurait pu être ce qu'a été James Dean. Et cela, Une place au soleil (G. Stevens, 1951) le prouve amplement : l'extraordinaire magnétisme qu'il y dégageait s'était, pour la seule et unique fois, traduit par l'hystérie des bobby-soxers. Timide et secret, tourmenté jusqu'à la névrose, il a préféré peu tourner. On souhaiterait pouvoir ajouter « bien tourner ». Mais on se demande pourquoi, étant si avare de sa présence, il a consenti à jouer dans des œuvres aussi ternes que la Ville écartelée (G. Seaton, 1950), l'Arbre de vie (E. Dmytryck, 1957), poussant le masochisme jusqu'à terminer sa carrière sur le médiocre Espion (Raoul Lévy, 1966). Son atout principal fut sa présence : avec son animalité naturelle et son regard prenant, il aurait pu se contenter d'apparaître à l'écran, sans se donner la peine de jouer, ce qu'il fit occasionnellement, mais Montgomery Clift était plus qu'un beau visage. Et cela, il a voulu, tragiquement, le démontrer. Quand, pendant le tournage de l'Arbre de vie, un accident de voiture qui ressemblait à s'y méprendre à un suicide manqué, le défigura, la chirurgie plastique s'acharna à reconstruire sur lui un masque qui aurait été à l'image de Montgomery Clift. Dans ce visage désormais crispé comme dans l'attente de la mort, ne vivaient plus que deux yeux clairs, aux larges pupilles et à l'expression implorante. Et cela suffisait à « Monty ». Sa présence était aussi fascinante dans les Anges marqués (F. Zinnemann, 1948), où il rayonnait d'espoir, que dans Freud, passions secrètes (J. Huston, 1962), où il dissimulait son visage et ses angoisses derrière une dévorante barbe noire. Enfant cinématographique naturel de John Garfield, il était aussi le frère aîné de Marlon Brando et de James Dean. Il était de cette génération d'acteurs qu'Hollywood avait suscitée pour donner vie aux incertitudes du nouvel après-guerre. Mais, à la révolte provocante de Brando, et à celle, boudeuse, de Dean, il oppose le silence. Clift parle peu. Ou, s'il parle, il donne l'impression de parler peu. En revanche, il regarde avec une intensité et une avidité uniques : de ses yeux clairs, il dévore, il brûle, il caresse ou il détruit. Il est donc naturel que, dans ses meilleurs films, son personnage se taise et regarde : prêtre tenu par le secret de la confession (la Loi du silence, A. Hitchcock, 1953), ou psychiatre attentif (Soudain l'été dernier, J. L. Mankiewicz, 1959 ; Freud, passions secrètes). Ce que Hitchcock et Mankiewicz ont fait de lui, peut-être à son corps défendant, est cependant prodigieux. La Loi du silence ne repose que sur ce qu'il tait et que ses yeux trahissent. Plus acrobatique encore, Soudain l'été dernier lui confie un rôle qui, dans la pièce de Tennessee Williams, était une simple utilité : jouant de la force peu commune du regard de Clift, Mankiewicz fait du docteur Kukrovitz le personnage central du drame, sans pratiquement ajouter une ligne au dialogue. Nous ne savons rien de lui, mais à travers son regard nous connaissons tout, nous comprenons à quel point le drame dont il est le témoin trouve un écho dans son propre inconscient, et combien il est effrayé de le voir se faire jour. Cela, seul Montgomery Clift en était capable. Et pour le prouver, il recommença dans le Fleuve sauvage (1960), d'Elia Kazan, avec un brio égal : la ronde inquiète de Lee Remick contrastant avec sa réserve et sa retenue. Il serait malhonnête de ne pas rendre ici justice à des cinéastes moindres que les précédents mais qui ont su cerner admirablement sa complexité et que lui-même a conduits à se surpasser. Si Tant qu'il y aura des hommes (F. Zinnemann, 1953) laisse le comédien beaucoup trop libre de ses mouvements et de ses tics (il en avait !), tout comme le Bal des maudits (E. Dmytryck, 1958), les Anges marqués imposaient, en revanche, avec éclat ce nouveau visage, ce corps que l'on imaginait sec et osseux sous l'uniforme. La sérénité rayonnante de la création de Clift (et d'ailleurs unique dans sa carrière) semblait littéralement guider Zinnemann subjugué, et le mener, malgré lui, à des sommets qu'il a rarement fréquentés. L'Héritière (1949) était très différente : avec la méthode et la componction qui le caractérisent, Wyler y mettait en lumière l'aspect féminin du personnage de Clift, ce qui n'avait été fait à Hollywood que fugitivement, avec Valentino, et, superficiellement, avec Tyrone Power. Sur cette même voie, Stevens traça le portrait d'un autre homme-femme faible et séduisant, dans Une place au soleil. Mais, exactement comme ses victimes, Elizabeth Taylor et Shelley Winters, la caméra succombait au charme de Clift, ce que Wyler ne faisait jamais. Bien sûr, l'état de grâce ne s'est pas toujours produit. Ni De Sica (Stazione Termini, 1953) ni Huston (les Misfits, 1961) ne purent, ou ne surent, aller au-delà de la présence que Clift s'était contenté de leur offrir. Quant à Hawks (la Rivière Rouge, 1948), il nous a proposé un Clift finalement beaucoup plus juste qu'on ne l'a cru : en l'opposant à John Wayne, il mettait vraiment en lumière tout ce qui fera Clift, le silence, le regard, l'animalité, la vulnérabilité et, profondément et inconsciemment, le refus radical des aînés. Le premier, il s'est approché d'un mythe trouble et ambigu, celui d'une Amérique à la fois belle et vulnérable. Par ailleurs, l'influence sourde qu'il a exercée sur ceux qui l'ont suivi lui assure un rôle primordial dans l'évolution du héros hollywoodien : Paul Newman, Marlon Brando, Robert De Niro ou Al Pacino, pour ne citer qu'eux, lui doivent beaucoup. Le secret de l'étrange fascination qu'il dégageait était sans doute dans sa faiblesse, et l'on sait depuis que celle-ci n'était pas feinte.

Autres films :

Lonelyhearts (Vincent J. Donohue, 1959) ; Jugement à Nuremberg (S. Kramer, 1961).▲