Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
B

BELGIQUE. (suite)

Entre les deux guerres,

le cinéma de fiction est essentiellement représenté par deux hommes : Gaston Schoukens et Jan Vanderheyden. Le premier est un touche-à-tout qui donne dans des genres populaires : mélodrame (Tu ne sauras jamais, 1927), drame patriotique (les Croix de l'Yser, 1938) et comédies loufoques (En avant la musique, 1935 ; Bossemans et Copenolle 1938). Vanderheyden reste surtout l'homme d'un seul film : Filasse (De Witte, 1934), qu'il coréalise avec Willem Benoy. Cette histoire d'un Poil de carotte flamand possède un sens extraordinaire de l'authenticité pour l'époque : décors naturels, acteurs non professionnels, régionalisme, etc. Par la suite, Vanderheyden ne retrouvera jamais cette manière de faire. En 1936, Dekeukeleire élabore un long métrage de fiction, le Mauvais Œil, dans lequel il tente de restituer la survivance de certaines superstitions en milieu rural flamand.

L'occupation allemande n'est guère favorable à l'épanouissement du cinéma en Belgique ; on peut difficilement y réaliser des longs métrages. Storck tourne la difficulté en proposant des projets pour quatre courts métrages, auxquels il en ajoute un cinquième, Noces paysannes, qui doit articuler le rythme des saisons inclus dans les autres parties ; ainsi Symphonie paysanne, son œuvre la plus lyrique, voit le jour (1942-1944). À la Libération, Émile De Meyst termine un film sur la Résistance, entrepris pendant l'Occupation (Soldats sans uniforme, 1944), et poursuit dans le même esprit avec Baraque no 1 (1945).

Après la guerre,

il y a une brève flambée créatrice qui concerne surtout le court métrage : Storck, De Boe continuent, de nouveaux cinéastes comme Paul Haesaerts* (De Renoir à Picasso, 1949 ; Un siècle d'or, 1953, etc.) qui introduit la critique comparative dans le film sur l'art, Luc De Heusch* (Perséphone, 1951 ; Fête chez les Hamba, 1955, etc.), esprit curieux et éclectique proche d'un Storck, Lucien Deroisy, Émile Degelin (Bruges, 1953) apparaissent. Degelin et Deroisy réalisent par la suite des longs métrages assez remarqués : respectivement Si le vent te fait peur (1960), attachante chronique intime dont le sujet frise l'inceste, et les Gommes (1959), adaptation intelligente du roman homonyme de Robbe-Grillet. Mais le véritable premier film belge de fiction, digne de ce nom, est Les mouettes meurent au port (1955), conçu par trois jeunes cinéastes anversois : Rik Kuypers, Ivo Michiels et Roland Verhavert. Fondé sur un canevas policier (les dernières heures d'un criminel traqué), ce film, à la plastique expressionniste, renouvelle le genre d'une manière peu orthodoxe.

Vers cette époque, le cinéma commence à être pris au sérieux en Belgique. Le festival de Bruxelles tente, en 1947, de concurrencer Cannes, encore embryonnaire, et Venise, marqué par son passé. En 1963, une subvention à la production est accordée par l'État ; des commissions de sélection se forment (en 1964 pour le côté flamand, en 1967 pour la partie francophone) : cette politique ressemble au système français de l'avance sur recettes. Des écoles de cinéma sont fondées au début des années 60 : l'IAD (Institut des arts de diffusion), l'INSAS (Institut national supérieur des arts du spectacle et des techniques de diffusion) et le RITCS, son homologue flamand. Toutes choses qui autorisent de profondes mutations. En 1966, l'Homme au crâne rasé d'André Delvaux*, premier film à bénéficier de l'aide de l'État, est remarqué dans de nombreux festivals et focalise sur son auteur l'intérêt de la critique internationale. En 1975, Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, attire l'attention sur sa réalisatrice, Chantal Akerman*.

Mais, dès 1960, le cinéma belge commence à s'affirmer : cette année-là est tourné Déjà s'envole la fleur maigre de Paul Meyer, film qui décrit les conditions de vie misérables de la main-d'œuvre étrangère. Cette veine filmique se poursuit avec la création, en 1964, à l'initiative de Paul De Vree, du groupe indépendant Fugitive Cinéma, également actif aux Pays-Bas. Robbe De Hert et Guido Henderickx se joignent bientôt à Paul De Vree. Le groupe produit essentiellement des films militants : S.O.S. Fonske (Robbe De Hert, 1968), Mort d'un homme sandwich (De Hert et Henderickx, 1971). Même si cela peut paraître curieux dans ce pays de documentaristes, cette tradition du film de combat était pratiquement inexistante dans le cinéma belge, à l'exception de Borinage de Storck et Ivens et de Combattre pour nos droits de Frans Buyens (1960-61). Un film produit selon les nouveaux critères, Jeudi on chantera comme dimanche de Luc De Heusch (1967), nous parle de problèmes quotidiens dans les milieux ouvriers ; peut-être la sensibilité de Fugitive Cinéma n'a-t-elle pas laissé De Heusch insensible !

Les années 60 et 70

voient enfin se réaliser, dans des films de fiction bien construits et portés par d'authentiques scénarios, cette appétence des Belges pour le fantastique. Outre les films de Delvaux (l'Homme au crâne rasé, 1966 ; Un soir un train, 1968 ; Rendez-Vous à Bray, 1971 ; Benvenuta, 1983), qui mettent en jeu un fantastique intériorisé, proche de celui des romantiques allemands, on peut citer à la rigueur ceux d'Harry Kümel (par ex. Monsieur Hawarden, 1968 ; les Lèvres rouges, 1970 ; Malpertuis, 1972) ou Michaella d'André Cavens (1968), et Chronique d'une passion de Roland Verhavert (1972).

Grâce aux cinq festivals de cinéma expérimental organisés par la Cinémathèque royale à Knokke-Le-Zoute depuis 1949, le mouvement underground s'est montré très vivace en Belgique. Citons aussi Roland Lethem, qui œuvre volontiers dans la subversion anarchisante (les Souffrances d'un œuf meurtri, 1967 ; la Fée sanguinaire, 1968 ; le Sexe enragé, 1969, etc.), ainsi que les films de Marcel Broodthaers (la Clef des champs, 1958), de Patrick Hella (les Caméléons, 1967), de Jos Pustjens (Essentieel, 1964), de Marc Ghens et Jean-Noël Gobron (Screentest for Eurydice, 1974), de Boris Lehman* (Couple, regards, positions, 1983), de Jan Decorte (Hedda Gabler, id.)...