Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
A

ALTMAN (Robert) (suite)

Après avoir essuyé le refus d'une douzaine de réalisateurs, sa chance fut d'accepter le scénario de M*A*S*H* (1970), que lui propose le producteur Ingo Preminger. Palme d'or au festival de Cannes (1970), le film connaît un triomphe public qui permet à Altman de capitaliser sur son succès et de tourner quinze films en dix ans avec une audace et une invention constantes. Il incarne mieux que personne le renouvellement des sujets et des styles que connaît Hollywood à la fin des années 60, mais lorsque le vent du conservatisme recommence à souffler, Altman persiste dans la voie qu'il s'est tracée, refuse de céder au conformisme ambiant et, après Nashville (1975), sommet de sa réputation, se voit de plus en plus contesté par la critique et abandonné par le public. Sa carrière n'en est pas moins, à ce jour, l'une des plus singulières et des plus riches du cinéma américain contemporain. Il a réussi à persévérer, malgré les obstacles, en formant une équipe unie, s'entourant d'acteurs fidèles et de collaborateurs qui, au gré des tournages, remplissent les fonctions les plus diverses. Il y a donc une troupe Altman, et la souplesse de ses productions lui a permis de réduire les coûts de fabrication, donc les risques d'échec. Au début des années 80, désabusé temporairement par l'industrie hollywoodienne, il se tourne vers la mise en scène d'opéra et de théâtre. Il réalise un film d'après une de ses productions (Reviens, Jimmy Dean, reviens), où il dynamise l'espace, survolte ses comédiennes, atteint à une fluidité de style faisant ainsi oublier l'origine scénique de l'œuvre. Streamers opère le même travail de concentration spatiale en enfermant six personnages dans une chambrée à l'époque de la guerre du Viêt-nam. Secret Honor va plus loin encore dans l'ascétisme scénique : un seul personnage dans un décor unique. Un Nixon à la fois bouffon et pathétique se fait l'avocat de lui-même. On retrouve le Altman sarcastique, fustigeur de son époque, tout comme dans The Utterly Monstrous Mind-roasting Summer of O. C. and Stiggs, une variation sur des personnages proches de la bande dessinée. En 1985, le cinéaste vient travailler en France où il adapte pour l'écran une pièce The Laundromat, histoire de deux femmes qui passent la nuit dans une laverie automatique.

Les films d'Altman sont référentiels. Le cinéaste est conscient de travailler à l'intérieur d'une tradition culturelle, et ses œuvres sont autant de commentaires et de variations sur les genres traditionnels : film de guerre (M*A*S*H*), western (John McCabe, Buffalo Bill et les Indiens), film de gangsters (Nous sommes tous des voleurs, Kansas City), policier (le Privé), science-fiction (Quintet), musical (Nashville, Un couple parfait), etc. Ainsi s'élabore une réflexion sur les images produites par la culture américaine qu'Altman regarde d'un œil critique en débusquant mythes et stéréotypes.

Libéral mais résolument antiromantique, Altman peint des personnages qui défendent leur intégrité face à un milieu hostile, que ce soit John McCabe ou Popeye arrivant dans une ville qui rejette les étrangers, ou les amants traqués de Nous sommes tous des voleurs pendant la Dépression, ou le héros de Quintet poursuivant son errance solitaire après avoir échappé à une société rigide gouvernée par le jeu, ou encore les Trois Femmes prisonnières du cauchemar climatisé de la Californie. Bien que les films d'Altman adoptent les tons les plus divers (héroï-comique, lyrique, satirique, réaliste), on peut néanmoins reconnaître deux veines majeures dans son œuvre. La première, qui va de M*A*S*H* à Dr T et les femmes en passant par Nashville et Un mariage, privilégie la satire sociale, le grouillement des personnages et se caractérise par une certaine sécheresse que l'on a pu reprocher au cinéaste. La seconde (That Cold Day in the Park, Images, Trois Femmes, Quintet, Cookie's Fortune) accorde à l'imaginaire, au mythe, une place prépondérante. Mais la richesse des films interdit toute séparation tranchée, et la force d'Altman est précisément de mener de front l'exploration du psychisme et la peinture d'une société. Ainsi Popeye est à la fois un commentaire sur un mythe populaire, une fable sur l'Amérique et un conte œdipien sur la recherche du père.

Si les premiers films du réalisateur ne font montre d'aucune originalité particulière, comme si Altman avait voulu, plus tard, se servir d'eux comme exemples à ne pas suivre, en revanche son cinéma se signale, à partir de That Cold Day in the Park et M*A*S*H*, mais surtout Brewster McCloud, par une très grande invention formelle. Chaque film est marqué par l'exploration d'un décor : les villages en bois de John McCabe et de Popeye, les salles de jeu de California Split, l'astrodrome de Houston (Brewster McCloud), Nashville, la ville glacée de Quintet, le camp de Buffalo Bill et les Indiens, Los Angeles et les studios de cinéma dans The Players, les bas-fonds de Kansas City dans le film du même titre ou Dallas, ville/gynécée dans Dr T. et les femmes. L'utilisation fréquente de la Panavision, combinée avec les effets de zoom et de téléobjectif, à la fois élargit et aplatit l'espace, brisant les effets de réalité et produisant un sentiment d'instabilité. Le recours à de nombreuses pistes sonores crée volontairement une confusion, un « chaos fertile », selon l'expression de Robert Benayoun, relayé par une direction d'acteurs où l'improvisation semble se donner libre cours. La multiplication des personnages secondaires tout comme la présence d'un commentaire (conférencier de Brewster McCloud, émission de radio de Nous sommes tous des voleurs, haut-parleur de M*A*S*H*, chansons de Leonard Cohen dans John McCabe, thème musical joué par plusieurs instruments dans le Privé) achèvent de créer un sentiment de distanciation. Obsédé par la fragmentation comme par les phénomènes de dédoublement ou de schizophrénie, Altman n'en est pas moins également préoccupé par la recherche d'une explication globale du monde (voir Quintet) comme structure ludique. Après les succès mitigés de Quintet, Un couple parfait et Health (dont la distribution restera confidentielle), Popeye, production ambitieuse et originale financée par Disney, se révèle incapable de redorer le blason d'Altman auprès des financiers. Il s'oriente alors vers le théâtre et filme à peu de frais certaines de ses mises en scène (Reviens, Jimmy Dean, reviens). Il s'installe en Europe et sa retraite n'est qu'apparente ; en fait, il n'arrête pas de travailler : théâtre, opéra, télévision, vidéo, cinéma... À partir de situations volontiers minimalistes — par exemple dans les séquences montrant le président Nixon seul dans son bureau (Secret Honor) ou une ménagère dans une laverie automatique (The Laundromat) —, il continue à expérimenter avec l'espace et les acteurs : ainsi Basements, téléfilm prestigieux et austère à partir de deux courtes pièces d'Harold Pinter, peut se prévaloir d'une distribution brillante (John Travolta, Linda Hunt). De temps à autre, un film de cinéma éclot, obstinément fidèle au style du réalisateur, et passe dans une indifférence polie (Beyond Therapy, Fool for Love).