Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
I

INDE. (suite)

La New Theatres Ltd est fondée à Calcutta en 1930 par Birendra Nath Sircar, qui, producteur intelligent et avisé, sut très vite s'entourer de talents sûrs et contribua grandement à assurer le prestige du cinéma bengali. Il s'attacha en effet non seulement Dhiren Ganguly, qui réalisa pour lui plusieurs comédies, dont un très grand succès (‘ Excusez-moi, monsieur‘ [Excuse Me, Sir, 1934]), mais aussi Debaki Bose, qui mit en scène sous cette bannière ses meilleurs films religieux, dont Seeta (1934), le premier film indien montré au festival de Venise ; mais encore P. C. Barua*, qui, avec Devdas (1935), réalisa l'un des films les plus populaires de tout le cinéma indien.

La Prabhat Film Company, lancée dès 1929 à Kolhapur, s'installe à Poona, non loin de Bombay, en 1933. Elle est fondée par un autodidacte, V. Shantaram*, et quatre associés. Implantée en territoire marathi, cette compagnie se consacre à des films en marathi et éventuellement en hindi. Shantaram connaît lui-même le succès avec des films mythologiques comme ‘ Lumière éternelle ’ (Amar-Jyoti, 1936) et surtout des films à caractère social comme ‘ l'Inattendu ’ (Duniya Na Mane, 1937). Ses associés V. Damle et S. Fathelal, avec Saint Tukaram (Sant Tukaram, 1936), film sur un saint poète du XVIIe siècle, reçurent une récompense à Venise, la première décernée à un film indien.

La Bombay Talkies, enfin, est fondée par Himansu Rai et Devika Rani en 1934, après l'échec en Inde des coproductions germano-indiennes que Rai avait montées du temps du muet. Il réunit autour de lui un nombre impressionnant de jeunes talents qui trouveront à s'épanouir : les acteurs Ashok Kumar, Raj Kapoor* (futur cinéaste) et Dilip Kumar*, le scénariste Khwaja Ahmad Abbas* (futur cinéaste aussi). La production, plusieurs films par an, se partage entre films mythologiques comme Savitri (id., F. Osten, 1937) et films sociaux comme ‘ l'Intouchable ’ (Achhut Kanya, id., 1936), destinés particulièrement à faire prendre conscience des abus créés par les tabous de caste.

Les années 40.

La solidité de ces compagnies proches de l'autosuffisance était pourtant illusoire. Dès 1940, année de la mort d'Himansu Rai, les capitaux qu'a mis en circulation le développement des industries militaires donnent lieu à l'édification de fortunes rapides et permettent l'émergence de producteurs indépendants qui montent des films au coup par coup, louant studios et laboratoires, engageant au cachet scénaristes, musiciens et vedettes.

Les années 40 voient ainsi la disparition progressive des grandes compagnies et leur remplacement par un nombre de plus en plus important de producteurs indépendants : changement qui entraîne des conséquences de poids, qui se font encore sentir aujourd'hui.

À des politiques cohérentes suivies pendant des années succède le film « coup de poker ». La compétition entre les producteurs les conduit à augmenter démesurément le budget des films, à donner aux vedettes des cachets de plus en plus élevés, ce qui les incite à maintenir très bas ceux des auteurs et des scénaristes. Compétition qui se fait plus âpre encore du fait des difficultés des années de guerre puis, après 1947, date de l'indépendance de l'Inde, à cause des taxes très élevées que le gouvernement indien impose à l'industrie du cinéma.

À la fin des années 40, l'Inde produit près de 300 films par an. Cette prospérité apparente masque une situation profondément viciée : l'usage de l'argent « noir » (provenant de profits illicites) se généralise ; les vedettes, véritables objets de culte, sensibles à l'appât de cette manne, se mettent à travailler simultanément pour plusieurs films ; faute d'histoires originales, on imite de plus en plus Hollywood ; les distributeurs, que l'abondance de films rend plus puissants, interviennent par des prêts au niveau de la production ; nombre de producteurs, ainsi affaiblis, disparaissent aussi vite qu'ils étaient apparus.

Les années 50.

Pourtant, dans les années 50, ce type de production accède à une suprématie absolue. Bombay, devenue capitale du film hindi (le plus vaste marché indien), impose une formule imparable : dans chaque film, une ou deux vedettes de première importance, six chansons et trois danses. Le scénario, presque laissé pour compte, racontera une quelconque romance. La popularité des vedettes et le lancement des chansons à la radio doivent assurer le succès du produit. Cette formule réussit au-delà de toute espérance au niveau du box-office mais la médiocrité et la vulgarité envahissent de plus en plus ce cinéma qui s'écarte complètement de la peinture des réalités indiennes. Quelques hommes cependant, dans ce système débilitant, tentent de lutter pour un cinéma de meilleure qualité. K. A. Abbas, critique et écrivain de cinéma, s'illustre par des films à caractère social et progressiste, dont ‘ les Enfants de la terre ’ (Dharti Ke Lal, 1946), premier film indien à être montré à Moscou comme à Londres et Paris, et ‘ l'Enfant perdu ’ (Munna, 1954), premier film sans chansons ni danses. Raj Kapoor, sur des scénarios écrits par Abbas, réalise des films à grand succès qui suivent les impératifs de la formule, mais touchent à des thèmes sociaux : ‘ le Vagabond ’ (Awara, 1951), ‘ Mr 420 ’ (Shri 420, 1955).

Il est difficile, d'autre part, de mesurer l'impact réel des sujets tournés par l'Indian Documentary Film (fondé en 1947) et qui se veulent didactiques notamment pour l'évolution de l'hygiène, l'alphabétisation, etc.

Deux cinéastes de grand talent essaient au même moment de créer une œuvre personnelle dans ce contexte hostile. Bimal Roy*, Bengali venu à Bombay, réalise Deux Hectares de terre (Do Bigha Zamin, 1953), une œuvre à caractère réaliste qui obtient un prix international à Cannes en 1954, puis ‘ Sujata ’ (id., 1959), qui traite de la question toujours épineuse des intouchables. Guru Dutt* réussit à transcender les conventions du cinéma hindi et bâtit une œuvre forte et sensible, imposant dans ses meilleurs films l'image d'un antihéros victime de la société : l'Assoiffé (Pyaasa, 1957), Fleurs de papier (Kaagaz Ke Phool, 1959).