Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
I

ISRAËL. (suite)

En 1964, Golan produit Sallah Shabbati de Efraim Kishon, une comédie ethnique sur la confrontation des juifs ashkénazes et sépharades dans un pays d'immigrants, qui reste, jusqu'à ce jour, un des plus grands succès commerciaux du cinéma israélien (plus d'un million d'entrées pour une population qui ne comptait à ce moment que 3 millions d'habitants). Par la suite, ce succès inaugura une série d'imitations, pour la plupart vulgaires et balourdes, et le film fut identifié comme le premier d'un genre purement israélien (les films «  bourekas  »).

Le plus authentique auteur de comédies est sans doute alors Uri Zohar. Comédien adulé des foules, il se lance dans le cinéma avec aisance et impertinence. Son premier film, ‘ Un trou dans la Lune ’ (Khor Ba'levana, 1965), une satire délirante, anarchique et presque d'avant-garde (par l'abondance des ellipses), critique d'un ton persifleur toutes les tares de la nouvelle société israélienne. Mais le public et les producteurs sont décontenancés par ce film inclassable, qui est un échec commercial. La carrière de Zohar alterne dès lors les films intimes, et personnels, comme ‘ Trois Jours et un enfant ’ (Shlosha Yamin Ve'Yeleó, 1967) et les films bâclés ‘ Notre quartier ’ (Ha'Shekuna Shelanu, 1968). Ses meilleures œuvres restent ‘ les Voyeurs ’ (Metzitzim, 1972) et ‘ Grands Yeux ’ (Eynaim gedoloth, 1974), deux comédies amères sur le refus de la maturité, centrées sur un personnage interprété par le cinéaste lui-même. Sa carrière s'arrête brusquement en 1977, lorsqu'il quitte le monde du spectacle pour entrer dans un séminaire religieux et se faire rabbin.

La fin des années 60 marque une tendance vers un cinéma plus aventureux, plus conscient de son langage et de son style et animé par de jeunes cinéphiles ambitieux, inspirés, dans la plupart des cas, par l'Europe cinématographique et l'irruption de la Nouvelle Vague. Si ‘ la Femme dans la chambre à côté ’ (Isha Ba'kheder Ha'sheni, 1967) de Itzhak Yeshurun manque encore de personnalité, ‘ la Robe ’ (Ha'simla, 1970) de Yehuda « Judd » Ne'eman, ‘ le Rêveur ’ (Ha'timhoni, id.) de Dan Wolman, et ‘ Où est donc Daniel Wax ? ’ (Le'an Ne'elam Daniel Wax ?, 1972) de Avraham Heffner amorcent un tournant : un ton sobre et le courage d'affronter les problèmes de la première véritable génération, sans emprunter le ton roublard des comédies à la mode, ni le ton accrocheur des aspirants au cinéma international. Malheureusement, le public accueillera avec réticence la plupart de ces films ; et du fait du système de subvention en vigueur, les efforts de ces réalisateurs restent sans suite immédiate.

Le seul cinéaste qui, en cette période, trouve le moyen de plaire au public et de rester fidèle à sa personnalité est Moshe Mizrahi. Avec le soutien de la société Golan-Globus, il tourne ‘ Rosa, je t'aime ’ (Ani Ohev Otakh, Rosa, 1972) et ‘ la Maison de la rue Chelouche ’ (Ha Bayit Be Rekhov Chelouche, 1973), deux films nostalgiques et touchants, axés sur des chroniques de sa famille. En 1975, Mizrahi quitte Israël pour retourner à Paris, où il a fait ses débuts ; il reçoit l'Oscar du meilleur film étranger en 1977 pour la Vie devant soi. Ce n'est qu'en 1994 qu'il revient tourner en Israël.

Un autre genre autochtone est inauguré par le champion absolu des recettes en Israël, Lemon Popsicle (Eskimo limon, 1978), inspiré par la vague de nostalgie pour les années 60. Réalisée par Boaz Davidson pour la Golan-Globus, c'est une comédie sur les aventures amoureuses de trois adolescents ; ses effets faciles séduisent non seulement sur le marché local, mais aussi le marché international.

Un cinéma politisé.

S'il y a un appel au cinéma de qualité en Israël, c'est en 1979 qu'il se situe. Une Fondation pour la promotion du cinéma est instituée par le ministère de l'Éducation et de la Culture qui, sans pour autant offrir de larges moyens aux jeunes réalisateurs, leur assure une aide sans laquelle, au début des années 90, il sera difficile d'envisager une production israélienne. Une nouvelle vague de cinéastes apparaît, plus politisée et plus exigeante. Le style peut être cassant, brutal, réaliste, comme c'est le cas de Yaki Yosha (‘ le Vautour ’ [Ha'ayt], 1981 ; Dead End Street, 1982), ou percutant avec Daniel Wachsman (Hamsin, 1982). Grâce à l'aide de cette fondation, des réalisateurs qui jusqu'alors n'avaient pu, faute de moyens, donner leur pleine mesure comme Dan Wolman (Cache-cache, 1981), Michal Bat-Adam, Mira Recanati et Itzhak « Zeppel » Yeshurun (‘ Noa, 17 ans ’ ; ‘ Un couple marié ’ [Zug Nassoui]) et des vétérans qui s'étaient recyclés dans d'autres domaines, tel Yehuda Ne'eman (responsable du département de cinéma à l'université de Tel Aviv et auteur en 1983 de Magash Hakessef), reviennent en force, pour retrouver les thèmes qui les préoccupent. Des hommes comme Uri Barbash (Au-delà des murs, 1984), Nissim Dayan (Un pont très étroit, 1985), Shimon Dotan (le Sourire de l'agneau, 1986), Rafi Boukai (Avanti Popolo, 1986) ou Elie Cohen (Ricochets [Shtei etzba'oth me-Tzidon], 1986) expriment la déception des Israéliens face à la politique nationale, en particulier l'intervention au Liban (1982-1984). L'énor-me succès de ce dernier film en Israël traduit l'adhésion du grand public aux critiques du cinéaste.

Même quand ils ne traitent pas directement des rapports avec les populations arabes en Israël et dans les pays voisins, les cinéastes israéliens sont préoccupés par les effets et les répercutions de ces rapports au niveau national, sur la population juive. Ainsi, le cinéma israélien traite-t-il divers thèmes : le mythe de l'héroïsme, mythe annoncé déjà dans les Parachutistes (Massa alounkoth, 1977) de Yehuda « Judd » Ne'eman et repris dans le Soldat de la nuit de Dan Wolman (Ayal halayla, 1984) ; le mythe des victimes de guerre, dans le Vautour (Ha'ayit, 1981) de Yaki Yosha ; l'angoisse d'un avenir incertain, en particulier pour les lycéens qui s'apprêtent à faire leur service militaire, dans Blues de fin d'été (Blues la'hofesh hagadol, 1987) de Renen Schorr, ou, presque dans le même registre, Cache-cache (Miskh'kei makhbu'im, 1981) de Dan Wolman, sur l'esprit étroit de ceux qui sont trop occupés à fonder un pays pour se permettre le libéralisme, ou Noa, 17 ans (Noa bath 17, 1982) de Itzhak « Zeppel » Yeshurun, film sur la rupture qui a eu lieu dans le mouvement travailliste israélien après la mort de Staline et ses répercussions sur le comportement des adolescents.