Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
C

CRIMINEL (cinéma). (suite)

Résurgence du film de gangsters et du film noir.

On voit renaître, à intervalles plus ou moins réguliers, le film de gangsters tel qu'il s'était constitué dans les années 30, avec pour protagonistes des figures « historiques » de l'époque : Dillinger (Max Nosseck, 1945) ; l'Ennemi public (Siegel, 1957) ; Mitraillette Kelly (Corman, 1958) ; la Chute d'un caïd (Boetticher, 1960) ; Les incorruptibles défient Al Capone (Phil Karlson, 1962) ; le Massacre de la Saint-Valentin (Corman, 1967) ; Dillinger (J. Milius, 1973) ; les Incorruptibles (B. De Palma, 1987).

De même se dessine, dans les années 60, un nouveau cycle du film du « privé », qui avoue sa dette envers le cycle original de Marlowe. Détective privé (1966) de Jack Smight rend hommage au Grand Sommeil en donnant un rôle à Lauren Bacall. Il est suivi par Syndicat du meurtre de l'Anglais Guillermin (1968) ; Peter Gunn, détective spécial (B. Edwards, id.), par trois films de Gordon Douglas avec Frank Sinatra dans le rôle du « privé » (Tony Rome est dangereux, 1967 ; le Détective, 1968 ; la Femme en ciment, id.) ; et bientôt par de nouvelles adaptations de Chandler lui-même : la Valse des truands (Paul Bogart, 1969) ; le Privé (Altman, 1973) ; Adieu ma jolie (Dick Richards, 1975), où Charlotte Rampling semble une nouvelle Lauren Bacall. Comme pendant les années 40, des metteurs en scène européens illustrent le genre : Polanski signe Chinatown (1974) ; Wenders, Hammett (1982), qui a pour héros l'auteur du Faucon maltais. Du film noir ces œuvres reprennent les intrigues complexes, la peinture d'un monde où les apparences sont trompeuses. Souvent suggérées à l'époque classique, les déviations sexuelles sont devenues explicites. À la faveur de modes nostalgiques, les exotismes, les bizarreries font retour. Mais la couleur remplace le plus souvent les ombres expressionnistes des prototypes : ainsi, dans le remake des Tueurs par Don Siegel, À bout portant, 1964.

Les films de gangsters semblent connaître un regain d'intérêt pendant les années 80 et 90. Deux sont réalisés par De Palma et interprétés par Al Pacino : Scarface (1982) resitue le classique de Howard Hawks dans le Miami contemporain, et sa pègre d'origine cubaine, en une vaste fresque de près de trois heures ; moins flamboyant, moins long, l'Impasse (1993) revient au classicisme et retrace avec une rigueur tragique l'impossible survie d'un pathétique malfrat dans une pègre dont le caractère impitoyable le surpasse. Toujours avec Pacino comme interprête, F. Ford Coppola revient une dernière fois sur la saga du Parrain (le Parrain 3, 1989) et la dénoue dans un fatalisme tragique qui évoque l'opéra. Scorsese, quant à lui, revisite l'univers criminel des immigrés italiens dans le très violent les Affranchis (1990), où, à l'opposé de la sécheresse de Mean Streets (1973), il opte pour l'ampleur de la fresque, une forme qu'il reprend dans Casino (1995). Plus modeste, mais attachant par un style sec et un prolongement scénaristique passionnant, Pacte avec un tueur (John Flynn, 1987) raconte comment un gangster engage des tractations avec un célèbre auteur de romans policiers pour rédiger un livre sur sa vie.

Le film noir tel qu'on l'a connu dans les années 40-50, avec ses femmes fatales et ses quidams tout à coup précipités dans l'univers pâteux du crime, est traité de moins en moins souvent, même de manière allusive. On ne fait en général qu'emprunter à sa riche iconographie, comme ce fut le cas dans le prestigieux « à la manière de Dashiell Hammett » de Miller's Crossing (J. Coen, 1990). Mais le chatoiement nouveau de la forme ne doit guère masquer le désenchantement amer du fond : ainsi dans le Diable en robe bleue (C. Franklin, 1995), qui, sous pretexte de recréer le Los Angeles de1945, aborde avec beaucoup d'intelligence la question moderne du metissage et de l'intégration dans l'Amérique contemporaine. L. A. Confidential (C. Hanson, 1997) est une réussite comparable qui se double d'une réflexion sur les clichés justement véhiculés par le film noir lui-même.

Signalons cependant l'obstination intéressante du franc-tireur John Dahl, qui, dans Kill me again (1989) et The Last Seduction (1994), poursuit des variations sur l'homme, la femme fatale et l'argent. Un thème également traité par J. Demme dans Dangereuse sous tous rapports (1987).

Sous-genres criminels divers.

Diverses catégories du film criminel, sans avoir l'importance du film de gangsters et du film noir, constituent des sous-ensembles à l'identité marquée. On se bornera à en signaler trois.

Né dans l'ombre du film de gangsters, le film policier, souvent de tendance documentaire, a parfois acquis une existence autonome. À ce genre appartiennent les séquences documentaires de The Beast of the City (Ch. Brabin, 1932), dont le héros est le « flic » et non le gangster ; mais à ceci près que la thématique et l'iconographie sont celles mêmes du film de gangsters. Cette tendance revit dans les années 40 avec les œuvres produites par Louis de Rochemont et mises en scène par Henry Hathaway : la Maison de la 92e Rue (1945) ; 13, rue Madeleine (1947) ou Appelez Nord 777 (1948). On recrée des événements réels dans les lieux où ils se sont déroulés et avec la participation des protagonistes (déjà le FBI de Hoover avait collaboré au cycle des G-Men) ; à l'espionnage, on substitue parfois la banalité du quotidien (Quatorze Heures, également de Hathaway, 1951). Vingt ans plus tard, le policier semi-documentaire renaîtra avec Police sur la ville de Siegel (1968), dont le scénario est dû à Polonsky. Le film policier reflète fidèlement les débats de société : l'Inspecteur Harry (Siegel, 1971) se plaint du laxisme de la justice en des termes identiques à ceux de W. R. Burnett dans les années 30 ; interprété par Clint Eastwood et volontiers qualifié de fasciste, son héros a eu de nombreux émules tant dans la police (Chuck Norris) que dans la population civile (Charles Bronson et le cycle du Justicier dans la ville). French Connection (Friedkin, 1971) combine la tradition documentaire, la violence et l'idéologie de la répression, tandis que le personnage du policier en lutte contre la corruption qui l'environne revit dans Serpico (Lumet, 1973).