Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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FRANCE. (suite)

Le cinéma puise donc toujours dans la littérature : de Victor Hugo (Notre-Dame de Paris, Delannoy, 1956 ; les Misérables, Le Chanois, 1958) à Zola (Gervaise, Clément, 1956 ; Pot-Bouille, Duvivier, 1957), de Madame de La Fayette (la Princesse de Clèves, Delannoy, 1961) à Radiguet (le Bal du comte d'Orgel, M. Allégret, 1970), sans oublier le Mauriac deThérèse Desqueyroux (Franju*, 1962), le Cocteau de Thomas l'imposteur (id., 1965) et l'inépuisable Simenon. Le film à sketches survit grâce à Duvivier (Sous le ciel de Paris, 1951), qui n'oublie sa misogynie et son pessimisme (Voici le temps des assassins, 1956) qu'en compagnie de Don Camillo ou avec l'ingénieux prétexte de la Fête à Henriette (1952). Le populisme se fane (Sans laisser d'adresse, 1951 ; Agence matrimoniale, 1952, tous deux de Le Chanois), mais d'une façon générale une grisaille envahit les écrans, une médiocrité besogneuse : nombre de petits films bâclés et fauchés asphyxient la production et lassent le public. Restent des individualités vigoureuses qui émergent et déroutent quelquefois. Sacha Guitry, par exemple, décoche quelques films grinçants, très modernes de ton, où il lance les dernières fusées d'un esprit désabusé (la Poison, 1951 ; la Vie d'un honnête homme, 1953 ; Assassins et Voleurs, 1957) ; Anouilh* (Deux Sous de violettes, 1951) ; J.-P. Melville*, qui avait d'abord joué les francs-tireurs (le Silence de la mer, 1948), a conquis le grand public avec l'adaptation de Léon Morin, prêtre (1961). Son talent va le conduire de plus en plus à se figer dans le hiératisme glacé, mais l'Armée des ombres (1969) ramène les souvenirs poignants de l'Occupation et le Cercle rouge (1970) est une brillante variation sur un thème usé (le hold-up d'une bijouterie). Jacques Tati* fait cavalier seul avec son personnage de M. Hulot qu'il fait mouvoir en mime précis parmi les aléas de la vie quotidienne. Quant à Buñuel, son retour en France lui permet de signer quelques œuvres importantes, soit inspirées par des romans de Mirbeau ou de Joseph Kessel, soit développant des scénarios originaux dont le chef-d'œuvre reste le Charme discret de la bourgeoisie (1972), satire d'une drôlerie explosive qui combine avec efficacité un certain nombre de fantasmes du réalisateur. Robert Bresson, qui n'avait rien donné depuis les Dames du bois de Boulogne, adapte en 1950 le Journal d'un curé de campagne de Bernanos. Il étonne par son parti pris de dépouillement et d'austérité sur lequel les films suivants vont renchérir. Le jansénisme de la mise en scène et de l'interprétation séduira des épigones qui n'arriveront pas à retrouver l'émotion sous-jacente de Pickpocket (1959) et, plus tard, d'Au hasard Balthazar (1966) ou de Mouchette (1967).

La Nouvelle Vague.

Mais les temps sont révolus, des films précurseurs apparaissent : Et Dieu créa la femme (Vadim*, 1956), les Amants (L. Malle*, 1958) ; le réalisateur essaie de se dégager des carcans traditionnels du scénario, des dialogues, de l'interprétation. L'équipe des jeunes critiques des Cahiers du cinéma commence à tirer à boulets rouges sur ce qu'elle appelle le bon goût français. Favorisée par les circonstances, portée par son amour du cinéma, ne connaissant pas les contingences financières, elle atteint rapidement son but : la réalisation de films. Elle innove ou pense innover, se libère des studios, adopte un matériel léger, fait fi des scénarios trop construits, des histoires trop élaborées et se livre, sur les lieux du tournage, aux délices de l'improvisation. Les devis de films s'allègent, les producteurs s'intéressent à cette nouvelle forme de cinéma, le public suit et remplit les salles grâce à une publicité bien orchestrée qui répand à travers le monde le slogan de « Nouvelle Vague ».

1959 voit donc passer derrière la caméra un Truffaut* (les Quatre Cents Coups) et un Godard* (À bout de souffle). La même année, Alain Resnais* délivre le message d'Hiroshima mon amour, où il entrelace les thèmes du souvenir avec une intrigue amoureuse, où les images d'Hiroshima détruite alternent avec des rappels de l'occupation allemande, récit doucement commenté par le texte de Marguerite Duras*. L'intelligence et l'émotion du film convainquirent le public sans surprendre ceux qui connaissaient les courts métrages antérieurs de l'auteur, aussi bien ceux voués à la peinture que ceux dénonçant le colonialisme ou faisant le constat des crimes nazis. La mémoire, le souvenir, le passé et le présent continuent d'obséder le cinéaste dans des œuvres aussi importantes que l'Année dernière à Marienbad (1961), Muriel (1963) ou La guerre est finie (1966).

Truffaut exploite longuement une veine autobiographique où peut s'épancher sa sensibilité (les Quatre Cents Coups, Baisers volés, 1968, Domicile conjugal, 1970). Sa retenue et l'élégance de son style l'amènent peu à peu à une nouvelle qualité française. Jean-Luc Godard, dès À bout de souffle, avait rompu avec les canons du cinéma commercial et violenté le public. L'esprit sans cesse en éveil pour profiter de tout ce qui peut enrichir le thème choisi, il continua de bousculer les moules traditionnels des genres en faveur : le Petit Soldat (1960), Une femme est une femme (1961), Vivre sa vie (1962), le Mépris (1963), les Carabiniers (id.), Bande à part (1964), Alphaville (1965) pour arriver à Pierrot le fou (id.), puis bifurquer vers des recherches sociologiques (Masculin-Féminin, 1966, Deux ou Trois Choses que je sais d'elle, 1967) ou des développements politiques (la Chinoise, id.) qui vont l'amener bientôt à se consacrer à des activités militantes.

Auteur prolifique, Claude Chabrol* se plaît dans le persiflage, la satire et la désinvolture. Il fait de la bourgeoisie sa cible préférée, articulant souvent son récit sur un meurtre qui sert de révélateur. Très inégal, capable de tomber dans le commerce le plus facile (films de 1963 à 1967), il a réussi ses œuvres les plus intéressantes avec la complicité de Paul Gégauff*, son scénariste favori (les Cousins, 1959 ; les Bonnes Femmes et les Godelureaux, 1960 ; les Biches, 1968).