Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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GAUMONT (Léon) (suite)

En 1905, Léon Gaumont a fait installer aux Buttes-Chaumont, rue des Alouettes, un local de 45 mètres de long et de 34 mètres de haut, spécialement destiné à la prise de vues et muni d'un appareillage électrique perfectionné : ce sera le premier grand studio de cinéma, surclassant les installations de Méliès à Montreuil et de Pathé à Vincennes (les grands studios américains ne seront pas mis en chantier avant l'année suivante). Ces locaux existent toujours, ils abritent aujourd'hui la télévision. Quant au secteur distribution de l'entreprise, il se développe considérablement, sous l'impulsion de son collaborateur Edgar Costil, les films produits étant d'abord vendus, puis loués (l'initiative d'un système de location incombant à son rival Charles Pathé). En 1906, les Établissements Gaumont sont devenus une société anonyme au capital de 2 millions et demi de francs, chiffre qui sera porté à 4 millions en 1913 et à 10 millions en 1921. Léon Gaumont rachète l'Hippodrome, vaste salle de spectacle de la place Clichy (ouverte depuis 1900), et le rebaptise Gaumont-Palace : ce sera « le plus grand cinéma du monde » (la nef est haute de 20 mètres), un véritable temple voué au culte de l'art nouveau (qui sera détruit en 1972). À partir des années 10, de nombreuses salles Gaumont sont implantées à Paris (Madeleine, Gaumont-Théâtre, Splendid Cinéma) et en province, et un nouveau studio, de 10 000 mètres carrés, est édifié à Nice : la Victorine. La maison édite en outre un important « journal filmé » (Gaumont-Actualités) et des documentaires éducatifs (Encyclopédie Gaumont). L'empire s'étend à l'étranger, notamment en Grande-Bretagne (Gaumont Co Ld., qui deviendra en 1927 la Gaumont British) et en Europe centrale.

Côté production, l'« écurie » Gaumont comprend de nombreux réalisateurs, menés d'une main ferme, voire tyrannique. Au début, une simple secrétaire, « Mademoiselle Alice » (autrement dit, Alice Guy), se charge de la mise en scène de courts sujets, comiques (la Fée aux choux, 1896) ou édifiants (les Dangers de l'alcoolisme, 1899). Elle sera bientôt relayée par Victorin Jasset, Étienne Arnaud, Jean Durand, Émile Cohl et surtout Louis Feuillade, qui deviendra directeur artistique des Établissements Gaumont et leur imprimera un cachet très personnel (cependant qu'Alice Guy prendra, avec son mari Herbert Blaché, la direction d'une succursale Gaumont à Berlin). Viendront ensuite Henri Fescourt, René Le Somptier, Jacques Feyder, Marcel L'Herbier, Léon Poirier et bien d'autres. On trouve aussi chez Gaumont une équipe d'acteurs de premier ordre, venus du théâtre ou formés « sur le tas » : René Navarre, Gaston Modot, Jean Ayme, Luitz-Morat (qui deviendra par la suite réalisateur), Madeleine Guitty, Madeleine Soria, Suzanne Grandais, Yvette Andreyor, Alice Tissot, etc. C'est sous l'égide de Gaumont que seront entrepris quelques-uns des films les plus marquants du cinéma français muet, de l'Ascension du mont Blanc (1900) à Judex (L. Feuillade, 1917), de l'Agonie de Byzance (id., 1913) à El Dorado (M. L'Herbier, 1921). Dans son livre, la Foi et les Montagnes, Henri Fescourt décrit longuement ce que fut à cette époque héroïque l'ambiance de la « maison Gaumont », plus connue sous le nom de « Cité Elgé », des initiales (L. G.) de son fondateur. Il en souligne l'organisation rigoureuse, les règles quasi monastiques imposées par un patron impitoyable, possédant « une volonté irréductible et une confiance en l'effort », qui « ne résolvait rien à la légère, pesait les risques, voyait loin », tout en obéissant à un « instinct de joueur ». « Avec cela, ajoute Fescourt, un don réel d'animateur ». Hardi et économe de son langage, net dans ses ordres, il enjoignait à ses auteurs : « Allez de l'avant ! Et que ça ne coûte pas trop cher ! » Le cinéaste des Misérables ne tarit pas d'éloges sur cette personnalité d'exception, que d'autres au contraire jugent avec sévérité. Ainsi Jacques Champreux, petit-fils de Louis Feuillade, soutient-il que « s'il fut l'un des pionniers de l'industrie du film, Léon Gaumont, il faut bien le dire, ne comprit jamais rien à l'art cinématographique ». À cela, Henri Langlois rétorque qu'il y a bel et bien un style Gaumont, fait de fraîcheur, d'élégance, de bon ton, de verve légère, qui « s'apparente au meilleur de la littérature enfantine et des images d'Épinal » ; il va jusqu'à affirmer que « de 1910 à 1916, la Société Gaumont fut la citadelle, le refuge de l'esprit cinématographique. D'où son importance, d'où sa primauté ».

Pendant la Grande Guerre, la maison Gaumont va vivre au ralenti. Les affaires reprennent à partir de 1919, mais la concurrence américaine est rude ; et, de même que Gaumont a écrasé Méliès, Hollywood va écraser Gaumont. Vers 1925, la société, bien que soutenue par des banques, doit faire appel à des capitaux étrangers. La Metro-Goldwyn-Mayer rachète des parts. Mais l'alliance est de courte durée. À la naissance du parlant, l'empire chancelle, bien que Gaumont ait fait preuve, une fois de plus, d'une féconde initiative en produisant le premier film sonore français, l'Eau du Nil (Marcel Vandal, 1928). Alors même que l'actif de sa société est estimé à plus de 100 millions, Léon Gaumont se retire, passant le relais à Louis Aubert*, qui vient lui-même de fusionner avec Franco-Film. Sous un nouveau sigle, GFFA (Gaumont-Franco Film-Aubert), seront produits quelques films de prestige, tels le Collier de la reine (Gaston Ravel, 1929) ou la Tragédie de la mine (G. W. Pabst, 1931), et aussi des ouvrages de série, signés Maurice Champreux (gendre de Louis Feuillade) ou André Hugon. L'administrateur est alors Charles Schneider, du Creusot. Mais la gestion s'avère bientôt lourdement déficitaire et, en 1938, la société doit déposer son bilan. Elle renaît de ses cendres grâce à l'appui de la Banque nationale de crédit, de la Compagnie des Compteurs et des agences de publicité Havas et Publicis, sous l'appellation de Société nouvelle des établissements Gaumont. Sous l'Occupation, la SNEG produira ou distribuera la Fille du puisatier (M. Pagnol, 1940), Le journal tombe à cinq heures (G. Lacombe, 1942), Vautrin (P. Billon, 1944), Blondine (Henri Mahé, 1945 [RE 1943]), la Cage aux rossignols (J. Dréville, id.). Après guerre, ce seront Antoine et Antoinette (J. Becker, 1947), la série des Caroline chérie (Richard Pottier, 1951), les Belles de nuit (R. Clair, 1952), le Défroqué (L. Joannon, 1954), Un condamné à mort s'est échappé (R. Bresson, 1956), l'Eau vive (François Villiers, 1958) et presque tous les films de Sacha Guitry et de Marcel Pagnol. Le département des Actualités n'est pas négligé : il fonctionnera jusqu'en 1965, produisant même quelques films autonomes, par exemple, les Années folles (M. Alessandresco et H. Torrent, 1960). La production est alors animée par Alain Poiré*. Nouveau fléchissement au début des années 60, puis remontée en flèche au cours de la décennie 70. En 1974, Nicolas Seydoux, héritant des parts jadis détenues par la Compagnie des compteurs (c'est-à-dire le Groupe Schlumberger) prend le contrôle majoritaire de Gaumont ; il lance un programme de transformation des salles traditionnelles en complexes multisalles et appelle auprès de lui Daniel Toscan du Plantier qui partagera les responsabilités de la production avec A. Poiré – l'un dans un cinéma de prestige, l'autre selon une orientation plus populaire. Parmi les grands succès de la Gaumont, on peut alors citer : la Folie des grandeurs (G. Oury, 1971) ; Mais où est donc passée la Septième compagnie (R. Lamoureux, 1973) ; la Gifle (C. Pinoteau, 1974) Cousin cousine (J. C. Tacchella, 1975) ; Un éléphant ça trompe énormément (Y. Robert, 1976) ; la Dentellière (C. Goretta, 1977) ; Don Giovanni (J. Losey, 1979) ; le Guignolo (G. Lautner, 1980) ; la Chèvre (Francis Veber, 1981) ; l'As des as (G. Oury, 1982) ; la Nuit de Varennes (E. Scola, 1982) ; Danton (A. Wajda, 1983.) ; Carmen (F. Rosi, 1984) ; Subway (L. Besson, 1985), ainsi que des films de Bresson, Godard, Rohmer, Pialat, Fellini, Deville.