Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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SENNETT (Michael Sinnott, dit Mack) (suite)

De parents irlandais modestes, établis au Canada, puis en 1897 aux États-Unis, il devient, après des études médiocres, ouvrier fondeur, choriste, et ambitionne une carrière de chanteur d'opéra. Il aborde la scène, à New York, en 1902, par la comédie populaire, l'opérette, et change alors de nom. Entré à la Biograph en 1908, il y est acteur, assistant de Griffith et même son coscénariste pour The Lonely Villa (1909). Il y rencontre Mabel Normand, dont il fera sa première vedette. Il touche à la caméra en 1910. Dès 1911, il s'impose comme réalisateur comique. L'énorme succès remporté par ses courts métrages (une centaine) lui permet de fonder la Keystone, en juin 1912, qui ne tardera pas à devenir l'« usine du rire américain ». Sennett s'y révèle un remarquable organisateur, un prodigieux découvreur de talents et le prolifique inventeur d'un style burlesque ravageur et volontiers brutal, fondé sur l'absurde, tout en restant enraciné dans le quotidien, les poursuites (filmées en accéléré), le gag en cascade, le délire de destruction. Il constitue une troupe qui comprend Mabel Normand, Ford Sterling, Al St. John, Chester Conklin, Roscoe Arbuckle (Fatty), Minta Durfee, Charlie Chase. Il lui adjoint bientôt une escouade de policiers (les Keystone Cops) et un bataillon de pompiers. Ses premières bandes tiraient en effet parti d'événements rééls (défilés, parades, courses, incendies) auxquels Sennett mê-lait ses propres comédiens. Il exploite d'emblée les semi-nudités de Mabel Normand en baigneuse et, en 1916, en multipliera l'érotisme par l'introduction de ses Bathing Beauties, qui scandaliseront les ligues de moralité et les clubs féminins bien-pensants. Parfaite publicité, car Sennett eut toujours le sens des affaires. À partir de 1914, afin d'accroître sa production, il supervise ses films plus qu'il ne les dirige, tout en demeurant scénariste. Il invente le métier de gagman, organise des « gag-conférences » régulières dans une « chambre à gags ». Il découvre Charlie Chaplin et lui permet de mettre au point son personnage du Tramp avec 35 courts métrages réalisés dans la seule année 1914. Quand Chaplin le quitte, en 1915, il engage son demi-frère Sidney Chaplin, Mack Swain, Slim Summerville, que suivront Marie Prevost, Wallace Beery, Ben Turpin, Gloria Swanson. La même année, la Keystone est absorbée par la Triangle, mais Sennett conserve son autonomie. En 1917, il fonde sa propre maison de production, la Mack Sennett Comedies. Six ans plus tard, il s'associe à Pathé et lance Harry Langdon. Les débutants qui travaillent pour lui à cette époque s'appellent Frank Capra, Eddie Cline, Llyod Bacon, Tay Garnett. La faillite de la Paramount, dont il était devenu un des gros actionnaires, le ruine en 1933. Sa carrière stagnant, depuis le début du parlant déjà, il décide d'abandonner le cinéma en 1935. Il avait dirigé ou supervisé plus de 1 100 films. Il demeure l'un des hommes les plus importants dans l'histoire du cinéma américain, comme créateur d'un genre spécifique, la « slapstick comedy », parfaitement adapté au public de l'époque, essentiellement composé d'immigrants récents et de pauvres. Ses films fonctionnent comme des rituels de vengeance à l'égard des riches et des puissants, dont les biens (voitures, maisons, etc., inaccessibles pour les démunis) sont systématiquement détruits avec une satisfaction évidente et dont le pouvoir répressif (la police) est physiquement mis à mal, avec jubilation. Toutes les valeurs sacro-saintes américaines sont bafouées : travail, argent, ordre, principes moraux. C'est le triomphe du désordre, l'irruption du chaos qu'il met en scène, ce qu'il appelait le « Pandemonium ». Mais, comme tous les rituels de transgression codifiés, la comédie burlesque telle que Mack Sennett l'a stylisée reste inoffensive pour l'ordre établi parce qu'elle libère, par spectacle interposé, les pulsions violentes des spectateurs, et toutes leurs frustrations. Elle n'est jamais subversive, en dépit de sa virulence apparente.

Mack Sennett a également servi d'exemple à la plupart des grands acteurs ou cinéastes de la génération suivante. C'est d'ailleurs à ce titre qu'il a reçu une récompense spéciale, en 1937, un hommage de toute l'industrie cinématographique « comme Maître de la comédie, découvreur de stars ».

Principaux films :

Biograph (1910-1912) : 100 films environ. Keystone (1912-1915) : 420 films environ, dont : la Sirène (The Water Nymph, 1912) ; Gangster (The Gangster, 1913) ; Mabel au fond de l'eau (A Noise From the Deep, id.) ; le Flirt de Fatty (Fatty's Flirtation, id.) ; Cohen sauve l'armée (Cohen Saves the Flag, id.) ; les 35 premiers films de Charlie Chaplin (1914) : Une joyeuse école (Those College Girls, 1915) ; Le capitaine fait la bombe (Our Daredevil Chief, id.). Triangle-Keystone (1915-1917) : 110 films environ, dont : le Sous-marin pirate (The Submarine Pirate, 1915) ; Incendie en grande pompe (The Fire Chief, 1916) ; Médor et Vermicel (The Dog Catcher's Love, 1917). Sennett-Paramount (1917-1921) : 90 films environ, dont : la Noce à Boursouflé (The Pullman Bride, 1917) ; Mickey (1918) ; Love, Honor and Behave (1920) ; En famille (Married Life, id.). Sennett-First National (1921-1923) : 33 films environ, dont : l'Idole du village (A Small Town Idol, 1921) ; Regard fascinateur (Bright Eyes, 1922) ; Suzanna (1923) ; Un chic cheikh (The Sheik of Araby, id.). Sennett-Pathé-Exchange (1923-1928) : 210 films environ, dont : Vedette d'occasion (The Extra Girl, 1923) ; En butinant les fleurs (Picking Peaches, 1924, premier film de Harry Langdon) ; Chez le photographe (Smile, Please, id.) ; En bordée (Shanghaied Lovers, id.) ; Three Foolish Weeks (id.) ; Romeo and Juliet (id.) ; le Chant du coucou (Isn't Love Cuckoo, 1925) ; Mon ex-sergent (Soldier Man, 1926) ; Au revoir et merci (The Goodbye Kiss, 1928). Sennett-Educational (1929-1932) : 75 films environ, dont : la Parade des fantômes (The Ghost Parade, 1931). Sennett-Sono Art-World Wide (1932) : le Fluide mystérieux (Hypnotized, id.). Paramount (1932-1935) : 32 films, dont quatre avec W. C. Fields : The Dentist (1932) ; The Pharmacist (1933) ; The Barber Shop (id.) ; A Fatal Glass of Beer (id.) ; deux films avec Bing Crosby : Blue of the Night (id.) ; Sing, Bing, Sing (id.). Sennett-Educational (1935) : cinq films, dont le seul qu'il ait jamais réalisé avec Buster Keaton : The Timid Young Man (1935).