Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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GRANT (Archibald Alexander Leach, dit Cary)

acteur américain d'origine britannique (Bristol 1904 - Davenport, Iowa, 1986).

Il est le seul acteur de comédie qui soit presque un mythe. Pendant trente ans, il a symbolisé l'élégance, le charme et une forme d'éternité de la jeunesse. Enfant de la balle, né dans une famille désunie, il la quitta très jeune pour tenter sa chance sur une scène, ce qu'il fit avec des succès discrets. En 1920, une tournée l'amène aux États-Unis : il décide d'y rester. Mais, en 1923, il revient cependant en Angleterre, déçu de n'avoir pas encore eu sa chance. Là, enfin remarqué par un producteur de théâtre américain, il repart aussitôt, de manière définitive. Il joue, il chante et il danse, mais la scène ne semble pas être son élément naturel. Il accepte un cachet pour donner la réplique à une actrice dans un bout d'essai : elle ne fut pas retenue, lui si. Le reste est une des carrières les plus régulières et les plus harmonieuses, avec plus de bonnes partenaires, de bons cinéastes et de bons films qu'un acteur n'en puisse rêver.

Dès 1932, on le remarque dans Belle Nuit (F. Tuttle). Cary Grant n'a pas connu la figuration intelligente, mais tout de suite les rôles importants. La même année, il est le partenaire de Marlene Dietrich dans Blonde Vénus (J. von Sternberg). Enfin, en 1933, Mae West, rapidement devenue star, l'impose comme partenaire dans Lady Lou (L. Sherman) et dans Je ne suis pas un ange (W. Ruggles) : sa prestance physique, qui avait frappé Mae West, lui vaut très vite la faveur du public. Dès lors, les grands rôles de jeune premier vont se succéder. Même s'il valait mieux que ce stéréotype, il est charmant, souriant, élégant, un peu gêné aux entournures, dans Madame Butterfly (Marion Gering, 1932), ou dans Born to Be Bad (Sherman, 1934). Même si le matériau qu'on lui donne sort de l'ordinaire, Cary Grant est déjà ce qu'il sera : le jeune officier de The Eagle and the Hawk (Stuart Walker, 1933). Et si le scénario est assez léger pour lui permettre de ne pas se prendre au sérieux dans les films avec Mae West ou dans Enter Madame (E. Nugent, 1935), il a une manière unique de faire un sort à une réplique de sa voix à la fois chaude et tranchante. En 1936, George Cukor lui confie la composition d'un escroc cockney dans Sylvia Scarlett, aux côtés de Katharine Hepburn, qui sera souvent sa partenaire. Le film est un échec commercial, mais Cary Grant s'y révèle en pleine possession de son talent. Les producteurs mettront encore un certain temps à s'en rendre compte et ce n'est que dans des productions de série B comme Empreintes digitales (R. Walsh, 1936) qu'il trouve sa mesure, la série A le limitant à donner la réplique aux stars en renom (Jean Harlow dans Suzy [G. Fitzmaurice, 1936]). Mais 1937 est son année : les succès conjugués de Cette sacrée vérité (L. McCarey) et du Couple invisible (N. Z. McLeod) le propulsent au rang de star et de vedette populaire, dont il ne va plus déchoir.

Dès lors, dans une série de comédies dont presque toutes sont des classiques, il va composer son image ; un charmeur qui s'ignore, un élégant sans le savoir, un naïf un peu amidonné qu'une belle excentrique poussera à se remettre en question. C'est peu, diront certains, mais le fait que Cary Grant a réussi à ne jamais fatiguer et à renouveler constamment son charme montre la pleine mesure de son talent et de son savoir-faire. Cette image, parfaite dans tous les détails, elle s'impose avec éclat dans l'Impossible Monsieur Bébé (H. Hawks, 1938), où son paléontologue, ahuri et lunetté, en proie aux assiduités de Katharine Hepburn et d'un léopard, fait date. Vacances (G. Cukor, 1938), tout aussi réussi, nous le montre plus subtil et plus sensible. Il est prêt pour toutes les nuances de la comédie. Mon épouse favorite (G. Kanin, 1940), Indiscrétions (Cukor, 1941), Lune de miel mouvementée (McCarey, 1942), Arsenic et Vieilles Dentelles (F. Capra, 1944), Chérie, je me sens rajeunir (Hawks, 1952), Embrasse-la pour moi (S. Donen, 1957), Indiscret (id., 1958) perpétueront son mythe souriant et enjôleur et lui donneront une patine c lassique. Ses tempes, que le temps argentera peu à peu, lui seront une séduction supplémentaire.

Parallèlement, Cary Grant, derrière cette séduction irrésistible, peut aussi projeter une certaine inquiétude, voire un certain trouble. Des rôles purement dramatiques, comme Rien qu'un cœur solitaire (C. Odets, 1944), Cas de conscience (R. Brooks, 1950) ou Orgueil et Passion (S. Kramer, 1957), ne lui conviennent pas, bien qu'il ait été remarquable en clochard fugitif et pathétique dans l'excellent Justice des hommes (G. Stevens, 1942), et en leader énergique dans Seuls les anges ont des ailes (Hawks, 1939), peut-être son meilleur rôle dramatique. En revanche, des personnages qui obscurcissent certains aspects de son image jusqu'à provoquer une relative ambiguïté, seront de grandes réussites. L'Autre (J. Cromwell, 1939) nous le révélait sous les traits d'un homme-enfant inconscient et manipulé, tout à fait attachant. La Chanson du passé (Stevens, 1941) approfondissait encore le personnage, et le méconnu Mister Lucky (H. C. Potter, 1943) l'assombrissait jusqu'à la noirceur. Mais c'est Alfred Hitchcock qui a tiré merveille de la séduction de Cary Grant. Assassin (peut-être...) souriant et charmant dans Soupçons (1941) ; agent secret endurci et cynique dans les Enchaînés ; rat d'hôtel dans la Main au collet et, enfin, publiciste en proie à un réseau d'espionnage dans la Mort aux trousses (1959), qui mêle adroitement son comportement comique à un univers trouble. Si Donen se contentera de le réutiliser avec la même clé dans Charade (1963), c'est Leo McCarey qui lui offrira l'occasion d'une de ses compositions les plus riches, celle de l'adolescent attardé aux cheveux grisonnants de Elle et Lui (1957), piégé par les sentiments et le drame. Enfin Joseph L. Mankiewicz tracera de Cary Grant un portrait en forme de puzzle : le charlatan guérisseur (qui n'en est peut-être pas un) dans le méconnu On murmure dans la ville (1951).