Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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DOCUMENTAIRE. (suite)

La personnalité la plus marquante du documentaire français contemporain est Raymond Depardon. Il semble reprendre à son compte les préceptes d'apparente neutralité chers au cinéma direct anglo-saxon. Comme Fred Wiseman, il oblige les institutions radiographiées à se révéler d'elles-mêmes : la presse (Numéros zéros, 1981), l'agence photographique (Reporters, id.), l'asile psychiatrique (San Clemente, id.), le commissariat de police (Faits divers, 1983), un service d'urgence en psychiatrie (Urgences, 1987). De son côté, Claude Lanzman évoque dans Shoah (1985), sans recourir aux archives filmées, uniquement par les vertus de la parole, par une certaine mise en scène et en situation du passé, les rouages de la « solution finale » : l'extermination planifiée des Juifs par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale.

Après Louisiana Story de Flaherty (1948), la tradition du documentaire sociologique reprend aux États-Unis avec The Quiet One (Sydney Meyers, 1949), All My Babies (George Stoney, 1952) et, surtout, les bandes de Lionel Rogosin sur les clochards new-yorkais (On the Bowery, 1956) et contre l'apartheid qui règne en Afrique du Sud (Come Back Africa, 1959).

En 1958, le groupe Time Inc. crée la Drew Associates, sous la responsabilité du producteur-réalisateur Robert Drew, afin de promouvoir une nouvelle forme de journalisme filmé. Richard Leacock, Don Alan Pennebaker et Albert Maysles font partie de l'équipe. Leur philosophie se situe à l'opposé des thèses des promoteurs du cinéma-vérité : ils pensent que leur présence doit demeurer discrète et ne pas perturber les sujets filmés. Primary (Leacock, Drew, Pennebaker et Maysles, 1960), sur la campagne électorale de John Kennedy, concrétise les aspirations de la Drew Associates. Leacock et Pennebaker coréalisent ensuite quelques films : David (1962), The Chair (id.), sur les derniers jours d'un condamné à mort. Lorsqu'il rompt avec la Drew Associates en 1963, qui cesse d'exister, Pennebaker se consacre au portrait de chanteur (Don't Look Back, 1967, une tournée de Bob Dylan) ou à la restitution de festivals musicaux (Monterey Pop, 1968).

Albert et David Maysles débutent leur carrière indépendante avec Showman (1963), une approche du producteur Joseph Levine. Ils connaissent la notoriété en 1970 avec Gimme Shelter, conçu à partir du concert des Rolling Stones à Altamont. Grey Garden (1975), qui nécessite la complicité des sujets filmés, deux parentes de Jacky Kennedy, pose des problèmes théoriques aux frères Maysles : ils préfèrent définir leur pratique comme « cinéma non fictionnel » plutôt que « cinéma direct ». Fred Wiseman pousse à l'extrême l'effacement du réalisateur devant ses modèles. Un montage très élaboré, qui ne retient que le vingtième des matériaux tournés, offre une critique très subtile des institutions trahies par leur propre fonctionnement : la police (Law and Order, 1969), la sécurité sociale (Welfare, 1976), les forces militaires de l'OTAN (Manœuvre, 1979), un grand magasin (The Store, 1983), un service hospitalier accueillant des cas désespérés (Near Death, 1989).

Emile De Antonio se veut beaucoup moins dégagé de son objet. Dès son premier film, Point of Order (1964), œuvre de montage, il s'attaque au maccarthysme. In the Year of the Pig est peut-être la meilleure analyse de l'impérialisme américain au Viêt-nam, tandis qu'Underground (1975) se veut un saisissant reportage sur un groupe d'activistes clandestins.

La guerre du Viêt-nam, la révolte des Noirs, le féminisme influent, à la fin des années 60, sur la finalité même du documentaire. Des unités de diffusion de films militants, comme le fameux Newsreel, se chargent de véhiculer cette production. Citons quelques œuvres marquantes : Attica (Cinda Firestone, 1973), sur une révolte de prisonniers, Hearts and Minds (Peter Davis, 1974), qui met en lumière les conséquences humaines du conflit vietnamien, Harlan County USA (Barbara Kopple, 1976), une des meilleures approches du monde ouvrier. Les groupes opprimés suscitent une production propre destinée à restituer une image plus juste de leur identité. Les Noirs trouvent en William Greaves un porte-parole idéal : son émission mensuelle, le Black Journal, diffusée de 1968 à 1970 sur les chaînes de télévision, sensibilise tout le pays aux revendications des Afro-Américains. Greaves est, par ailleurs, auteur de très nombreux films documentaires sur les problèmes de sa communauté. Les femmes replacent, dans une perspective historique, leur rôle dans la société : Union Maids (Julie Reicher, 1976), The Life and Times of Rosie the Riveter (Connie Field, 1980). Les homosexuels évoquent leurs difficultés quotidiennes : Word Is Out (Mariposa Film Group, 1978).

Le style du cinéma direct a influencé certains cinéastes de fiction comme Robert Kramer, John Cassavetes, Shirley Clarke, Jacques Rivette, Jean-Luc Godard.

Aux quatre coins du monde.

D'autres pays développent, depuis la guerre, une production documentaire. L'Italie, où un certain nombre de grands réalisateurs choisissent cette voie : Michelangelo Antonioni (Gente del Po, 1943-1947), Gian Vittorio Baldi (Il pianto delle zitelle, 1958), Vittorio De Seta (Pastori di Orgosolo, id.), Gianfranco Mingozzi (La taranta, 1962 ; Sulla terra di rimorso, 1982). Citons, dans le domaine du film de montage : All'armi, siam fascisti (Lino Del Fra, Cecilia Mangini, Lino Miccichè, 1961) et La Rabbia (P. P. Pasolini et Giovanni Guareschi, 1963). Des Pays-Bas, on peut retenir les bandes poétiques de Bert Haanstra (Miroirs de Hollande, 1950 ; Pantha Rei, 1952) et, surtout, les œuvres de Johan Van der Keuken (la Forteresse blanche, 1973 ; la Jungle plate, 1979 ; Vers le Sud, 1980 ; le Masque, 1989), dans lesquelles l'auteur combine les techniques du direct à un certain formalisme proche des essais plastiques du documentaire des années 30. Klaus Wildenhahn poursuit depuis vingt ans, en RFA, une œuvre exemplaire touchant tant à des phénomènes artistiques (John Cage, 1966 ; Harlem Theater, 1968) qu'à des réalités politiques ou sociales (l'Insurrection de Hambourg, octobre 1923 [Der Hamburger Aufstand Oktober 1923], 1971 ; Emden va aux États-Unis [Emden geht nach USA], 1975-76 ; ces deux derniers films sont coréalisés par Gisela Tuchtenhagen, avec laquelle l'auteur travaille souvent).