Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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CATASTROPHE (Film dit).

L'appellation « film-catastrophe  » surgit au milieu des années 70. Elle désigne un sous-genre de la production hollywoodienne, né avec Airport (G. Seaton, 1970), et dont les titres les plus représentatifs sont : l'Aventure du Poséidon (R. Neame, 1972), la Tour infernale (J. Guillermin, 1974), Tremblement de terre (M. Robson, id.), 747 en péril (J. Smight, id.) et l'Odyssée du Hindenburg (R. Wise, 1975).

Cette production, qui connaîtra jusqu'en 1977 un succès considérable, réactualise une dramaturgie familière : l'usage de la catastrophe comme deus ex machina remonte, en effet, aux premières années du cinéma, et l'on serait en peine de dénombrer tous les films où figurent des accidents spectaculaires (incendies, naufrages, déraillements), des dérèglements majeurs de l'ordre biologique (mutations animales), social (guerre, péril nucléaire) ou naturel (éruptions, séismes, ouragans).

Mais l'originalité du film-catastrophe — genre composite, qui puise dans les archétypes du mélodrame, du film exotique, biblique et fantastique — tient essentiellement à deux motifs : la présence systématique d'un microcosme humain fortement typé, piégé à l'intérieur d'un monde clos et familier, et d'une symbolique morale et politique assimilant la catastrophe à une crise, une mutation qui justifie le recours urgent à de nouveaux leaders.

Le film-catastrophe a donc pour première particularité de se dérouler dans une collectivité. On y repère, dès le départ, des types sociaux et humains soigneusement échantillonnés, fortement dessinés, et qui joueront pleinement leur rôle au cours du drame.

L'action se déroule le plus souvent en huis clos, dans un moyen de transport (avion, bateau), un lieu d'habitation (gratte-ciel), plus rarement dans un quartier ou une ville — aussi le séisme, historique, du San Francisco de Herbert Stothart (1936) peut-il faire figure d'exception, et de précurseur relayant les Derniers Jours de Pompéi de Ernest B. Schoedsack (1935). Ces environnements, qui font partie intégrante de notre univers quotidien, sont bouleversés par un événement inattendu : un navire, heurté par une lame de fond, se retourne ; un avion est percuté en plein vol ; une tour est la proie des flammes. Ils deviennent des lieux pièges. Des gens « comme les autres » y sont alors confrontés à un péril incontournable, dont la gravité va s'accentuer de façon irréversible. Les problèmes et les conflits personnels, posés très tôt pour faciliter l'identification aux personnages et nourrir le suspense, vont se fondre progressivement dans le mouvement global de l'action. La catastrophe impose sa priorité et ouvre une faille dans le quotidien : les dispositifs techniques classiques sont soudain inopérants, les instances de contrôle sont débordées. Très vite se pose le problème du pouvoir et de l'autorité : l'espace des profanes et celui des décideurs se scinde et, à l'intérieur même de ce dernier espace, les leaders traditionnels — hommes d'argent, politiciens — sont mis sur la touche, avouent leur incompétence et cèdent la place à de nouveaux meneurs. Un pasteur, une hôtesse de l'air, un sergent de police, un capitaine des sapeurs-pompiers, un architecte se voient érigés en sauveurs... Sous leur conduite, la communauté se restructure et se discipline, éliminant de son sein les égoïstes et les profiteurs. Elle se reconquiert, et ce mouvement se traduit en termes physiques : remontée vers la surface (l'Aventure du Poséidon), lutte contre la pesanteur, contre les éléments, évasion par les airs (la Tour infernale), etc., qui revêtent une signification morale explicite.

Élitiste, le film-catastrophe sépare sans pitié les survivants des perdants. Il trace pour ses protagonistes un véritable parcours du combattant. Il est l'équivalent civil d'un genre pratiquement en sommeil : le film de guerre. Il s'aligne sur une morale de la survie, qui n'est cependant pas dénuée d'ambiguïtés. Tandis que les premiers spécimens de ce cinéma (Titanic, J. Negulesco, 1953 ; Écrit dans le ciel, W. A. Wellman, 1954 ; À l'heure zéro, Hall Bartlett, 1957) étaient à peu près contemporains de la guerre de Corée, le nouveau genre, surgi de la crise vietnamienne, trahit, en effet bien des ambivalences. Critique et parfois polémique, il souligne la précarité de certaines réalisations technologiques. Il met en cause les dangers de l'urbanisme et de l'architecture modernes. Il condamne l'imprudence ou le cynisme du capitalisme sauvage. Mais, s'il montre des dysfonctions à l'intérieur d'un système, c'est pour mieux nous rassurer sur sa validité fondamentale et ses capacités à se régénérer. La catastrophe ne se confond pas, dans cette série, avec l'holocauste nucléaire, sujet familier des années 60. Elle garde un caractère limité dans le temps et l'espace, et affiche par là d'autant mieux sa fonction prophétique. Elle s'inscrit à l'intérieur d'une parenthèse, elle se présente comme un jeu sur des possibles, où se mêlent inextricablement le désir d'ordre et les pulsions anarchistes du spectateur.

Ce spectacle total, qui convoque d'impressionnants effets spéciaux et revendique une qualité inusitée de réalisme, nous entraîne aux frontières de la science-fiction. Il nous livre l'image du monde « déboussolé » des années 70, partagé entre le désir de stabilité, le refoulement d'une guerre lointaine et la tentation sournoise d'un grand autodafé. Il en célèbre la destruction — ou plutôt la mue — et annonce, en un vibrant éloge de la technocratie, l'arrivée des leaders éclairés qui le sauveront.

Ce schéma domine, à quelques nuances près, l'ensemble du genre et en règle la stratégie de peur et de séduction. La ligne de partage entre débâcle et reconstruction est relativement rigide dans ces productions éminemment volontaristes, où la gamme des situations est des plus limitées. L'intérêt fiévreux des grands studios pour le film-catastrophe (où ils virent, dix ans après le film historique à grand spectacle, et vingt ans après le lancement du relief, une réplique imparable à la télévision) explique l'engorgement rapide du marché. Florissant, le film-catastrophe a connu très tôt ses « chefs-d'œuvre » (la Tour infernale et, dans une approche différente, Terreur sur le Britannic de Richard Lester, en 1974). Il a fixé très vite ses canons, ses lieux d'action, ses protagonistes. L'effet de saturation était inévitable, et profita peut-être indirectement à des films qui n'appartenaient pas vraiment à ce genre et en tirèrent un enseignement (les Dents de la mer, S. Spielberg, 1975 ; le Syndrome chinois, J. Bridges, 1979). Dès 1978, le film-catastrophe accusera une série d'échecs commerciaux, avec le Pont de Cassandra (George Pan Cosmatos, 1977), Meteor (R. Neame, 1978), l'Ouragan (J. Troell, id.), le Jour de la fin du monde (James Goldstone, id.). Il disparaîtra brutalement. En 1980, trois jeunes réalisateurs, Jim Abrahams, David et Jerry Zucker, lui dresseront un mémorial nonsensique : Y a-t-il un pilote dans l'avion ?, qui connaîtra un triomphe...