Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
E

EGUINO (Antonio)

cinéaste et chef opérateur bolivien (La Paz, 1938).

Après des études d'ingénieur aux États-Unis (1959-1961), il travaille comme photographe jusqu'en 1965 tout en suivant les cours de cinéma de l'université de la ville de New York. Chef opérateur de Sanjinés pour le Sang du condor (1969) et le Courage du peuple (1971), il met en scène un premier long métrage en 1973 : Pueblo Chico, qui décrit la révolte d'un étudiant devant la situation de la paysannerie. Chuquiago (1977), du nom de La Paz en langue aymara, donne à voir la capitale à travers quatre épisodes centrés sur des personnages d'origines diverses. Ces films entendent rester fidèles à un engagement social, tout en évitant le choc frontal avec la censure. Ce pari hasardeux se trouve gagné par Chuquiago auprès de son public, succès d'ailleurs mérité par l'originalité du ton, comme une sorte de mélancolie critique. Amargo mar (1984), film historique assez controversé sur la guerre avec le Chili qui fit perdre à la Bolivie son littoral, est moins convaincant.

ÉGYPTE.

Pendant plus d'un demi-siècle, le cinéma égyptien impose sa prééminence à tout le Proche-Orient par la relative régularité de sa production (moins considérable pourtant que des chiffres très fantaisistes l'ont donné à croire), le prestige de ses stars et de ses chanteurs du Maroc aux pays du Golfe. Rien à l'origine ne distingue le cinéma qu'on y fait des multiples essais d'actualités et de scènes filmées que la plupart des pays du monde ont connues. À la suite de la projection de bandes Lumière au café Zawani, à Alexandrie, le 5 janvier 1896, puis le 28 janvier à l'hôtel Continental du Caire, qui enthousiasment le public, les notables et la presse, un journaliste d'al-Moayyid écrit des « ombres lumineuses » qu'elles n'ont pu être inventées que par « un démon génial » et qu'elles sont « la plus grande merveille du XIXe siècle ». Un résident italien ouvre la première salle en avril 1900 au Caire, qui en possède trois en 1904, cinq en 1908 ; à cette date, on en trouve trois à Alexandrie, une à Assiout, Mansurah, Port-Saïd. la Passion du Christ (Pathé) est le premier film coloré à être projeté, en 1906. En 1911, on promulgue la première loi sur le cinéma et le théâtre, relative à l'exploitation des salles : il y en a déjà huit au Caire. L'année suivante, deux salles (dont celle de Pathé) programment des films « chantés » : la sonorisation par disques, trop aléatoire, cessa bientôt ; mais elle avait séduit.

C'est également en 1912 qu'un Italien encore, dénommé De Lagarne, tourne, croit-on, les premières bandes locales d'« images animées » programmées sous le titre Dans les rues d'Alexandrie. Port alors très actif, où la vie intellectuelle ne le cède en rien à celle du Caire, plus cosmopolite aussi, Alexandrie devient le berceau bientôt dédoublé du cinéma égyptien. Toujours des Italiens, dont le photographe Umberto Dores, fondent avec l'appui financier du Banco di Roma une société cinématographique (éphémère) et créent le premier studio, dont les baies et les plafonds vitrés permettent de régler l'éclairage, dispositif que le climat local permet et qui sera souvent adopté. L'Italien Osato réalise en 1918 trois bandes (de 30 à 40 min) :  Vers l'abîme (Naḥw al-hawiya), l'Honneur du bédouin (Sharaf al-Badawi) et les Fleurs qui tuent (al-Zuhur al-Qatila).

Mais les étrangers (Grecs, Italiens, Libanais, de confessions diverses) ne sont que les premiers techniciens d'un cinéma qui naît, de ratages en succès publics, du théâtre vivant et populaire, surtout à Alexandrie. Ils filment des troupes très « commedia dell'arte » dont une partie du répertoire passe, en deux bobines, à l'écran. La compagnie de Fawz Gaza'irly interprète une pochade, Madame Loretta (1918), filmée par Larrici ; en 1920, Muhammad Bayyumi tourne, dans son petit studio, le Chef de service (al-Bash Katib) avec l'acteur Amin Aṭallah. En 1922, l'Anneau magique (al-Khatim al-siḥri), puis la Tante d'Amérique (al-'Amma al-Amrikaniyya), que l'acteur Ali al-Kassar joue en travesti, prouvent, dans leur amateurisme, que le cinéma n'attend qu'une impulsion pour se développer. Autre signe : Aṭallah demande à Orfanelli de le diriger dans une comédie, fondée sur une chanson en vogue : Pourquoi la mer rit-elle ? (al-Baḥr bi yadḥak lih ?). Trois ans plus tard, en 1925, les studios, encore modestes, et les sociétés de production, déjà concurrentes, annoncent réellement le cinéma professionnel. Au Caire, les dirigeants de la puissante banque Miṣr créent une société et un petit laboratoire, rachètent le studio de Bayyumi, qui se voit confier la direction des prises de vues. Si la Miṣr n'est pas encore absolument convaincue de l'avenir du film égyptien, du moins prend-elle place sur le terrain où, dans dix ans, elle assurera, grâce à de nouveaux studios excellemment équipés, situés cette fois à Gizah, l'essor du cinéma national.

Ce n'est pas la Société Miṣr pour le théâtre et le cinéma qui voit naître ce qu'on s'accorde à reconnaître pour le premier long métrage véritablement égyptien, encore que l'écrivain Widad Urfi Bengo, et Istefan Rosti, acteur, fussent tous deux d'origine turque : il s'agit du fameux mélodrame Layla, produit et interprété par l'actrice Aziza Amir. Tourné en studio à Héliopolis et dans les rues du Caire, le film commencé en 1925 n'est présenté qu'en 1927 — triomphalement. Un an plus tôt, Badr et Ibrahim Lama*, des Palestiniens de retour d'Amérique latine, fondent à Alexandrie la société Condor Film et tournent Un baiser dans le désert (Qubla Fi al-Saḥra, 1927), aussitôt suivi d'autres « mélodrames bédouins ». C'est en 1925 également que les autorités religieuses coupent court au projet de Widad Urfi et de l'acteur Yusuf Wahbi* de porter à l'écran la vie du Prophète. La décision demeura sans appel. Togo Mizrahi, Alexandrin israélite, crée le Togo Studio en 1928 ; en 1929, Aziza Amir, dirigée par Ahmad Galal*, produit Fille du Nil (Bint al-Nil), tourné en partie à Louxor ; un Italien, Chiarini, dirige le célèbre Nagib al-Rihani dans la comédie qui eut peut-être le plus de succès à cette époque, Kish Kish Bey (id.). 1929 marque le début de la longue carrière de Mizrahi qui s'achève au niveau où elle a commencé en 1946, avec la Reine de beauté (Malikat al-gamal), mais aussi et surtout le retour d'Allemagne de Muḥammad Karim*, qui réalise, grâce à l'appui de l'acteur Yusuf Wahbi, le deuxième titre important du cinéma égyptien avec Layla, et qui sera par la suite adapté au parlant : Zaynab. Acteurs et cinéastes passent volontiers de l'autre côté de la caméra, ce qui n'est pas spécifique à l'Égypte : Mizrahi interprète ses films loufoques sous le nom d'al-Mashriqi ; Bahiga Hafiz, vedette de Zaynab, ou Yusuf Wahbi signent leurs mises en scène. Des chefs opérateurs, tels Orfanelli, le Français Gaston Madri, le cinéaste allemand Fritz Kramp, contribuent à la formation technique des Égyptiens et à la qualité des prises de vues, des mouvements de foule, du montage. Lorsque Karim tourne les Fils à papa (Awlad al-zawat, 1932), il réalise alors le premier film conçu selon les normes du « parlant » : une page est tournée, à tous points de vue.