Racine (Jean) (suite)
L'art d'euphémiser
La poésie de Racine présente trois caractéristiques principales : le travail du rythme, la recherche des images, les effets d'atténuation.
L'alexandrin tragique se devait, au XVIIe siècle, de donner une figuration acceptable du langage parlé qu'il était censé représenter. De cette obligation Racine fait le point de départ d'une recherche très poussée en matière de rythme. La plus grande variété règne dans son œuvre : les tirades longues, minutieusement construites, y alternent avec les phrases interrompues, les échanges brefs de répliques cinglantes ou d'aveux mélancoliques. Variété d'ensemble qui va de pair avec les effets dans la construction de détail des vers. L'univers tragique s'enrichit ainsi de tous les aperçus proposés au spectateur cultivé, de tous les arrière-plans historiques, mythologiques ou bibliques qu'un mot ou une image suffisent à suggérer. Racine puise dans les métaphores qui constituaient l'arsenal de la poésie amoureuse de l'époque, mais il leur donne une vigueur nouvelle en les inscrivant dans une thématique cosmique, au-delà même de l'espace géographique et du temps historique, dans une interrogation sur la condition de l'homme.
Au total, le théâtre racinien apparaît comme une interrogation sur les pouvoirs du langage : sa dramaturgie repose sur la tension vers une décision à prendre, donc vers un instant où « dire, c'est agir ». Et, face au danger des mots, les personnages doivent mobiliser toute leur attention pour ne pas être trahis par le langage, prisonnier de termes qui ne coïncideraient pas avec leur volonté. Le sens « clair » n'est pas immédiat, il est l'objet d'une quête à travers l'opacité du langage, il est le fruit d'une conquête, au terme de laquelle s'impose le plus souvent le constat tragique qu'il est trop tard.