Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Retté (Adolphe)

Écrivain français (Paris 1863 – Beaune 1930).

Ce personnage excentrique et exalté commença par l'anarchisme (Réflexions sur l'anarchisme, 1894 ; Promenades subversives, 1896) et finit par le maurrassisme (la Maison en ordre, 1924), comme il passa d'une mystique naturiste (la Forêt bruissante, 1896 ; Campagne première, 1897) au catholicisme (Du diable à Dieu, 1907 ; Un séjour à Lourdes, 1909). Champion du symbolisme et du vers libre dans sa jeunesse (l'Archipel en fleurs, 1891), il s'assagit ensuite avec ses Poésies 1897-1906 (1907). On lui doit, en prose, une curieuse fantasmagorie décadente (Thulé des Brumes, 1892), des portraits et des souvenirs où passe un souffle de polémiste (Mémoires de Diogène, 1903 ; la Basse-Cour d'Apollon, mœurs littéraires, 1925).

Retz (Jean-François Paul de Gondi, cardinal de)

Homme politique et écrivain français (Montmirail 1613 – Paris 1679).

Issu d'une famille florentine, dont la fortune avait été faite par Catherine de Médicis qui appréciait les petits chiens élevés par la grand-mère du futur cardinal, ce surdoué de la rhétorique, de la politique et de la galanterie finit par décevoir tout le monde – sauf les lecteurs de ses Mémoires. Parus en 1717, ceux-ci posèrent d'ailleurs aussitôt un problème d'authenticité. Étaient-ils bien du cardinal ? Mais le cardinal était-il bien un politique ?

   Le cardinal de Retz a fait son autoportrait en cynique. Peinture irritante que stigmatisent Saint-Simon, Chateaubriand (qui incrimine une lecture viciée de Plutarque : une mauvaise interprétation des Vies parallèles génère non des héros bénéfiques mais des chefs de parti), Tocqueville (Retz avoue son projet d'assassinat de Richelieu, ses dévotions et ses charités hypocrites, de peur de ne pas passer pour un habile conspirateur : ce n'est pas l'amour de la vérité qui le mène, « ce sont les travers de l'esprit qui trahissent involontairement les vices du cœur »).

   Retz avait cependant été à bonne école. Son père, Philippe Emmanuel de Gondi, général des galères, et sa mère, Marguerite de Silly, avaient donné comme précepteur à leur fils aîné Vincent de Paul : Mme de Gondi avait joué un rôle déterminant dans la mise en route des entreprises charitables du futur saint et son mari, devenu veuf, se retira à l'Oratoire. Le jeune Paul de Gondi, avec l'âme la moins ecclésiastique qui fût, voyait « l'archevêché de Paris dans sa maison » (deux Gondi, dont son oncle, avait occupé le siège). Très jeune, il fut pourvu de bénéfices qu'il semblait mériter : tonsuré à dix ans, il fit preuve devant le jésuite chargé d'examiner ses connaissances d'une étonnante capacité en grec et en latin. Élève du collège de Clermont, brillant étudiant en Sorbonne, il se signala aussitôt à Richelieu par ses qualités d'orateur (il emporta la première place à la licence de théologie contre le candidat du cardinal-ministre), la dissipation de ses mœurs (« Je ne pouvais me passer de galanterie ») et son « dangereux esprit ». À dix-huit ans, il avait écrit en effet une Conjuration de Fiesque, qui préfigure toute sa carrière – avoir le pouvoir, l'applaudissement du public, se placer au-delà de la morale – et son échec : Retz ne sera qu'un perpétuel opposant, sa démagogie se retournera contre lui, ses mobiles seront percés à jour. Et sa conversion finale sera interprétée comme une pirouette de plus « Le cardinal s'en va en Paradis par chez Mme de Bracciano » ; « Il s'était fait le familier de Dieu, comme en sa jeunesse il avait serré la main des quarteniers de Paris »).

   Pourtant, Retz avait encombré l'horizon politique : trop jeune, malgré sa participation au complot du comte de Soissons (1641), pour être un anti-Richelieu (il devient cependant dès 1643 coadjuteur de l'archevêque de Paris avec le titre d'archevêque de Corinthe in partibus), il se voulut un anti-Mazarin. L'enjeu était double : conquérir le pouvoir, s'insinuer dans les bonnes grâces de la régente. La Fronde parlementaire et celle des princes 1648-1652) lui fournissent l'occasion de jouer un rôle de premier plan. Au centre de toutes les intrigues, Retz sert successivement tous les partis au gré de ses intérêts. Après la fuite de la Cour à Saint-Germain janv. 1649), il anime la résistance parisienne et combat avec son clergé à la tête du « régiment de Corinthe », levé par lui. Après la paix de Rueil, signée malgré lui mars 1649), il se rapproche de Mazarin 1650), puis, retournant à Condé, fait l'union des deux frondes, contribue à l'exil du ministre févr. 1651), se brouille de nouveau avec les princes. Cardinal 1652), mais toujours insatisfait, il ne cesse d'intriguer, et Louis XIV le fait arrêter au Louvre déc. 1652) et conduire au château de Vincennes. Prisonnier, Retz devient archevêque de Paris mars 1654) à la mort de son oncle, mais accepte de se démettre de ses fonctions. Transféré au château de Nantes, il s'évade et, après de périlleuses pérégrinations, se réfugie à Rome auprès d'Innocent X fin 1654). Réclamé par ses vicaires généraux et ses curés, il reprend son titre d'archevêque de Paris, et brave l'autorité royale en soutenant les jansénistes et en adressant des mandements à son clergé. Mais, sur l'intervention de Hugues de Lionne, le pape Alexandre II l'oblige à quitter Rome 1656). Retz fuit en Franche-Comté, puis en Allemagne et en Hollande. À la mort de Mazarin, il cherche à rentrer à Paris 1661) mais le roi l'exile dans son abbaye de Commercy. Pour obtenir le pardon de Louis XIV qui le charge de missions diplomatiques secondaires), Retz démissionne de l'archevêché de Paris 1662) et reçoit l'abbaye de Saint-Denis il y sera enterré de nuit sous une dalle sans inscription).

   Retz étonna encore ses contemporains : il paya ses dettes, voulut démissionner du cardinalat et se retirer à la Trappe Rancé l'en dissuada). Mme de Sévigné, fidèle amie, s'employait à « amuser notre bon cardinal » « Corneille lui a lu une pièce qui sera jouée dans quelque temps... Molière lui lira samedi Trissotin, qui est une fort plaisante chose. Despréaux lui donnera son Lutrin et l'Art poétique... »). Catilina, comme dira Voltaire, finissait en Atticus.

   En réalité, la plume à la main, il inspectait les lambeaux de ce qu'il avait été pour se reconnaître : or il avait été lui-même non pas dans l'action, mais dans ces « quarts d'heure » où, voulant convaincre ou circonvenir un de ces princes qu'il poussait devant lui, comme Gaston d'Orléans « ces zéros qui ne multiplient que parce qu'ils sont princes du sang »), il s'enfermait pour mettre par écrit ses raisons, ses arguments, ses considérations. Agitateur et non homme d'État, Retz était surtout un être « distancié ». Il se regardait faire de la politique. Une même « ironie » transparaît dans la relation des épisodes plus ou moins glorieux de son existence tumultueuse : ainsi, lorsqu'il oblige le prince de Condé à recevoir sa bénédiction en pleine rue ; quand le duc de La Rochefoucauld lui coince la tête entre deux portes et qu'il s'attend à être lardé par les partisans des Princes ; quand il prêche devant le roi et qu'il subjugue l'assistance, alors que, rongé par le mal rapporté de ses escapades nocturnes auprès des belles frondeuses, il s'agrippe à la chaire. César plus soucieux de ses « commentaires » que de la conquête du monde, Retz s'engageait dans l'action en cherchant des yeux son miroir. Il n'est pas étonnant qu'il ait manqué son but. « Mort enterré vivant qui s'était dévoré dans son cercueil » Chateaubriand, Vie de Rancé), le cardinal de Retz a rêvé l'empire : il s'est retrouvé Tacite. La surprise qu'il chercha toute sa vie à créer, il la trouve dans sa phrase nerveuse, rompue, elliptique, propre à tracer ces portraits immortels d'une époque à jamais oubliée. C'est par là que son aventure est d'une « beauté irréparable ».