Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Toukaï (Gabdulla Mukhamedgarifovitch Toukaïev, dit)

Poète tatar (Kuchlaütch 1886 – Kazan 1913).

Fils d'un mollah, il fut typographe, journaliste, se lia à l'intelligentsia démocratique de Kazan (G. Kamal, G. Koulakhmetov) ainsi qu'au milieu ouvrier. Civique et satirique, sa poésie pourfend la réaction (De la liberté, 1905 ; la Douma d'État, 1906 ; Aux parasites, 1906), la bourgeoisie nationaliste (le Bazar au foin, 1908), l'exploitation des travailleurs (l'Usine, la Datcha, Kazan, 1910-1913), la condition des femmes (Aux filles tatares, 1906) et l'obscurantisme religieux. Auteur de poèmes pour enfants, de vers lyriques, d'articles théoriques (Notre poésie, 1907 ; la Littérature populaire, 1910), il est, par sa poésie de combat, le père de la littérature tatare moderne.

Toulet (Paul-Jean)

Poète et romancier français (Pau 1867 – Guéthary 1920).

La vie et l'œuvre de ce rêveur caustique furent hantées par les voyages : celui qu'accomplit le tout jeune homme quittant son Béarn natal pour suivre les traces de ses parents à l'Île Maurice et y goûter aux paradis artificiels (1885-1888) ; un périple autour du Bassin méditerranéen et son séjour à Alger (1888-1889) ; ses équipées dans le sud de la France et en Espagne ; en 1903, son grand voyage en Orient avec Curnonsky, l'ami parisien (alias Maurice Sailland) ; ses excursions en Europe ; tous les voyages réels ou rêvés, enfin, dont témoignent le curieux volume posthume de ses Lettres à soi-même (1927). Journaliste et poète dilettante, il fait une brève apparition à Paris en 1892 (où il rencontre Charles Maurras et Toulouse-Lautrec), avant de s'y installer en 1898 pour y mener une vie de noctambule mondain. Il collabore régulièrement à la Vie parisienne, traduit le Grand Dieu Pan de Machen, et commence à publier ses romans ironiques et raffinés (Monsieur du Paur, homme public, 1898 ; les Tendres Ménages, 1904 ; Mon amie Nane, 1905), ainsi que des contes et des « choses vues » (Comme une fantaisie, 1918 ; Contes de Béhanzigue, 1920). Il prête également sa plume aux « ateliers Willy » (la Tournée du petit duc, 1908 ; Maugis en ménage, 1910 ; Lélie fumeuse d'opium, 1911 ; l'Implacable Siska, 1911) et rêve, avec son ami Debussy, à un opéra sur Comme il vous plaira. C'est avec ses Contrerimes, qui commencent à paraître en 1910 et dont l'édition définitive ne sera malheureusement publiée qu'en 1921, qu'il s'impose comme poète, savant et ludique tout à la fois, désigné comme chef de l'« école fantaisiste » par Carco et Derème. En 1912, il quitte Paris pour s'installer dans le Bordelais puis au Pays basque, où il composera encore un roman satirique, la Jeune Fille verte (1918-1919). Après sa mort parurent, entre autres, une comédie (le Souper interrompu, 1922), des Notes d'art (1924) et des Vers inédits (1936).

Toumanian (Hohvannes)

Poète arménien (Dsekh, auj. région de Toumanian, 1869 – Moscou 1923).

S'inspirant tour à tour de la nature, des fables, des contes et légendes de sa patrie, il allia la tendresse et l'humour au lyrisme le plus élevé. Le plus célèbre de ses poèmes, Anouch (Anus), inspira à Tigranian l'opéra du même nom.

Tourgueniev (Ivan Sergueïevitch)

Écrivain russe (Orel 1818 – Bougival 1883).

Il fut longtemps l'écrivain russe le plus connu en France, et c'est lui qui a introduit auprès du public français le « roman russe ». Ce  « parfait Européen » était russe dans l'âme : mais, rejeté par la droite et la gauche, il s'est retrouvé isolé dans son pays. Tandis qu'il était encensé en France, la gloire montante de Tolstoï, de Dostoïevski et de Tchekhov éclipsait la sienne, au point qu'il tomba dans l'oubli, ravalé au rang d'écrivain léger et superficiel. Pourtant, s'il n'est pas un penseur, Tourgueniev est un réel artiste, à la langue classique, qui a su peindre la nature, la campagne, les femmes russes, et a porté la nouvelle à un degré de perfection.

   Fils de propriétaires terriens, il grandit dans la maison familiale de Spasskoïe, sous la coupe d'une mère despotique. En 1833, il entre à l'Université où il fait des études brillantes ; cinq ans plus tard, il se rend à Berlin pour étudier la philosophie, découvre Hegel et se lie avec Herzen et Bakounine. De retour en Russie (1841), il entre au ministère de l'Intérieur ; c'est alors, en 1843, qu'il entend chanter Pauline Viardot et en tombe éperdument amoureux. Il quitte son poste de fonctionnaire pour vivre dans le sillage de la jeune femme et de son mari. Il séjourne alors trois ans en France, de 1847 à 1850, et fait la connaissance de George Sand, de Chopin, de Mérimée. La mort de sa mère l'oblige à revenir dans son domaine, où il ne tarde pas à être assigné à résidence, officiellement pour avoir écrit un article trop véhément à la mémoire de Gogol (1852), mais en fait parce que la publication des Récits d'un chasseur, la même année, a posé avec acuité le problème du servage. Dans les milieux progressistes, on célèbre la pureté de son style et la générosité de ses idées. Il publie encore quelques nouvelles (Deux Amis, 1852 ; Un coin tranquille, 1854 ; Jacques Passynkov, 1855), mais rêve de « quelque chose de grand et de calme », en d'autres termes de roman. En 1856 paraît Roudine, le premier de la série des romans qui s'étalent entre 1857 et 1871 (Une nichée de gentilshommes, À la veille, Père et Fils, Fumée). La description psychologique se double d'un tableau social à travers lequel il évoque les affrontements idéologiques de son temps, entre progressistes et idéalistes, slavophiles et occidentalistes ; ses intentions ne sont pas toujours bien comprises et, en libéral trop prudent, en sceptique qui refuse de s'engager, il se fait beaucoup d'ennemis de part et d'autre : il s'écarte de Herzen et se brouille avec Tolstoï. Depuis 1856, date où l'écrivain a reçu la permission de quitter la Russie, il vit surtout en Europe, en France et à Baden-Baden ; il s'est lié avec les Goncourt, Flaubert, Zola. Il continue d'écrire, mais Terres vierges (1877) est un échec. Les dernières années du « bon géant », sans foyer et sans patrie, sont adoucies par la gloire qui l'auréole : sa pièce, Un mois à la campagne, jouée en 1879, est un triomphe. Lors d'un bref séjour qu'il fait en Russie en 1880 et où il se réconcilie avec Tolstoï, on l'acclame. Il mourra veillé par Pauline, dans sa maison de Bougival.

Les Mémoires d'un chasseur (1852).Ce recueil de nouvelles écrites entre 1847 et 1852 est composé sur le modèle de l'« esquisse paysanne », inspirée en particulier de George Sand. L'auteur y brosse, dans une langue limpide et sans artifices, des portraits et des paysages de la campagne russe. Lui-même apparaît peu : il écoute le récit d'un vieux domestique émancipé et sa conversation avec un paysan (la Source Malinova), épie une jeune villageoise qui a rendez-vous avec un valet las d'elle (le Rendez-vous), interroge la femme d'un meunier dont il a connu les anciens maîtres (Ermolaï et la Meunière), et n'intervient guère qu'une fois en intercédant pour un moujik pris en flagrant délit de braconnage. Les personnages sont vrais et diversifiés, les paysans pleins de dignité et d'humanité, les seigneurs brutaux et débauchés, les laquais corrompus. L'œuvre a joué un grand rôle – grâce à la modération du ton, qui tranche sur la production consacrée au sujet – dans la prise de conscience par l'aristocratie (et, dit-on, par le futur Alexandre II) des problèmes liés au servage.

Un Mois à la campagne (1849-1850).Si l'écriture dramatique resta secondaire dans l'œuvre de Tourgueniev, il donne pourtant avec cette comédie en cinq actes un des chefs-d'œuvre du théâtre russe, qui, par sa conception (une place essentielle est attribuée à la psychologie), annonce la dramaturgie de Tchekhov.

Les nouvelles. Toute sa vie, Tourgueniev restera attaché au genre bref, qualifiant lui-même volontiers ses romans de « longues nouvelles ». Il s'attache dans ses récits à décrire des types, que l'on retrouvera dans ses romans. Le type tourguéniévien par excellence, à côté des « jeunes filles », c'est l'homme de trop (Journal d'un homme de trop, 1850) : l'expression est passée dans le langage de la critique pour désigner un héros velléitaire, incapable de trouver sa place dans le monde. On le retrouve dans une nouvelle célèbre, les Eaux tranquilles (1871), tiraillé entre deux figures féminines, celle de la jeune fille et celle de la femme dominatrice, mûre et froide. Le charme de cette nouvelle tient au don poétique de suggérer l'indécision des sentiments et l'émotion, par des dialogues, des réminiscences, des silences qui se substituent à l'action. Le sentiment amoureux est aussi au centre d'une des nouvelles les plus célèbres de Tourgueniev, Premier Amour (1860), où l'auteur dépeint aussi la rivalité entre un fils et son père. Les nouvelles, parce qu'elles permettent des « instantanés », sont le reflet le plus fidèle des préoccupations de l'écrivain. Ainsi, sa passion pour la musique se retrouve dans Faust, son intérêt pour les phénomènes parapsychologiques se traduit par l'intrusion du surnaturel dans des nouvelles écrites à la fin de sa vie, le Chant de l'amour triomphant (1881) ou Clara Millitch (1883).

Les romans. L'univers romanesque de Tourgueniev est assez simple : l'intrigue tourne autour d'un amour contrarié et des oppositions de caractère – le velléitaire, l'homme d'action, la jeune fille pure et fière, la femme intrigante. Ainsi Roudine (1856) aime sincèrement Natacha, jeune fille grave et innocente, mais son manque de volonté fait de lui un brillant imposteur, capable pourtant de faire « germer de nobles pensées dans plus d'une âme à laquelle la nature n'aura pas refusé comme à lui l'activité nécessaire ». Lavretski, le héros du Nid de gentilshommes (1859), accomplit un chemin inverse de celui de Roudine, qui le ramène de Paris à la Russie, de ses rêves vagues à un idéal modeste (l'exploitation de sa propriété). À lui aussi, pourtant, le bonheur est refusé : au moment où il va épouser Liza, type de la jeune fille russe, il apprend le retour de sa femme, qu'il croyait morte. Dénué de « message », ce roman est certainement le plus achevé, sur le plan esthétique ; les personnages y sont traités à la fois avec justesse et poésie. À la veille (1860) est au contraire une « démonstration », dans laquelle il rend un hommage mesuré aux démocrates du Contemporain, à travers la figure d'un révolutionnaire bulgare. Le roman reçoit un accueil mitigé et Père et fils (1862) entérine la rupture avec « la jeune génération », celle des nihilistes (c'est Tourgueniev qui mit ce mot à la mode), incarnée dans le roman par le personnage de Bazarov, dont la foi dans le progrès scientifique se heurte d'abord à un amour sans espoir, ensuite à sa propre mort, symbole de son échec. Les deux derniers romans de Tourgueniev reviennent sur la thématique révolutionnaire, mais ils n'ont pas la force et l'intérêt des premiers : Fumée (1867) tourne en dérision le romantisme des jeunes révolutionnaires, tandis que Terres vierges (1876), avec un regard plus sympathique, critiquent l'idéalisation du moujik, en lui opposant l'action pratique.