Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
P

Pentzikis (Nikos Gavril)

Écrivain grec (Thessalonique 1908 – id. 1993).

Peintre, poète et romancier, le plus connu et le plus original des écrivains de l'« école de Thessalonique », qui a introduit le modernisme dans la littérature grecque, il se distingue dans ses romans (le Mort et la résurrection, 1944 ; le Roman de Mme Ersi, 1966) à la fois par son utilisation des innovations techniques du modernisme européen et surtout du monologue intérieur, poussé très loin, et par une adhésion à la tradition religieuse orthodoxe.

Pepetela (nom de guerre et littéraire de Artur Carlos Maurício Pestana dos Santos)

Écrivain angolais (Benguela 1941).

Ses activités politiques au temps de la guerre coloniale l'amenèrent à s'exiler à Paris jusqu'à l'indépendance de l'Angola (1974). Parmi ses romans, Yaka (1984) est une fresque, sur trois générations, du processus menant à la décolonisation.

Pepys (Samuel)

Écrivain anglais (Londres 1633 – Clapham 1703).

Issu d'une famille de la petite bourgeoisie, il fut secrétaire de l'Amirauté (1673-1679 ; 1684-1689) et président de la Royal Society. Ce fonctionnaire dévoila brutalement une vision du monde audacieuse et colorée lors de la publication de son Journal : tenu de janvier 1660 à mars 1669, écrit en caractères secrets, il fut déchiffré par John Smith (1819-1822), puis publié de 1893 à 1896. Avec en toile de fond le couronnement de Charles II, la peste et l'incendie de Londres, c'est un étonnant exercice de distanciation à l'égard de soi-même et du monde : à travers le discontinu de la vie quotidienne se révèle, sans orgueil et sans pudeur, une conscience qui cherche à se définir et à se situer sur le théâtre du monde ; tout passe par la spontanéité de la sensation et l'immédiateté du dialogue intérieur. John Evelyn (1620-1706), contemporain et ami de Pepys, tint lui aussi un passionnant journal, de 1641 à sa mort, et qui ne fut publié qu'en 1818.

Perbosc (Antonin)

Écrivain français de langue d'oc (Labarthe-en-Quercy 1861 – Montauban 1944).

Instituteur de village dans son Quercy natal, il participa au groupe l'Effort de Toulouse et fut un ami de Jaurès et du sculpteur Bourdelle. Il associa dans ses écrits une recherche linguistique et ethnographique (Fablèls calhòls, 1936 ; le Langage des bêtes, 1989) à sa création poétique. Ses œuvres (Souvenir, 1902 ; la Coupe occitane, 1903 ; le Labour, 1906 ; Guilhèm de Tolosa, 1908 ; les Chansons du peuple, 1923 ; le Livre des oiseaux, 1924 ; le Second Livre des oiseaux, 1930 ; le Livre de la nature, 1970) ont fait sortir la poésie félibréenne de ses cadres traditionnels. Perbosc est enfin avec P. Estieu le rénovateur de la graphie de la langue d'oc.

Percy (Thomas)

Critique anglais (Bridgnorth, Shropshire, 1729 – Dromore, Irlande, 1811).

Ses Reliques de l'ancienne poésie anglaise (1765-1794), qu'il adaptera au goût moderne, lanceront la mode des ballades populaires et inspireront les poètes romantiques. Évêque de Dromore (1782), il est l'auteur de la première version anglaise de l'Edda islandais, parue dans les Antiquités nordiques (1770), et de traductions du chinois, de l'hébreu et de l'espagnol.

Perdiguier (Agricol)

Écrivain français (Morières-lès-Avignon 1805 – Paris 1875).

Compagnon menuisier, cet autodidacte publia en 1839 le Livre du compagnonnage et fit le récit de son tour de France, en 1854, dans les Mémoires d'un compagnon. Député de 1848 à 1851, il fut proscrit après le coup d'État du 2 Décembre. Son œuvre, qui a inspiré à George Sand le Compagnon du tour de France (1840), constitue un témoignage particulièrement saisissant sur la condition ouvrière au début du XIXe s.

Perec (Georges)

Écrivain français (Paris 1936 – id. 1982).

Son œuvre, qui se caractérise aussi par l'intensité autobiographique, la passion de raconter des histoires ou l'approche sociologique, est surtout considérée comme celle d'un virtuose des jeux formels. Pour expliquer la place centrale des contraintes chez Perec, il faut revenir à son histoire. « L'Histoire avec sa grande hache » le rend très tôt orphelin de ses parents, immigrés juifs polonais : son père est tué au front en juin 1940, sa mère, arrêtée le 11 février 1943, meurt en déportation ainsi que trois de ses grands-parents.

   Mais que dire, et comment dire, quand l'histoire vous a privé de voix ? Perec choisit contre le vide, et pour dire le vide, d'utiliser les contraintes formelles. Il devient en 1967 l'un des membres les plus actifs de l'Oulipo, et fait du jeu avec les règles le principe même de son écriture. La parole est ainsi aux contraintes, elles la justifient, et ce qu'elles peuvent dire est illimité. Écrire consiste dès lors à transformer les données irrémédiables d'une histoire individuelle en principes organisateurs, à transmuer leur charge d'angoisse en potentialité créatrice : de l'enfance brisée à la mise en pièce des signifiants, du 11 février aux 11 onzains de 11 lettres (Alphabets, 1976). Anamnèse masquée, analyse qui prend les voies détournées de la fiction pour débusquer l'indicible, son écriture renouvelle aussi de manière spectaculaire l'invention narrative. Pour cet écrivain sans famille, la littérature devient un foyer, et les grands écrivains du passé des figures tutélaires : l'importance de l'intertexte (citations, allusions, pastiches, reprises) est une constante de son œuvre.

   Dans son premier roman, les Choses (prix Renaudot 1965), Perec réécrit l'Éducation sentimentale de Flaubert. Étude sociologique (Jérôme et Sylvie croient désirer les « choses » que la société de consommation leur impose), cette fable réaliste est aussi nourrie d'une foule de références (Barthes, Joyce, Scève, Dac ou Hergé) et utilise avec une grande maîtrise la technique du discours rapporté, les listes (qui dénoncent l'illusion du rapport immédiat au réel) et les temps : entre un premier chapitre au conditionnel et un dernier au futur, le passé défini et l'imparfait sont utilisés avec une ironie et une inexorabilité toute flaubertienne.

   La Disparition (1969) est l'exemple le plus célèbre de lipogramme en e, contrainte tyranique qui non seulement retire à la langue le tiers de ses mots (« Disons, grosso modo, qu'à la fin tu n'auras à ta disposition qu'un mot sur trois ») mais aussi le je, le présent et la marque du féminin. Cet étonnant tour de force, loin d'être uniquement ludique, prend un relief particulier par rapport à l'histoire personnelle de l'écrivain : de la disparition d'eux au lipogramme en e, c'est un langage orphelin de sa voyelle essentielle qui dit la disparition des parents, un roman sans féminin qui pleure une mère assassinée ; sans e, le je s'abolit, de même que le nom (Perec) qui retrouve aussi l'écriture hébraïque sans voyelle.

   W ou le souvenir d'enfance (1975) fait alterner un chapitre de récit d'aventure (qui verse d'abord dans le mystère, puis dans la pseudo-satire, enfin dans l'horreur visionnaire) et un chapitre autobiographique (reconstitution méthodique et souvent douloureuse de son enfance). La fiction, qui dépeint la terrifiante île de W où règne une dictature soumise à des lois sportives, est la projection des hantises de l'écrivain et une relecture de l'Univers concentrationnaire de David Rousset. L'autobiographie d'un sujet qui affirme d'entrée « je n'ai pas de souvenirs d'enfance » semble impossible, mais la recherche anxieuse des traces de l'histoire personnelle résonne de façon lancinante dans la fiction : le rapport des deux récits demeure implicite, tandis qu'ils convergent sans jamais l'atteindre vers l'indicible, le camp de concentration.

   La Vie mode d'emploi (prix Médicis 1978), livre monumental et labyrinthique sous-titré « romans », qui a demandé neuf ans de travail, est une impressionnante hybridation de la littérature et des mathématiques, et l'essai le plus complexe d'écriture à formule jamais élaboré. Perec « imagine un immeuble parisien dont la façade a été enlevée » et le peuple grâce à des « processus formels [...] dont les seuls énoncés [lui] semblent avoir quelque chose d'alléchant ». La « polygraphie du cavalier » définit l'ordre de description des pièces de l'immeuble, qui sont ensuite remplies et animées grâce à 21 paires de listes de 10 éléments, soit 420 éléments (couleurs, meubles, nombre de personnes, événements historiques, citations littéraires, etc.). La répartition des matériaux romanesques ainsi listés ne doit être ni aléatoire ni réaliste, mais doit absolument obéir à une règle formelle : ce sera l'algorithme du « bi-carré latin orthogonal d'ordre dix », dont l'inconvénient est toutefois une rigidité excessive ; des permutations y sont introduites, elles-mêmes régulées par la « pseudo quenine d'ordre 10 ».

   Ce dispositif, « véritable machine à raconter des histoires », pulvérise le roman en une constellation flottante de matériaux épars, puis produit et organise, à partir d'un ensemble complexe de règles mathématiques pourtant étranger à toute fonction mimétique, une multitude de récits d'aspect parfaitement réaliste. Perec parvient ainsi à coordonner dans un espace (11 rue Simon-Crubellier) et un temps (vers 20 h le 23 juin 1975) parfaitement circonscrits, la somme jubilatoire d'une centaine de petits romans policiers, sentimentaux, sociologiques et de biographies tour à tour touchantes, cocasses, fantasques ou tragiques. Les trois personnages principaux que sont Bartlebooth, Winckler et Valène dressent un portrait en triptyque du créateur, autour de la problématique du puzzle dont manque toujours la pièce centrale (le W) : disparition, vide central, jeu entre les pièces sont nécessaires pour que la totalisation soit possible mais toujours différée, avant d'imploser à la dernière page, lorsque le lecteur comprend que l'ensemble du livre tient dans l'instant de la mort de Bartlebooth.

   Perec a écrit d'autres romans (Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?, 1966 ; Un homme qui dort, 1967 ; Un cabinet d'amateur, 1979), une série de recensions à caractère autobiographique (la Boutique obscure, 1973 ; Espèces d'espaces, 1974 ; Tentative d'épuisement d'un lieu parisien, 1975 ; Je me souviens, 1978), des poèmes (Ulcérations, 1974 ; la Clôture, 1980), des « exercices oulipiens » – un palindrome de 5 826 signes, des monovocalismes en e (les Revenentes, 1972) ou en a (What a man !, posthume, 1996 –, des pièces de théâtre (l'Augmentation, 1970 ; la Poche Parmentier, 1974), des films (Un homme qui dort, Récits d'Ellis Island) et des mots croisés.