Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
A

Albee (Edward)

Auteur dramatique américain (Washington 1928).

En 1959, avec Histoire de zoo, Albee montre d'emblée son intérêt pour les échecs de la communication langagière : il fait du dialogue, jeu de monologues autarciques où apparaît la violence secrète de l'échange humain, le moyen d'aller contre le verbiage généralisé. Pour défaire l'optimisme américain, l'expérience théâtrale doit être douloureuse. Albee a identifié son théâtre à un naturalisme stylisé ; cette manière de paradoxe souligne l'ambiguïté de la représentation : mimétique par la constante comédie bourgeoise qu'elle commande, et réformatrice de la conduite par la morale de la communication qu'elle appelle. L'entêtement à poursuivre un dialogue toujours tronqué (Qui a peur de Virginia Woolf ?, 1962) invite à lire dans l'évidence de la misère personnelle et collective l'exigence de vie : le mythe de l'enfant qui n'a jamais existé fixe un jeu de fantasmes qui est, en fait, une approche de la réalité. L'effacement de la catharsis, pratiqué par Albee, renvoie chacun au face-à-face avec autrui. La tension dramatique, portée jusqu'au point de la destruction et de la mort, marque la nécessité de trouver un nouvel ordre de relation : la représentation scénique s'inscrit dans l'échange symbolique quotidien et doit provoquer sa recomposition. Aucune solution n'est cependant esquissée, si ce n'est la dénonciation des valeurs artificielles de la société américaine (le Rêve de l'Amérique, 1961).

   Le défaut de conclusion montre que l'argument théâtral n'est pas le vrai critère. L'artifice des situations, qui commande le paroxysme des attitudes, renvoie à une systématique du contraste – la richesse et le dévouement spirituel (Petite Alice, 1964), le mari et la femme, le couple et les étrangers (Équilibre fragile, 1966), le moi et l'autre (Tout entier, 1972), la promesse de la vie et l'ignorance de la vie (Marine, 1975). Cette systématique et cette symétrie définissent le moment théâtral par un jeu d'équilibre. Cette stabilité cause les échanges des rôles – ainsi de Jerry et de Peter dans Histoire de zoo, de Nancy, de Charlie, Sara et Leslie dans Marine. Elle rédime, sans l'effacer, le défaut de communication. Alors que chacun des acteurs dispose d'une gamme limitée d'attitudes, l'échange symbolique renouvelle ces attitudes. La ruine et la mort sont les signes de ce changement qui recompose les données initiales. En ce sens, tout dialogue est repris d'un monologue névrotique, alors contraint de dire ses propres déterminations. La primauté des thèmes du couple et du mariage correspond à un usage dramatique du familialisme et de ses figures pathologiques. Le jeu fréquent du souvenir est l'ingrédient de dialogues paradoxaux, qui se nourrissent de rappels inaltérables. Dans le monde évoqué par Albee, aucun changement ne peut être apporté de l'intérieur. Le thème de l'autre, de l'étranger, et le dramaturge lui-même, par l'organisation de l'argument, montrent cependant que l'équilibre est instable et paradoxal. La situation dramatique se perçoit toujours sur deux plans de référence dont chacun a sa logique ; cette dualité fonde la critique de la convention morale américaine et assimile tout comportement à une illusion, fait de l'œuvre une métacritique qui traite de cette construction paradoxale. Cette essentielle distanciation, qui suscite l'inquiétude chez le spectateur, montre qu'Albee n'entend pas défaire les données essentielles de la culture américaine, mais les ouvrir de l'intérieur par l'humour : la mort de Jerry est un jeu qui n'est pas un jeu, ainsi que l'affrontement de Martha et de son mari. Le familialisme, dans le personnage générique du fils (Tout entier, 1972), présente un héros à la fois entièrement déterminé par la convention et hors convention, puisque le lien de l'enfant aux parents est privé de toute efficacité et que l'enfant même est le seul, parce qu'il a été ignoré, à pouvoir fixer le point de vue de la métacritique. Le thème de l'enfant adopté, dans le Rêve de l'Amérique, marque la tentative d'effacer ce point de vue et son échec.

   Boîte et Citations du secrétaire Mao Tse Tung (1970) montrent, ici par des citations de Mao qui s'intercalent dans l'évocation de vie d'une femme, et là par le récitatif de la voix qui sort d'une boîte, que, lorsque plus rien ne peut être prouvé, seul s'impose le souvenir à la fiabilité douteuse. À travers les personnages de Mao Tse Tung et du pasteur, tout discours fixé est récusé. Avec Compter les manières (1977), Écouter (1977) et l'Homme qui avait trois bras (1983), Albee confirme sa parenté avec Beckett, et établit que toute existence humaine est rigoureusement indécidable et inconsistante. La fable du zoo offrait un moyen de sortir de cette aporie, mais elle concluait sur une ambiguïté, qui ne réussissait pas à effacer une évidence : tout sujet est son monde et rien d'autre ne peut en être dit ni pensé. Le théâtre devient une entreprise proprement déraisonnable, à l'image de la déraison des personnages, puisqu'il essaie de formaliser l'indécidable.

Alberdi (Juan Bautista)

Écrivain et homme politique argentin (Tucumán 1810 – Paris 1884).

Dès 1837, il émigra à Montevideo avant de partir pour l'Europe. Ses idées inspirèrent la Constitution argentine de 1853. En 1866, il s'éleva contre la politique de Mitre dans le Crime de la guerra. Auteur également d'éditions critiques et d'études de droit, il a écrit une anthologie América poética (1846) dressant le bilan de la poésie du continent hispanophone. Dans son œuvre allégorique Lumière du jour (1878), il évoque les problèmes de son pays avec une rare acuité.

Alberdingk Thijm (Josephus Albertus)

Écrivain néerlandais (Amsterdam 1820 – id. 1889).

Fondateur de la revue Dietsche Warande (1855) qui proclamait l'unité culturelle et linguistique de la Flandre et de la Hollande, et professeur d'esthétique (1876), il défendit l'identité de l'art et de la foi dans une perspective catholique. Poète romantique influencé par Bilderdijk (les Limbes, 1853), il idéalise, dans ses contes et ses récits, le Moyen Âge chrétien (Légendes et Fantaisies, 1847 ; Contes carolingiens, 1851 ; la Ligne sainte, 1858) et le passé de la Hollande (la Nef, 1875 ; Portraits de Vondel, 1876).