Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
E

épopée (suite)

Les domaines non indo-européens

Le célèbre Poème de Gilgamesh d'origine sumérienne, est une interrogation sur la mort (J. Bottéro lui donne pour sous-titre Le grand Homme qui ne voulait pas mourir). L'épopée géorgienne Peau de panthère de Rustaveli relève peut-être autant du genre romanesque que du genre épique. En Finlande, malgré sa popularité, le Kalevala s'apparente plus à une reconstitution tardive du XIXe s. qu'à des chants épiques traditionnels authentiques.

   Les épopées de l'Extrême-Orient semblent encore étonnamment vivantes. Au Japon, le Dit des Heike (XIIIe s.), geste relatant la lutte à mort de clans au temps des samouraïs, est une véritable épopée que des moines aveugles chantaient en s'accompagnant du biwa (luth japonais) – des chanteurs, véritables « trésors nationaux », le récitent encore. Au Tibet, la geste de Gesar de Ling est un poème de plus de 50 000 vers dont la tradition est vivante aujourd'hui. Les versions de l'épopée sont presque toutes orales et encore chantées dans les monastères. Gesar y présente des traits disparates, conséquence de remaniements et d'actualisations (on y chante jusqu'à l'occupation du Tibet par la Chine...).

   Nombre d'épopées africaines restent sans doute à découvrir, mais plusieurs ont été remarquablement éditées et commentées. Si les deux textes peuls, Kaïdara et surtout l'Éclat de l'étoile, sont plus des textes initiatiques que des épopées, en revanche, Silamaka et Poullori (peul), le mwet fang de Zwé Nguéma et la Prise de Dionkoli (bambara) sont pleinement épiques.

Équateur

La période coloniale connut une littérature abondante, essentiellement historique et religieuse (Gaspar de Villarroel, Juan de Velasco, Juan Bautista Aguirre). Une poésie satirique apparaît à la fin du XVIIIe siècle, dans le premier journal équatorien (Francisco Eugenio de Santa Cruz y Espejo). Les guerres de l'indépendance sont célébrées par José Joaquín Olmedo (la Victoire de Junín, 1825), tandis que le romantisme européen trouve des disciples en Numa Pompilio Llona et Julio Zaldumbide. Juan León Mera, le premier romancier de son pays (Cumanda ou un drame entre sauvages, 1879), rappelle Chateaubriand dans son exaltation de la nature tropicale, tandis que Juan Montalvo est la grande figure de l'époque.

   Alors que le romantisme jette ses derniers feux avec les poètes César Borja et Remigio Crespo Toral, le réalisme gagne les lettres équatoriennes (Alfredo Baquerizo Moreno, Luis A. Martínez). Si le mouvement moderniste a eu moins d'influence en Équateur que dans les autres pays de l'Amérique latine, il a toutefois donné quelques poètes (Humberto Fierro, Arturo Borja, José María Egas) et un romancier tel Gonzalo Zaldumbide. Avec Jorge Carrera Andrade et Gonzalo Escudero, la poésie s'ouvre aux tendances d'avant-garde. Benjamín Carrión est un des meilleurs essayistes de sa génération.

   Violemment réalistes, les prosateurs des années 1930 dénoncent les injustices du système social à l'instar de Jorge Icaza (la Fosse aux Indiens, 1934). Parallèlement, les écrivains du groupe de Guayaquil traitent des problèmes sociaux de la région côtière (Demetrio Aguilera Malta, Enrique Gil Gilbert). À ce groupe appartiennent aussi José de la Cuadra et Alfredo Pareja Diez-Canseco (les Trois Rats, 1944). La veine réaliste apparaît également chez Humberto Salvador, Jorge Fernández et Adalberto Ortiz. En marge de ce courant, Pablo Palacio témoigne d'un humour souvent noir. La poésie, elle, vise à des horizons élargis aux dimensions du monde moderne avec les poètes du groupe Madrugada, fondé à Quito en 1944 (César Dávila Andrade, Alejandro Carrión, Jorge Enrique Adoum).

   Dans les dernières décennies, de nombreux groupes cherchent des voies nouvelles : Presencia, Umbral, Elan, les Tzántzicos, etc. Préoccupations sociales ou religieuses marquent les œuvres de Francisco Granizo Ribadeneira, Eugenio Moreno Heredia, Teodoro Vanegas Andrade, Edgar Ramírez Estrada et surtout Alfonso Barrera Valverde (Temps secret, 1977), Carlos Eduardo Jaramillo (Tralfamadore, 1977), Euler Granda, Fernando Cazón Vera (le Fils prodigue, 1977). Dans le domaine de la prose, sous l'influence de Cortázar et de García Márquez notamment, la nouvelle connaît une faveur particulière avec Pedro Jorge Vera, Juan Viteri Durand, Rafael Díaz Ycaza, Carlos de la Torre Reyes, Walter Bellolio, Eugenia Viteri, Hipólito Alvarado, Carlos Bejar Portilla, Vladimiro Rivas Iturralde.

Er Mason (Ropers)
ou Ropers Ar Mason

Poète français d'expression bretonne (Lorient 1900 – Hourtin 1952).

Polytechnicien et officier de marine, il n'était pas bretonnant de naissance mais apprit le dialecte vannetais afin de pouvoir s'exprimer dans la langue de ses ancêtres, paysans des environs de Pontivy. Il écrivit dans les revues Dihunamb et Al Liamm des contes, des essais et surtout des poésies. Après avoir rassemblé en 1944 ses poèmes sur la vie du marin dans Chal ha dichal (Flux et Reflux), il publia en breton unifié d'autres recueils poétiques comme Judenn al loman (la Légende du pilote, 1947) et un roman largement autobiographique, Evit ket ha netra (Pour pas et rien, 1951). On lui doit aussi des pièces de théâtre en vannetais, comme Er gouriz eur (la Ceinture d'or).

Eraqi (Fakhr al-din)

Écrivain iranien (Hamadan 1213 – Damas 1289).

Contemporain de l'invasion mongole, il connut une vie errante et mouvementée (Iran, Hindoustan, péninsule Arabique, Anatolie, Égypte, Syrie) et se trouva au confluent de la plupart des courants mystiques de son époque. Il réalisa une brillante synthèse entre le soufisme iranien et la doctrine d'Ibn 'Arabi dans un traité en prose, les Éclairs divins (entre 1270 et 1272). Il fut également un poète talentueux et original qui chanta son amour de Dieu et son ivresse spirituelle dans de beaux ghazals à l'imagerie luxuriante.

Érasme (Didier)

Humaniste hollandais d'expression latine (Rotterdam 1466 ou 1469 – Bâle 1536).

Enfant naturel, orphelin à 14 ans, il entre en 1487 au couvent de Steyn. En 1495, il obtient une bourse à Paris. Le séjour qu'il effectue en Angleterre en 1499 le marque profondément : il y rencontre Thomas More et se lie d'amitié avec le théologien John Colet. En 1500 paraît à Paris la première édition des Adages, suivie, en 1505, de celle des Annotations de Valla.

   Les Adages constituent un recueil de maximes tirées de la Bible et des auteurs anciens grecs et latins. De la première édition (1500) à la dernière du vivant de l'auteur (1536), le nombre des maximes passa de 800 à 4 151. L'ouvrage, l'un des plus grands succès de librairie du XVIe s. (plus de cent éditions), combine l'érudition de l'humaniste et l'humour de l'écrivain. Il a une place importante dans les débats de l'époque sur la nature du style et le rôle de la littérature. La préface de la première édition constitue un véritable traité d'art oratoire et de stylistique, qui fait de l'ornement du discours un élément inséparable de la vérité du fond.

   De 1506 à 1509, Érasme voyage à travers l'Italie : il y étudie les auteurs anciens (qu'il traduit et édite), s'initie à l'hébreu et à l'araméen, achève le recueil des Adages. En 1509, il compose l'Éloge de la folie (1511). Écrit sur les routes d'Allemagne, entre Venise et Londres, et achevé chez Thomas More, cet essai, composé en latin, est une satire des diverses classes de la société, spécialement du clergé. Exercice rhétorique, farci de citations et de réminiscences érudites, c'est, au-delà du jeu d'école (la « déclamation »), une première expérience de l'absurde, à travers la condamnation du fanatisme et le difficile accord de l'intelligence et de la foi.

   De 1509 à 1514, Érasme séjourne de nouveau en Angleterre, où il prépare une édition du Nouveau Testament d'après le texte grec. En 1516, il devient conseiller de Charles Quint, pour lequel il écrit l'Institution du prince chrétien. De 1517 à 1521, il fonde à Louvain un Collège trilingue et entreprend une correspondance avec Luther. De cet échange épistolaire naîtra la fameuse polémique sur le libre arbitre (au De libero arbitrio d'Érasme, publié en 1524, Luther répliquera en 1526 par le De servo arbitrio). Ses travaux intellectuels, et notamment sa réflexion sur la culture oratoire chrétienne (Ciceronianus, 1528 ; Ecclesiastes sive de concionandi ratione libri IV, 1535), l'absorberont jusqu'à sa mort.

   Père d'un christianisme épuré et rénové par le retour au texte des Évangiles (l'évangélisme), Érasme est également – par ses travaux philologiques, son assimilation de la culture gréco-latine, sa méthode de retour aux textes et d'exégèse critique – l'un des initiateurs de l'humanisme européen.

   Dans l'ensemble de son œuvre, on peut distinguer deux groupes d'ouvrages. En premier lieu, les livres d'érudition ou de pédagogie : les éditions, traductions ou commentaires d'auteurs grecs et latins (Plaute, Térence, Sénèque, Platon, Plutarque, Pindare, etc.) ; et, surtout, les Adages et les Colloques (recueil de dialogues latins), deux ouvrages pédagogiques (pédagogie de la rhétorique pour le premier, de la langue latine pour le second), à portée morale ou religieuse, rehaussés par l'esprit, la verve facétieuse de leur auteur. En second lieu, les ouvrages de philosophie morale, religieuse ou politique : l'Institution du prince chrétien définit (à l'opposé des thèses machiavéliennes) l'idéal du souverain, l'Institution du mariage chrétien valorise l'État laïc au sein de l'Église, l'Enchiridion militis christiani (le Manuel du soldat chrétien) et le Paraclesis ou Exhortation à l'étude de la philosophie chrétienne exposent l'essentiel de la philosophie religieuse d'Érasme. Ce qu'il nomme la « philosophie du Christ » tient en quelques principes simples : le retour aux Évangiles, la primauté de la foi et de la dévotion intérieure sur le culte et les rituels, de la charité sur les dogmes, de l'esprit de la religion sur sa lettre. À quoi s'ajoute cet élément fondamental qui rapproche la philosophie érasmienne de l'humanisme et l'oppose à la théologie réformée : l'affirmation de la liberté de l'homme.

   Si l'œuvre la plus célèbre d'Érasme, l'Éloge de la folie, n'est classable dans aucun des deux groupes précédents, elle réalise cependant l'union intime de la raison humaniste – de son sens critique, de son ironie – et de la foi chrétienne en exhibant la folie dans ce que les hommes appellent la raison, en faisant apparaître toute raison comme une folie qui s'ignore, et en montrant que la sagesse suprême réside dans la folie de la Croix.