Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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La Fayette (Marie-Madeleine Pioche de Lavergne, comtesse de)
ou Marie-Madeleine Pioche de Lavergne, comtesse de Lafayette (suite)

Naissance d'un nouveau roman

L'ouvrage, qui bénéficia d'un intérêt circonstanciel pour l'époque des Valois (de l'Histoire des guerres civiles en France, 1657, de Jean Baudoin, à l'Histoire de la maison royale de France, 1674, du P. Anselme), apparut cependant bien autre chose qu'« une parfaite imitation du monde de la cour et de la manière dont on y vit », selon l'expression même de Mme de La Fayette. Le livre déchaîna les passions. Amour, deuil, jalousie : la Princesse de Clèves est plus proche d'À la recherche du temps perdu que de l'Astrée.

   On doit aussi à Mme de La Fayette une Histoire d'Henriette d'Angleterre (1720), la Comtesse de Tende (1724), Isabelle ou le Journal amoureux d'Espagne (publié seulement en 1961), ainsi que des Mémoires de la cour de France pour les années 1688 et 1689 (1731).

La Fontaine (Jean de)

Poète français (Château-Thierry 1621 – Paris 1695).

La Fontaine est aujourd'hui le plus connu des poètes français du XVIIe siècle, et il fut en son temps, sinon le plus admiré, peut-être le plus célèbre, en tout cas le plus lu (ses Contes et ses Fables obtinrent un large succès).

Aléas et intermittences de la vie mondaine

Si l'on connaît assez peu de détails sur la biographie de La Fontaine, on peut cependant discerner les principales étapes de sa carrière sociale : elle apparaît comme celle d'un homme mal intégré aux milieux qui font les modes et tiennent les pouvoirs. Né d'un père maître des Eaux et Forêts et d'une mère fille de marchand, il est issu de la moyenne bourgeoisie provinciale. Après des études discrètes (achevées sans doute à Paris, où il fut condisciple de Furetière), il fit un début de noviciat à l'Oratoire (1641), abandonné faute de vocation, puis une formation en droit (1645) avant un mariage (1648) avec une toute jeune fille de magistrat, Marie Héricart : mariage sans amour, et couple sans affinité profonde, qui sera bientôt séparé de biens. En 1652, il acquiert une charge (modeste) de maître des Eaux et Forêts à Château-Thierry. Il l'exerce jusqu'en 1658. Cette année-là, son père meurt, laissant une succession très embrouillée, et une révision des structures administratives rend son emploi incertain. Il se réoriente alors vers la littérature. En 1658, le surintendant Fouquet, alors au faîte de sa puissance, le prend sous sa protection et lui fait une pension, après la dédicace du poème Adonis. À son service, La Fontaine compose diverses poésies de circonstance et entreprend le Songe de Vaux. Il se lie avec Pellisson, Scudéry, Saint-Évremond, comme lui « clients » de Fouquet. Mais, en 1661, c'est la disgrâce du tout-puissant ministre. La Fontaine lui marque sa fidélité et prend sa défense (Élégie aux nymphes de Vaux, 1661 ; Ode au roi pour M. Fouquet, 1663) ; il est contraint à un temps d'exil à Limoges (Voyage en Limousin), et, des années durant, Colbert et Louis XIV lui garderont rigueur de ce courage, le tenant à l'écart des honneurs et des récompenses officielles. Il se case alors auprès de grands seigneurs un peu en marge de la Cour (Conti, Bouillon) et de financiers. Il obtient un emploi de gentilhomme au palais du Luxembourg, au service de la vieille duchesse d'Orléans. Après la mort de celle-ci, il est l'hôte (1673-1693) de Mme de La Sablière, dont le salon est fréquenté par des savants et des philosophes. Il sera ensuite hébergé par le banquier d'Hervart. Si ses Contes (1664-65) le rendent célèbre – il en publiera plusieurs suites (1666, 1671) –, la gloire vient avec les Fables (1668) et se confirme avec Psyché (1669). Il fréquente alors Boileau, Racine. Il donne des gages de son orthodoxie (Poésies chrétiennes, 1671 ; Captivité de saint Malc, 1673). Mais ses Nouveaux Contes (1674) sont interdits par la censure. Le succès se réitère pourtant avec le Second Recueil de Fables (1678). Il réussit enfin, malgré l'hostilité du roi, à se faire élire à l'Académie (1683). Mais, après avoir tenté, sans grande réussite, de revenir au théâtre avec des opéras (Astrée, 1691), donné divers poèmes et le Livre XII des Fables (1693), il se tourne vers la dévotion et renie ses Contes avant de mourir.

Un polygraphe éblouissant

De l'œuvre de La Fontaine, on ne retient d'ordinaire que les Fables et, secondairement, les Contes. On en restreint ainsi gravement l'ampleur, la diversité et la portée. En fait, elle est remarquable par sa variété. Il était banal à l'époque d'être polygraphe ; mais il est rare que l'on ait exploré autant de voies que La Fontaine. Il a pratiqué tous les genres. Le théâtre d'abord : à ses débuts, mais aussi une fois la célébrité atteinte. L'écriture dramatique était la source des plus vifs succès et des meilleurs recettes : si La Fontaine ne trouva pas le succès avec elle, du moins en expérimenta-t-il, de façon approfondie, les ressources. Il a eu aussi la tentation du récit en prose : récit de voyage sous forme épistolaire (Voyage en Limousin), mais aussi narration romanesque (Psyché). Il a surtout pratiqué la poésie, tant dans le registre héroïque (Adonis) qu'élégiaque ou galant, tant dans les petits poèmes mondains de circonstance que dans les Contes gais et licencieux, ou encore dans le discours en vers (Discours à Mme de La Sablière). Les Fables, enfin, représentent un alliage original de la narration, du discours et de l'écriture poétique. Il a abordé toutes les thématiques. Le merveilleux païen l'attire : il reprend les mythes d'Adonis et de Psyché, dans la tradition des métamorphoses d'Ovide et d'Apulée. Sa verve libertine se donne libre cours dans les Contes, où, de maris cocus en moines paillards et en nonnes dévergondées, il prolonge la lignée de l'Arioste, de Boccace et de Rabelais. Mais on lui doit aussi d'importants poèmes religieux et un essai de poésie scientifique (Poème du Quinquina, 1682).

Esthétique de la variété et chatoiements stylistiques

Alors que la poétique de son temps insiste sur la distinction des genres, il pratique la contamination des styles, des registres et des formes, recherchant des structures neuves, rénovées ou hybrides. Ainsi, son Adonis, poème héroïque dans le principe, fait une place au lyrisme et s'inscrit dans la lignée des « idylles héroïques », que Saint-Amant a inaugurées quelques années plus tôt. En reprenant les contes et les fables, formes traditionnelles, il les rénove en apportant à ces modèles narratifs, d'ordinaire traités en prose, le rythme poétique. Enfin, en contaminant plusieurs genres, il produit des ouvrages qui peuvent faire figure d'étranges « monstres ». Ainsi le Songe de Vaux mêle les vers et la prose, « l'héroïque et le galant », pour décrire le château de Fouquet (alors en construction) et ses fêtes, à travers la fiction d'un songe. Dans Psyché, qui tient du conte, du roman pastoral et de la rêverie poétique, la légende amoureuse (les amours de Cupidon avec la jeune mortelle Psyché) et le mythe philosophique (Psyché comme symbole de l'âme) forment un alliage sans équivalent.

   La poétique de La Fontaine est riche d'éléments baroques, et on a pu parler à juste titre de son « maniérisme » et de l'influence de la tradition de Marot. Mais elle ne renie pas pour autant les principes clefs du classicisme : admiration des Anciens (il prend position en leur faveur dans la Querelle, mais avec modération), souci de régularité et de bienséance. Même dans les Contes, les sujets scabreux sont traités avec humour : La Fontaine y peint moins les troubles du plaisir que l'ingéniosité des amants pour berner la morale confite et ses représentants.

   Et l'originalité du ton, de la « manière » fait l'unité profonde de son œuvre. Il se livre à une série de variations entre le style « soutenu » et le style « médiocre », dans la lignée de l'écriture galante, telle que l'avaient illustrée Voiture et Sarasin, et dont Pellisson s'était fait le théoricien. Mais, alors que celle-ci était essentiellement un moyen de divertissement mondain, il lui fait subir une métamorphose et en tire une langue en apparence naïve, familière et transparente, en fait très calculée et savante. C'est l'art du « naturel » qui s'incarne dans une écriture de retenue et de suggestion. Par là, dans une génération où la poésie, après le purisme de Malherbe (qu'il admire) et l'élégance de Voiture (qu'il imite), était menacée de s'enfermer dans trop de convention, de mièvrerie ou d'abstraction, il lui apporte une subtilité qui la revivifie.