Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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García Lorca (Federico)

Poète et dramaturge espagnol (Fuente Vaqueros 1899 – Víznar 1936).

Sa première pièce (le Maléfice de la phalène, 1920) ne connaît aucun succès, au contraire du Livre de poèmes (1921). Ce n'est qu'en 1928 qu'il conquiert la célébrité, grâce à l'accueil triomphal fait à son recueil de Chansons et aux représentations d'une pièce patriotique, Mariana Pineda. Il publie la même année un recueil de quinze « romances » écrits entre 1924 et 1927, le Romancero gitan, dans lequel il veut transposer en littérature la méthode musicale de Manuel de Falla (traduction dans l'art du « chant profond » du peuple) et où se retrouvent la plupart des courants lyriques de l'Espagne, aussi bien la poésie populaire de Lope de Vega que le lyrisme précieux de Góngora.

   D'un séjour aux États-Unis (1930), où il a découvert Whitman et été déconcerté par Harlem et le jazz, il rapporte le Poète à New York (publié seulement en 1948) et le Poème du Cante Jondo (1931). Après la proclamation de la république, il dirige une troupe universitaire ambulante (La Barraca) qui parcourt l'Espagne pour y jouer des autos sacramentels de Calderón et des « intermèdes » de Cervantès. Lui-même se remet à écrire pour le théâtre, donnant une pièce pour marionnettes (le Retable de don Cristobal), des fantaisies poétiques (la Savetière prodigieuse, 1930 ; Rosita la célibataire, 1935) et, surtout, sa trilogie tout de suite célèbre (Noces de sang, 1933 ; Yerma, 1934 ; la Maison de Bernarda Alba, 1936). Entre-temps, il écrit, à la mémoire d'un jeune torero, son Chant funèbre pour Ignacio Sánchez Mejías (publié en 1938). Revenu comme chaque année à Grenade, en juillet 1936, García Lorca est arrêté par la garde civile franquiste, et fusillé le 19 août.

   Traduit dans toutes les langues, García Lorca est sans doute le poète espagnol le plus connu du XXe siècle, mais on peut admirer en lui autant le poète, tout à la fois lyrique, précieux, presque gongoriste, que l'homme de théâtre. Ce dernier sut mêler le lyrisme à l'élément dramatique sans aboutir, comme chez Beckett par exemple, à une impasse métaphysique. Son œuvre tumultueuse exprime l'angoisse de l'homme moderne à travers les rythmes et la problématique d'une époque déjà lointaine et retrouve aujourd'hui une actualité qui n'est plus seulement d'ordre idéologique ou politique.

García Márquez (Gabriel)

Journaliste et écrivain colombien (Aracataca 1928).

Devenu chroniqueur régulier à El Espectador, l'un des deux grands quotidiens de Bogotá, il est envoyé en Europe, et en particulier à Paris (1954). La fermeture de son journal pour raisons politiques le laisse dans une situation précaire, jusqu'au moment où il gagne Caracas (1957), et peut y reprendre ses activités de journaliste. Rentré à Bogotá en 1959, il y participe à la création de l'antenne locale de Prensa latina, l'agence de presse de la toute jeune république de Cuba, qu'il quittera dès 1961 pour s'installer à Mexico. Là, il participe de plus en plus activement à la vie politique du continent, en soutenant au grand jour les mouvements anti-impérialistes auxquels il collaborait depuis très longtemps. Puis il rentre dans son pays, qu'il retrouvera après chacun de ses nombreux voyages, avant de le quitter à nouveau en août 1980. Il n'en garde pas moins un contact étroit et influent avec sa patrie, par l'intermédiaire d'El Espectador : il en est devenu l'éditorialiste et y publie chaque dimanche une chronique reprise par un nombre considérable de journaux, et qui est célèbre sous le nom de « colonne de Gabo », diminutif de son prénom. Cette activité journalistique s'accompagne à partir de 1947 d'une très riche carrière romanesque. C'est à cette date, en effet, qu'El Espectador publie le premier de ses contes, qui seront recueillis pour certains dans Des yeux de chien bleu (1974) : ils marquent le point de départ d'une œuvre qui fera peu à peu de son auteur le maître incontesté de l'art de conter en Amérique latine, et dont chaque nouveau livre constitue un événement littéraire et un phénomène d'édition sans précédent. Dans son premier roman, les Étrangers de la banane (1955), García Márquez fait le récit d'une veillée mortuaire à « Macondo », village imaginaire qui deviendra un des hauts lieux de la fiction contemporaine, symbolisant ce qu'on a appelé un « régionalisme à vocation universelle ». Il reste en effet un écrivain des régions côtières de la Colombie, dont il fait un véritable microcosme, où se nouent sans toujours se résoudre des conflits qui sont bien ceux du continent tout entier. Ce court récit est parcouru par une violence extraordinaire, qui évoque les plus sombres tragédies de la Grèce antique, comme cette Antigone dont il porte un passage en exergue. Autour du cadavre d'un suicidé que les habitants de Macondo refusent d'enterrer, trois personnages, dont un enfant, poursuivent des monologues intérieurs, selon une technique empruntée au Faulkner de Tandis que j'agonise. C'est aussi la violence qui caractérise Pas de lettre pour le colonel (1961), récit également très bref dont le héros est un vétéran des guerres fédéralistes qui, en compagnie de son coq de combat, attend vainement la gratification à laquelle il estime avoir droit. Ces deux récits contiennent en germe toute la production postérieure de García Márquez ; ils ont en effet pour thème essentiel, à côté de la violence et de la mort, la solitude de l'homme, sentie comme une fatalité inexorable. Violence, mort et solitude se retrouvent dans les Funérailles de la Grande Mémé (1962), contes qui campent le portrait de personnages méditant ou agissant autour de différents cadavres : la nouvelle qui donne son titre au recueil a un caractère tout à fait hallucinatoire, et atteint au mythe, né de l'imagination et des voix populaires, traits récurrents de l'œuvre entière.

   García Márquez revient au roman en 1966 avec La mala hora, dernière étape sur le long chemin de Macondo, que ferme l'histoire racontée dans Cent Ans de solitude (1967) ; ce roman fait de son auteur, du jour au lendemain, l'écrivain le plus célèbre de l'Amérique latine, célébrité entérinée par le prix Nobel (1982). Le Récit d'un naufragé (1970) est la reprise d'un reportage effectué en 1955 à propos de l'odyssée d'un homme de la marine de guerre de Colombie, qui dérive pendant dix jours sans manger ni boire, échoue sur la côte, où il est recueilli par la population, est proclamé héros national avant de retomber dans l'oubli le plus complet : cette trajectoire est caractéristique de bien des personnages de García Márquez. En 1972, les six nouvelles de l'Incroyable et Triste Histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique marquent un renouvellement de l'inspiration et de l'écriture de García Márquez, mais apparaissent surtout comme une transition vers l'Automne du patriarche (1974), qui traite de la solitude du dictateur. C'est à une forme plus classique que revient Chronique d'une mort annoncée (1981), roman de la fatalité où l'on assiste aux préparatifs d'un assassinat annoncé dès la première phrase ou l'Amour au temps du choléra (1985). Son dernier roman le Général dans son labyrinthe (1989) est inspiré par la vie du général Bolivar. L'œuvre entière de l'écrivain colombien est une longue méditation sur la mort physique et morale, sur la désintégration d'un monde qui, à l'image de Macondo, contient dès sa fondation les germes de sa destruction. Cette fatalité a pour maître d'œuvre le temps, qui pèse de tout son poids sur les hommes et le monde, d'une certaine manière assignés à une échéance irrévocable : quelques mois pour certains, cent ans pour Macondo, l'éternité pour le patriarche, éternité paradoxale, d'ailleurs, puisqu'elle s'achève un jour, le jour précisément où le mythe fait place à l'histoire.