Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
B

Benoît de Sainte-Maure

Clerc tourangeau, auteur du Roman de Troie (vers 1160) et de l'Histoire des ducs de Normandie (vers 1170).

Le Roman de Troie fait partie comme Thèbes et Énéas des récits inspirés de l'Antiquité. Benoît conte en plus de 30 000 vers, à partir de l'Historia de excidio Trojae, attribuée à Darès, et de l'Ephemeris belli Trojani, attribuée à Dictys, l'ensemble de l'histoire troyenne, de l'expédition de Jason et des Argonautes jusqu'aux retours d'Ulysse et des chefs grecs. Les batailles, qui occupent une place très importante, alternent avec de longues descriptions et des portraits qui forgent en français un nouvel art d'écrire. Une autre innovation essentielle est la place donnée aux relations amoureuses. Se détachent les couples tragiques formés par Médée et Jason, Pâris et Hélène, Briséida l'infidèle et Troïlus ou encore Achille et Polyxène. Troie met à la disposition du public laïc des cours le répertoire des mythes antiques, et diffuse aussi la légende de l'origine troyenne des principaux peuples de l'Occident. L'Histoire des ducs de Normandie, commandée par Henri II Plantagenêt et restée inachevée, retrace, depuis la conquête de la Normandie par le Viking Rollon jusqu'à Henri Ier (1100-1135), les règnes des ducs de Normandie devenus rois d'Angleterre, leurs guerres difficiles, leurs efforts aboutis pour construire une civilisation chrétienne. Elle est le premier exemple en français d'une chronique qui est en même temps porteuse d'une réflexion sur le sens de l'Histoire et sur la dignité du métier d'historien.

   

Bens (Jacques)

Écrivain français (Cadolive 1931 – 2001).

Membre fondateur de l'Oulipo en 1960, il considère la littérature comme inutile mais indispensable, et son «  exclusive passion » est d'écrire poèmes, romans, nouvelles, théâtre, essais... Dans ses poèmes s'exprime sa virtuosité verbale et mathématique : ses 41 Sonnets irrationnels (1965) inventent une nouvelle forme de sonnet à partir des premiers chiffres du nombre (strophes de 3, 1, 4, 1 et 5 vers). Dans ses romans, il privilégie l'humour et l'émotion, et jamais son goût pour les contraintes ne nuit à la liberté ludique. Adieu Sidonie (1969) est ainsi un récit très construit en 60 chapitres, 5 par jour, pour 12 jours, dont les péripéties sont la reprise hypertextuelle de 12 œuvres célèbres.

Benserade (Isaac de)
ou Isaac de Bensserade

Poète français (Paris 1613 – Gentilly 1691).

Sachant plaire aux Grands et aux salons, il fut le bel esprit préféré de la cour. Après s'être essayé au théâtre (Iphis et Iante, 1634), il devint un poète à succès, dont on appréciait les sonnets (sa concurrence avec Voiture donna lieu à la querelle de Job et d'Uranie en 1649) et surtout les livrets de ballets de cour, galants et emplis d'allusions railleuses (le Ballet royal de la nuit, 1653). Sa réputation fléchit avec l'échec de sa mise en rondeaux des Métamorphoses d'Ovide (1676).

Beowulf (le lai de)

Épopée anglo-saxonne (VIIIe-XIe s.) de plus de 3 000 vers allitérés.

Dans ce conte germanique christianisé, le prince Beowulf tue le monstre Grendel qui terrorise le Danemark, puis la mère du monstre en un duel sous les eaux. Devenu roi, il affronte, vieillissant, un dragon, mais ne survit pas à sa victoire. Hommage est rendu au héros et au saint, autour de son bûcher, puis de sa tombe, où réside « le Trésor ». Ce texte est connu grâce à un unique manuscrit, redécouvert dans les années 1620, endommagé par un incendie en 1731, transcrit en 1786, puis enfin imprimé et publié en 1815.

Béranger (Pierre Jean de)

Poète et chansonnier français (Paris 1780 – id. 1857).

Expéditionnaire aux bureaux de l'Université sous l'Empire, il perd ce poste en 1821 à cause de ses poèmes et de ses chansons contre la Restauration. Son inspiration patriotique, populaire et anticléricale, remporte un grand succès dans une France déçue par le retour des Bourbons. Il devient le chantre de la légende dorée napoléonienne et perpétue puissamment le souvenir de l'Empereur. Son œuvre (Chansons morales et autres, 1815 ; Chansons nouvelles et dernières, 1833) est largement diffusée dans le peuple des villes et dans les campagnes. (Voir le Médecin de campagne de Balzac.) Figure du poète populaire par excellence, il est salué par ses contemporains (Chateaubriand, Dumas, Hugo). Après avoir participé à la révolution de 1830, il prend ses distances avec le régime de Juillet, puis, dédaignant titres et dignités, il cesse également le combat politique ; c'est ainsi qu'en 1848 il démissionne du poste de député où les Parisiens l'avaient élu « malgré lui ». Il nie s'être rallié au second Empire, mais ne manifeste plus guère son esprit frondeur. Dès lors, il apparaît dépassé, taxé de prudhommisme par la nouvelle génération littéraire (Flaubert, Baudelaire). Il sera redécouvert par les nostalgiques du nationalisme au début du XXe siècle. Ses Chansons (l'Ange Gardien, le Dieu des bonnes gens, le Cinq Mai) gardent aujourd'hui un intérêt historique plutôt que littéraire en raison de l'engouement qu'elles ont suscité.

Béraud (Henri)

Journaliste et écrivain français (Lyon 1885 – Saint-Clément-des-Baleines, île de Ré, 1958).

Prix Goncourt 1922 pour le Martyre de l'obèse, il ancre ses romans dans sa région natale (la Gerbe d'or, 1928). Le Bois du templier pendu (1926), les Lurons de Sabolas (1932) amorcent l'épopée imaginée d'un village dauphinois, du XIVe au XVIIIe siècle, qui se poursuit par Ciel de suie (1932). Mais si ses reportages à travers l'Europe dénotent un journaliste à l'œil acéré, ses pamphlets contre Gide et les « écrivains d'exportation » (la Croisade des longues figures, 1924), l'Angleterre ou le Front populaire, que publie souvent l'hebdomadaire Gringoire, le placent au premier rang des intellectuels qui choisissent le fascisme puis la collaboration. Condamné à mort en 1944, il vit sa peine commuée et fut libéré en 1950.

berbère (littérature)

La littérature berbère est presque exclusivement orale. L'abondance historiquement attestée de ses productions (témoignages de l'Antiquité, chroniqueurs espagnols de la conquête des îles Canaries, Ibn Khaldun) accuse surtout l'étendue des pertes. Il fallut attendre la deuxième moitié du XIXe s. pour disposer de documents écrits d'inégale importance.

La langue

La langue berbère (en berbère : tamazight, langue des Imazighen, les Berbères) forme avec l'ancien égyptien et certains parlers éthiopiens le groupe des langues hamitiques, lui-même rattaché à la famille plus vaste des langues hamito-sémitiques. Elle est actuellement morcelée en parlers plus ou moins insulaires, dont la densité va croissant d'est en ouest, depuis celui de Siouah (ancienne oasis de Jupiter-Amon), qui en constitue la limite extrême vers l'Orient, jusqu'à l'Atlantique : chleuh du Sud-Ouest marocain, beraber du Moyen Atlas, rifain, zénète du Gourara, kabyle de l'Atlas tellien algérien, nefousi du djebel Nefousa en Libye ; au sud du Sahara, le touareg s'étend sur une partie de la zone sahélienne. Enfin le guanche, parler berbère des îles Canaries, a été entièrement éliminé par l'espagnol au XVe s. Les structures grammaticales (le berbère est une langue flexionnelle) sont homogènes sur l'ensemble du domaine. Le lexique comporte un lot de termes communs, auquel chaque parler ajoute des variantes. L'alphabet berbère, de type syllabique, utilisé dans l'Antiquité (sous la forme dite libyque), n'est plus en usage aujourd'hui que chez les Touareg, où il est connu sous le nom de tifinagh. Dans le passé, les écrivains berbères ont écrit dans les différentes langues qui ont pénétré au Maghreb : Tertullien, saint Cyprien, saint Augustin, Apulée, Fronton, Lactance en latin, Juba en grec ; d'autres ont usé de l'arabe, du français. Quelques manuscrits rares en caractères arabes et, plus récemment, latins ont surtout pour but de fixer des textes : poèmes didactiques à sujets religieux (surtout en chleuh), gloses de droit canon ibadite (en mozabite et en prose).

Les contes

Les genres qui ont donné lieu à la production la plus abondante sont le conte, la poésie, le proverbe et, à un moindre degré, les légendes, le récit historique, le discours soutenu. Tous offrent sur l'ensemble du domaine un fonds, de caractères communs, auquel chaque groupe tend à donner une figure propre. De tous les genres populaires le conte est sans doute celui qui a été le plus mobile dans le passé, certains thèmes se retrouvant à des distances quelquefois très éloignées. On peut de ce point de vue distinguer trois groupes dans la masse considérable des contes berbères. Le plus récent est constitué par les contes introduits d'Orient à la suite de la conquête islamique (VIIe s.). Plus anciens sont les contes dont on retrouve les motifs au nord de la Méditerranée, soit dans le fonds populaire européen (Cendrillon), soit dans la mythologie classique (Psyché, Polyphème, Persée et Andromède, l'hydre). Le conte berbère du Trésor pillé ramène même à l'Antiquité égyptienne (il a été rapporté par Hérodote comme événement réellement survenu au pharaon Rhampsinite). Il reste enfin un lot de contes dont on n'a pas trouvé d'équivalents ailleurs et qui, de ce fait, peuvent être considérés comme autochtones. L'ensemble constitue cependant une masse homogène aux caractères aisément reconnaissables.

   Le répertoire des contes merveilleux est à la fois considérable et varié. Aujourd'hui genre profane, il a dû dans le passé avoir partie liée avec le monde des forces surnaturelles ou sacrées, dans lequel il permettait pour ainsi dire d'entrer. Ainsi ne conte-t-on pas de jour, sous peine de subir divers effets maléfiques. On fait précéder et suivre la récitation d'un conte de formules consacrées, l'isolant comme une parenthèse dans le monde de la commune existence. La forme n'a pas la fixité du poème et chaque conteur est libre de présenter sa propre version du canevas convenu ; le texte n'en contient pas moins une série de passages obligés, en général faits de phrases rythmées, souvent rimées et chantées, sortes de formules magiques dont l'efficacité s'est perdue, mais non la forme.

   Le conte berbère oppose souvent le monde des hommes, civil et cultivé, à celui de la nature sauvage. De celle-ci il est des lieux convenus, comme la forêt des fauves où s'égare le héros ou à laquelle il est condamné, ou bien le désert aride et en général inconnu de lui où il s'enfonce. Au contraire, les lieux habités (la ville ou, mieux encore, le village) sont le domaine des hommes et de la vie policée. Les personnages typiques de ce domaine de la contre-culture sont l'ogre et, au moins aussi souvent, l'ogresse, dont les appétits impératifs et grossiers, la force brutale peuvent un instant s'imposer à une humanité plus faible, mais qui finissent invariablement par succomber.

   À ce monde indifférencié s'oppose la société diversifiée et ordonnée des hommes. Les rôles ici sont nombreux et personnalisés. De tous, le plus symbolique est de ce point de vue celui de Mekidech (ailleurs appelé Hadidwan), figure maghrébine du Petit Poucet, qui rachète les inconvénients d'une taille menue par les ressources de l'intelligence et de l'astuce, qu'il oppose, toujours de façon victorieuse, à la violence irréfléchie de l'ogre ou de l'ogresse. D'autres personnages sont moins typiques mais aussi caractérisés : le chasseur passionné (souvent le fils du roi), l'homme du peuple, la jeune fille, les frères presque toujours nombreux, les princes, amateurs fougueux d'aventures périlleuses ou de plaisirs capricieux ; les rois sont parfois les potentats magnifiques des contes orientaux, plus souvent ce sont de modestes hobereaux de village, dont la vie (un peu comme celle des rois d'Homère) se distingue peu de celle de leurs sujets. Le tableau cependant est nuancé, car l'humanité elle-même n'est pas encore tout entière dégagée du monde de l'instinct et de la destruction. On trouve dans les contes des paires caractéristiques de personnages antithétiques : ainsi à l'amghar azemni (le vieillard sage et expérimenté), le recours toujours bienveillant et toujours triomphant des situations bloquées, s'oppose la stout, vieille sorcière intrigante, qui fait le mal pour le plaisir ; comme à la mère, pleine d'amour inquiet pour ses enfants jusque par-delà le tombeau, s'oppose le personnage classique de la marâtre. Dans les aventures, merveilleuses ou simplement humaines, où sont engagés ces personnages, certains thèmes reviennent avec prédilection et peuvent se retrouver dans des combinaisons différentes. Le happy-end, en principe de règle dans le genre, n'exclut pas quelquefois le réalisme du détail, voire la cruauté de certaines situations, ainsi qu'on le constate dans le cas d'autres contes, européens par exemple. Objets fabuleux à acquérir au prix d'épreuves souvent difficiles, princesses toutes belles à conquérir, bagues magiques qui exaucent tous les vœux, mais aussi aventures cruelles, convoitises, ambitions tyranniques constituent les thèmes familiers du conte berbère, dont sans doute toute fonction cathartique n'est pas exclue.

   Les contes d'animaux forment un genre non seulement différent du précédent mais par certains côtés opposé. Ils sont comme la contrepartie plébéienne du conte merveilleux. Le genre est universel. Sous des noms et des figures diverses, il se retrouve tout autour de la Méditerranée et, à travers l'Orient, jusque dans l'Inde : Bidpay, Ésope, les fabliaux médiévaux, jusqu'à son moderne avatar, la fable. Ici plus d'aventures étranges ni de magiques talismans. Ce qu'évoquent les contes d'animaux, c'est la vie de tous les jours, et pas toujours sous ses couleurs les plus roses. Sous le déguisement de figures animales, ce qu'ils peignent en réalité, c'est la société humaine dans « une ample comédie aux cent actes divers ». Tous les rôles y figurent : le lion et sa puissance quelquefois tyrannique, l'âne et sa bêtise, le renard, madré compagnon, d'autres encore, mais le personnage le plus typé, celui aussi dont les aventures multipliées fournissent au genre une matière inépuisable, c'est le chacal. Sous le nom de Mehammed (comme ailleurs le goupil s'est appelé Renard), celui-ci est devenu le héros d'un véritable « Roman de Chacal », à la vérité jamais écrit, mais dont tous les éléments sont donnés. À la force et à la brutalité Mehammed oppose la ruse souvent sans scrupule, presque toujours avec succès. L'imagination populaire a cependant évité la présentation manichéenne d'un monde où l'astuce du faible l'emporte nécessairement sur la force irréfléchie des puissants, car il arrive à Mehammed lui-même d'être puni par où il pèche. Le chacal en effet trouve plus rusé que lui en la personne du hérisson, et toute une série de contes confronte les ruses alternées des deux compères, selon le thème par ailleurs classique du trompeur trompé. Le but est ici non seulement récréatif mais didactique, voire idéologique. Les contes d'animaux présentent de la vie une vision réaliste et sans illusions. Ils ne sont pas seulement l'envers des contes merveilleux, ils en sont l'antidote. Les contes touareg de ce type confient quelquefois au lièvre le rôle ailleurs tenu par le chacal (sous l'influence des exemples soudanais), mais le sens et la fonction demeurent les mêmes.

   Les contes facétieux, quoique mettant en action des personnages humains, sont souvent de la même veine. Le héros principal (mais non unique) en est Djuha, dont on retrouve le type en d'autres régions du monde islamique (par exemple chez les Turcs sous le nom de Nasr-Eddine Khodja). À la vérité, Djuha est, sous son apparente simplicité, un personnage complexe : naïf et roué à la fois (tirant parfois sa rouerie de sa naïveté même), fertile en expédients, toujours se tirant d'affaire par les ressources d'une imagination jamais à court, mais aussi à l'occasion victime de ses propres ruses, peu scrupuleux sur le choix des moyens, mais aussi racheté par une sorte de candeur naïve, qui le rend vulnérable.