Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
S

syair

Genre littéraire malais consistant en une suite – quelquefois très longue – de quatrains à rime unique. Le terme, qui est d'origine arabe, semble avoir désigné, jusqu'au XVIe s., la poésie en général, et n'avoir pris cette acception particulière qu'avec Hamzah Fansuri (XVIe-XVIIe s.). Il existe des syair romantiques (« Poème de l'amour »), métaphoriques (« Poème du hibou »), religieux (« Poème de la lumière de Mahomet »), historiques (« Poème de la guerre de Makassar »). Certains se basent sur des histoires javanaises, comme celles qui ont pour héros Panji.

symbolisme

Peu d'étiquettes ont été aussi difficilement acceptées que celles de « symbolisme » et d'« école symboliste » par ceux-là mêmes qui en semblent les meilleurs illustrateurs. Verlaine ne s'écriait-il pas : « Symbolisme ? Connais pas ! Ce doit être un mot allemand ! ». Défini généralement comme un mouvement de réaction contre le positivisme et le rationalisme triomphants de la deuxième moitié du XIXe siècle, allant à l'opposé des visées du naturalisme dont il est contemporain, le symbolisme entend rompre avec les servitudes du réalisme et redonner droit aux valeurs du rêve et de l'imagination, de la subjectivité et de l'intériorité, prêtant à l'art le pouvoir d'ouvrir les portes de l'invisible ; en cela, le symbolisme prolonge les aspirations du romantisme, renouant particulièrement avec la tradition du romantisme allemand, avec certains modes de pensée ésotériques, avec les philosophies idéalistes. Ramené à de telles visées, le symbolisme devient une notion très extensive, et la tentation est grande (pas qu'ont franchi grand nombre de ses tenants) de l'ériger en catégorie esthétique trans-historique ; mais c'est perdre de vue le sens d'une aventure intellectuelle et artistique bien spécifique : école littéraire ? mouvance artistique ? courant esthétique européen ? sensibilité fin-de-siècle ? Le symbolisme fut tout cela à la fois, construisant une histoire complexe qui en fait l'un des phénomènes artistiques les plus remarquables de la fin du XIXe siècle. Difficile à définir, le symbolisme n'est pas un, mais pluriel ; il se déploie dans le temps et dans l'espace, depuis les années 1880 où il s'invente en France et en Belgique, jusqu'au tournant du siècle et au-delà, où il s'impose dans toute l'Europe, comme ferment esthétique de bien des renouveaux, mais aussi comme réservoir de thèmes et de motifs qui imprègnent le goût et l'imaginaire d'une époque qui s'achève autour de la Première Guerre mondiale.

Le symbolisme franco-belge

Naissance du symbolisme

Sur la plan strict de l'histoire littéraire, le symbolisme naît officiellement le 18 septembre 1886, lorsque le poète Jean Moréas publie dans le supplément littéraire du Figaro un article en forme de manifeste définissant les exigences d'une poésie nouvelle et raffinée, donnant accès « à l'Idée » par le symbole et la suggestion ; dans ce texte d'une portée théorique limitée, Moréas, comme bien d'autres poètes de sa génération, se montrait disciple des conceptions poétiques exigentes de Stéphane Mallarmé, alors considéré comme un maître par toute une génération de jeunes poètes. En 1886, le texte de Moréas présentait ainsi l'intérêt de cristalliser des préoccupations communes, tout comme le Symboliste, revue éphémère qu'il fonde la même année avec Paul Adam et Gustave Kahn. Mais cet épisode ne prend tout son sens que si on le replace dans l'atmosphère d'effervescence qui suit la guerre de 1870, époque de pessimisme historique après la défaite et les massacres de la Commune, et sentiment d'étouffement dans le climat d'ordre moral qui caractérise les débuts de la Troisième République. Une sensibilité littéraire et artistique nouvelle, faite de révolte, d'élitisme artistique, de goût de la provocation trouve à s'exprimer diversement dans des clubs cultivant l'esprit « fumiste » (Hydropathes, Hirsutes, Zutistes, Je-m'en-foutistes), des cénacles, des cabarets (Le Chat Noir) et des revues (Lutèce, la Nouvelle Rive gauche). C'est le moment où s'affirme l'esprit « décadent », fait de pessimisme et d'irrévérence, d'esthétisme et d'iconoclasme, comme dans les Névroses de Rollinat (1883), ou bien les Complaintes (1885) de Jules Laforgue. Il y eut même, à l'initiative d'Anatole Baju, avec le soutien éphémère de Verlaine, le projet en 1887 d'une « école décadente ». Dans ce véritable chaudron que constituèrent les années 1870-1885, deux ouvrages témoignent particulièrement de cette nouvelle sensibilité artistique et contribuent à dessiner plus précisément un mouvement, en identifiant des précurseurs et des maîtres : en 1884, Paul Verlaine publie les Poètes maudits, où il révèle les œuvres quasi inconnues de Mallarmé, de Corbière, de Rimbaud, de Villiers de l'Isle-Adam, les siennes propres, qui témoignent toutes d'un idéal hautain de poésie, et d'une rupture opérée par ces « modernes » avec la tradition néo-romantique et parnassienne. La même année, J.-K. Huysmans, sous couvert d'étudier un cas de névrose, rompt magistralement avec le naturalisme, en faisant dans A Rebours, le portrait d'un esthète fin-de-siècle, et en livrant ainsi le bréviaire d'une esthétique « décadente », à travers un panorama remarquable des goûts de des Esseintes : le lecteur est initié à l'art somptueux et étrange d'un Gustave Moreau, d'un Odilon Redon ; les noms de Baudelaire et de Poe inaugurent l'évocation très détaillée de la nouvelle littérature. Ce n'est pas encore le symbolisme, mais toutes les composantes d'un imaginaire sont là qui vont imprégner durablement la production littéraire et artistique de la fin du siècle : dans le goût de l'artifice et des sensations rares, de la synesthésie, des paradis artificiels, il s'agit de « substituer le rêve de la réalité à la réalité même ».

Les années « héroïques »

Le symbolisme tel qu'il prend forme en France et en Belgique entre 1886 et 1900 ne peut en aucun cas être considéré comme une « école littéraire » tant sont diverses les positions de ceux qui s'en réclament, et les lieux où il se discute. De fait la tentative de Moréas de s'imposer comme chef de file fait long feu puisque dès 1891, dénonçant ce qu'il avait défendu, il tourne partiellement le dos au symbolisme pour créer l'École Romane, retour vers une forme de néo-classicisme. L'époque d'ailleurs est aux manifestes et aux sécessions ; l'on débat dans la presse à coups de mots en –isme (« l'intrumentisme » de René Ghil ; « l'idéalisme » de Remy de Gourmont ; le « Magnificisme » de Saint-Pol-Roux...). Mais le symbolisme, en dépit de cet éclatement constitutif, existe bel et bien comme l'attestent en 1891 deux textes significatifs : un article de F. Brunetière publié dans la très sérieuse et influente Revue des deux mondes, et « l'Enquête » menée par Jules Huret sur « l'évolution littéraire », qui se font l'écho d'un triomphe du symbolisme sur le naturalisme, interprété comme celui du spiritualisme sur le matérialisme. Le mouvement s'impose progressivement à travers des revues éphémères nombreuses, dont certaines prendront de plus en plus d'importance, et qui constituent sans doute, en tant que telles, le chef d'œuvre du symbolisme, témoignage d'une vie littéraire intense, tribunes où l'on défend ardemment des conceptions artistiques nouvelles et moyen de diffusion des œuvres en pré-publication. Ce sont, avant 1890, la Revue Wagnérienne d'Édouard Dujardin, dédiée toute entière à l'œuvre du fondateur de Bayreuth qui fascine la génération symboliste, Le Symboliste, la Vogue et la Revue Indépendante, où l'on publie Rimbaud, Laforgue et Mallarmé.... Autour de 1889, la fondation de revues plus durables, le Mercure de France, l'Ermitage, les Entretiens politiques et littéraire, la Plume, la Revue blanche, va imposer l'esprit du symbolisme, et une nouvelle génération d'écrivains et d'artistes : Remy de Gourmont, Alfred Jarry, Marcel Schwob, Bernard Lazare, Camille Mauclair et bien d'autres. A quoi s'ajoutent les revues belges qui participent pleinement à ce mouvement de renouveau et l'enrichissent : la Jeune Belgique, et surtout la Wallonie dirigée par Albert Mockel, véritable organe d'un symbolisme franco-belge, où s'affirment des poètes comme Maeterlinck, Van Lerberghe, Verhaeren, Rodenbach, Elskamp...

   Le symbolisme fait de la poésie un absolu : moyen d'expression supérieur, langue secrète de l'univers, représentation idéale de la littérature et de l'art menacés dans leur spécificité par les atteintes du monde moderne. Lorsque l'on évalue l'apport littéraire du symbolisme, c'est avant tout le domaine de la poésie qu'il convient d'évoquer, autour de l'héritage de Verlaine et de Mallarmé. Du premier l'on retient la musicalité, la suavité et l'indécis d'une poésie qui rompt avec la discursivité des romantiques et la précision descriptive du Parnasse, se libérant des contraintes formelles du vers pour épouser les états fluctuants de la sensibilité. Autour du second se forge la conception d'une poésie difficile, abstraite, rompant avec « l'universel reportage » et un usage galvaudé du langage, pour accéder à travers la pure musique des mot et par les moyens de la suggestion au sens et à l'essence du monde. L'introuvable « symbole », dont les acceptions diverses et contradictoires font toute la difficulté d'une définition précise du symbolisme, se conçoit chez Mallarmé, comme le moyen, le lieu et la fin de cette idéale réalisation des pouvoirs du verbe. Forts de ce double héritage, les jeunes poètes symbolistes vont aller au-delà des conceptions de ces maîtres en inventant un nouvel instrument, le « vers-libre », dont Gustave Kahn revendique la paternité. Le sens de ces recherches se traduit diversement dans les nombreux recueils de vers publiés au cours de cette période, où sont privilégiées les tonalités mineures et mélancoliques, les univers lointains et vaporeux, les féeries tristes, la musique du mystère : les Cantilènes (1886) de Moréas ; les Palais nomades (1887) de Gustave Kahn ; les Gammes (1887) de Stuart Merrill ; les Serres chaudes (1889) de Maurice Maeterlinck ; Cloches en la nuit (1889) et Thulé des brumes (1891) d'Adolphe Retté ; les Chevaleries sentimentales (1893) d'A.-Ferdinand Herold ; les Poèmes anciens et romanesques (1890) et Tel qu'en Songe (1892) d'Henri de Régnier... D'autres poètes encore participe au mouvement : Francis Viélé-Griffin, Albert Samain, Pierre Louÿs, Saint-Pol Roux, André Fontainas, Ephraïm Mikhaël...

   Le symbolisme poétique, abstrait, solipsiste, finit par être violemment remis en cause au nom d'un retour aux valeurs de la vie et d'exigences de clarté de l'expression. Le « schisme » de Moréas avait préfiguré cette réaction. En 1895, c'est au tour d'Adolphe Retté de s'en prendre très violemment à Mallarmé, orchestrant avec Saint-George de Bouhélier la campagne du « naturisme ». Cette mise en crise des « valeurs symbolistes » est visible aussi chez un Régnier qui regarde à nouveau du côté du Parnasse. Elle affecte également, autour de 1900, la génération des Gide, Pierre Louÿs, Valéry, Francis Jammes, Paul Fort, Paul Claudel même, qui chercheront d'autres voies (c'est le temps des « nourritures terrestres ») pour s'accomplir, mais auront été profondément marqués par ces années d'apprentissage et ces débats.