Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
B

Bobin (Christian)

Poète français (Le Creusot 1951).

Un des auteurs les plus lus de sa génération, il décline dans une œuvre déjà abondante un souci de la vraie vie. Critique à l'égard d'approches intellectualisantes de survol, lisant de près Kierkegaard et Simone Weil, marqué aussi par la religion (le Très-Bas, 1992). Bobin fait de l'événement – l'entrée de la vie véritable dans la vie – le centre rayonnant d'une vision cohérente du monde. Cette conversion, dont la lumière est l'image sensible, suppose l'abandon d'un moi antérieur, le passage d'une superficialité à une profondeur, telle que la solitude féconde le permet. La vie est possible grâce à de véritables anges : les enfants en une intercession gracieuse, ou des jeunes femmes à initiales en a et porteuses d'une tendresse d'attention (la Plus que vive, 1998).

Bobrowski (Johannes)

Écrivain allemand (Tilsit 1917 – Berlin-Est 1965).

Lauréat en 1962 du Groupe 47, il crée une œuvre mélancolique et très personnelle. Ses poèmes (le Temps sarmate, 1961) et ses romans (le Moulin de Lévine, 1964) dépeignent souvent le pays perdu de son enfance, les paysages de la Baltique et de la Vistule. Ses personnages pittoresques servent à évoquer la difficile cohabitation séculaire entre Slaves, Allemands et Juifs, et les événements tragiques du passé. Bobrowski élabore un langage poétique d'une densité souvent proche de l'hermétisme, où la simplicité du vocabulaire s'allie à une syntaxe et une prosodie complexes.

Bocage (Manuel Maria Barbosa du)

Poète portugais (Setúbal 1765 – Lisbonne 1805).

Fils d'un avocat portugais et d'une mère française, il préféra à une carrière dans la marine royale la bohème de Lisbonne et une vie d'aventures de Goa à Macao. Ses satires antimonarchiques et anticatholiques lui valurent la prison. Improvisateur génial, il déborde par son expression tourmentée les cadres du préromantisme où on le classe d'habitude (Rimes, 1791-1804 ; Opera Omnia, publiées de 1969 à 1973).

Boccace, en italien Giovanni Boccaccio

Écrivain italien (Florence ou Certaldo 1313 – Certaldo 1375).

Fils illégitime de Boccaccio di Chellino, qui exerçait l'art mercantile auprès de la puissante compagnie florentine des Bardi, c'est pour le compte de celle-ci qu'il est envoyé s'initier aux affaires à Naples, vers 1328. En 1340, la faillite des Bardi l'oblige à revenir à Florence, où il connaît de sérieuses difficultés financières. La rencontre de Pétrarque en 1350, l'amitié et la collaboration qui s'ensuivirent font coïncider désormais la carrière de Boccace avec l'essor de l'humanisme. Il consacra ses dernières années à transcrire et à commenter les œuvres de Dante (Petit Traité en l'honneur de Dante, 1357-1362), ainsi qu'à revoir le texte de son chef-d'œuvre, le Décaméron (1348-1353). Du séjour napolitain de Boccace datent la Chasse de Diane (1334-1335), où sont célébrées les plus belles dames de Naples, le roman les Travaux d'amour (1336), le poème le Prostré d'amour (vers 1338) et le Téséide pour le mariage d'Émilie (1339-1340), premier poème épique de la littérature italienne de langue vulgaire. Que ce soit en prose (Fiammette, 1343-1344), en vers (Vision Amoureuse, 1342-1343 ; la Comédie des nymphes de Fiesole, 1344-1346) ou dans un savant mélange des deux (Comédies des nymphes florentines, Ameto, 1341-1342), les œuvres suivantes annoncent, au-delà de l'affabulation allégorique, le réalisme historique et stylistique du Décaméron. Ainsi a-t-on pu parler d'Ameto comme d'un « petit Décaméron  ». Au-delà de son érudition mythologique et historique, la structure de cette composition allégorique préfigure en effet l'œuvre majeure par l'alternance de véritables nouvelles et d'intermèdes décoratifs, et les sept nymphes qui y racontent leurs amours au jeune berger Ameto ont une liberté de ton digne des futures amantes du chef-d'œuvre. Fiammette en particulier, en dépit de constantes références à la littérature érotique latine, est un véritable « roman psychologique », le premier de la littérature italienne. L'héroïne y fait part, à la première personne, des inquiétudes et des espoirs que lui cause l'éloignement de son amant, Panfilo, dans un style tissé de réminiscences et d'allusions littéraires, qui fait de l'œuvre un des modèles du « roman humaniste ».

   Le Décaméron : Fuyant la peste qui s'était abattue en 1348 sur Florence, dix jeunes gens (sept femmes et trois hommes) appartenant à la société la plus aisée de la ville se retirent à la campagne, où ils se récréent dix jours durant (sur les quatorze que durent leurs vacances, le vendredi et le samedi étant consacrés aux oraisons et à l'hygiène) au récit de dix fois dix nouvelles, dont le thème est imposé successivement par le « roi » ou la « reine » de la journée. Telle est la structure des Dix Journées ou Décaméron, où le cadre extérieur de la narration (la célèbre description de la peste, qui ouvre le livre, celle des divertissements – chants et danses – de la compagnie, la psychologie des différents narrateurs et narratrices) est en harmonieux équilibre avec la tonalité des nouvelles qui s'enchaînent les unes aux autres selon les principes les plus raffinés de la rhétorique du temps. L'amour est le motif central de ces récits : amour conjugal ou adultère, sensualité et fidélité, idylle ou tragédie (les amants de Boccace sont capables de mourir d'amour), jusqu'à la représentation emblématique de l'amour comme forme pure de la libéralité et de la magnanimité (Xe journée). Le goût de l'aventure et le triomphe de l'esprit (au double sens de raison et d'ironie, voire d'habileté à duper) sur l'obscurantisme et la niaiserie sont les autres thèmes de prédilection de Boccace et, à travers lui, de la nouvelle bourgeoisie intellectuelle et commerçante. Le monde chevaleresque et courtois est également évoqué dans le Décaméron : non point sur le mode de la nostalgie, mais dans sa dimension poétique de fable.

   À l'exception du Corbaccio (1354-1355 ou 1365-1366), violente et énigmatique satire misogyne, et des églogues des Poèmes bucoliques (1351-1366), toutes les œuvres, latines ou vulgaires, postérieures au Décaméron sont de caractère doctrinal ou érudit : Des faits extraordinaires des hommes illustres (1355-1375), Des femmes illustres (1360-1375), Généalogie des dieux païens (1350-1375), des Livres sur les mots, les forêts, les sources, les lacs, les fleuves, les étangs ou marais et sur les noms de mer (1355-1374). Le Petit Traité en l'honneur de Dante jette les bases de la critique humaniste moderne. On peut enfin trouver un précieux témoignage sur l'évolution littéraire et morale de Boccace dans ses épîtres (Lettres, au nombre de vingt-quatre) et dans ses Poésies, qui jalonnent les principales étapes de sa carrière.