Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
S

Sgorlon (Carlo)

Écrivain italien (Cassacco, Udine, 1930).

Ses romans, fondés sur des mythes anciens (le Trône de bois, 1973) ou sur des faits historiques (le Carrosse de cuivre, 1979 ; l'Armée des fleuves perdus, 1985 ; la Cabane de Sir, 1997) reflètent l'attachement profond de leur auteur à sa région natale, le Frioul.

Shabtai (Yaakov)

Écrivain israélien (Tel-Aviv 1934 – id. 1981).

Dans ses romans, ses nouvelles (l'Oncle Peretz s'envole, 1972), son théâtre (le Tigre bigarré, 1974), Tel-Aviv, sa ville natale, sert de cadre à des personnages qui attendent d'être délivrés d'une vie ennuyeuse et sans issue. Son dernier roman, État des lieux (1977), décrit, dans un flot associatif qui gomme la ponctuation et abolit la répartition en paragraphes et chapitres, le déclin d'« Israël laborieuse », la classe qui jusqu'alors présidait aux destinées du pays. Depuis le Voyage merveilleux du crapaud (1965), il publia régulièrement des livres pour la jeunesse.

Shaffer (Peter)

Auteur dramatique anglais (Liverpool 1926).

D'abord adepte du théâtre de la cruauté prôné par Artaud, Peter Shaffer prend l'Histoire comme prétexte pour des pièces d'un postmodernisme assagi pour mieux correspondre au goût du public ; les conflits moraux se réduisent à la confrontation d'individus qui incarnent des valeurs antithétiques, l'homme de l'ombre l'emportant à chaque fois sur la créature solaire ou divine. Shaffer se fait remarquer en 1964 avec The Royal Hunt of the Sun, évocation de la conquête du Pérou par les Espagnols. Equus (1973) détaille le cas psychiatrique d'un jeune homme que sa névrose pousse à crever les yeux des chevaux. Amadeus (1979) est une réflexion sur le génie, illustrée par la jalousie de Salieri pour Mozart (Milos Forman en a tiré le film du même titre).

Shaham (Nathan)

Écrivain israélien (Tel-Aviv 1925).

Membre du kibboutz Beit-Alfa depuis 1945, il publie des romans (Première Personne du pluriel, 1972 ; Aller-retour, 1972 ; Témoin de la Couronne, 1975 ; Os contre os, 1981; le Quatuor Rosendorf, 1987 ; Livre scellé, 1988 ; le Cœur de Tel-Aviv, 1996 ; l'Ombre de Rosendorf, 2001), des nouvelles (le Blé et le Plomb, 1948 ; Les dieux sont paresseux, 1949 ; la Maison des anciens, 1958), des pièces de théâtre, des essais et des livres pour enfants qui s'inspirent soit de la réalité israélienne, soit de la vie des communautés juives de la Diaspora.

Shahar (David)

Écrivain israélien (Jérusalem 1926 – Paris 1997).

Né dans une famille établie en Israël depuis quatre générations, il a passé toute sa jeunesse dans ce pays, a connu la lutte pour l'indépendance et pris part à toutes les guerres, de celle de 1948 à celle de Kippour en 1973. Il ne devait quitter Israël pour la première fois qu'à l'âge de 36 ans, pour un séjour de deux ans à Paris. Si sa formation d'écrivain s'est donc faite en dehors de toute influence européenne directe, son œuvre, enracinée dans la culture juive, dépasse les limites de la stricte tradition et s'inscrit dans un large humanisme juif. C'est ainsi que le cycle romanesque (Un été rue des Prophètes, 1978 ; Un voyage à Ur de Chaldée, 1980 ; le Jour de la comtesse, 1981 ; Nin-Gal, 1983 ; l'Agent de sa Majesté, 1983, etc.) porte le titre général « le Palais des vases brisés » allusion à la kabbale. Pour Shahar comme pour Isaac Louria, le fondateur de la kabbale, le monde sensible est un monde brisé, éclaté, faussé où rien n'est à sa place, où tout est gauchi, y compris les plus grandes idées – politiques ou religieuses – qui deviennent autant de causes d'affrontement. Mais cette philosophie, ce sens partout présent du mystère, d'une autre réalité perçue derrière la réalité sensible, ne s'exprime jamais en abstractions. Shahar est avant tout un conteur, et le monde qu'il crée est un monde concret, vivant, mouvant. La source de son inspiration se situe dans la Jérusalem de son enfance, celle des années 1930, dont ses personnages – juifs, chrétiens, musulmans – évoquent l'histoire intime, l'atmosphère morale, faite de contradictions et de tensions, certes, mais aussi d'un certain art de vivre, mélange de nonchalance, de tolérance et d'humour. De cette observation aiguë des êtres et des choses, des réalités concrètes et quotidiennes, il se dégage, avec une intense nostalgie pour ce monde prêt à basculer dans le chaos, au-delà des limites de temps et de lieu, une signification universelle et une vérité humaine très profonde. Les critiques ont évoqué à son propos les plus grands romanciers (Proust, Dostoïevski), et ses personnages (Madame Gentila Louria, le petit Sroulik ou le sergent Reinhold) ont leur place dans la galerie des grands portraits littéraires.

Shakespeare (William)

  • William Shakespeare, Henri V
  • Patrice Chéreau, Hamlet
  • William Shakespeare, le Roi Lear
  • Johann Heinrich Füssli, Lady Macbeth
  • Peter Brook, la Tempête

Poète dramatique anglais (Stratford on Avon 1564 – id. 1616).

Si la nature finit toujours par ressembler à l'art, on attend souvent d'une vie qu'elle soit l'image anticipée d'une œuvre, surtout quand cette œuvre a l'ampleur et la diversité de la vie. On comprend alors que nombre des contemporains de Shakespeare – et une notable partie de leur postérité –, déçus par la platitude de sa biographie face au foisonnement de son théâtre, aient été tentés de lui dénier l'existence pour n'en faire que le prête-nom de personnages illustres et cultivés, comme Christopher Marlowe, Francis Bacon ou le comte d'Oxford. Il est vrai que l'on possède peu de renseignements précis sur sa vie et qu'il est difficile de les démêler d'avec les enjolivures de la légende. On peut dire cependant qu'il était fils d'un notable prospère qui se ruina assez vite, et qu'il épousa à 18 ans une femme, Anne Hathaway, de 8 ans son aînée. S'il n'est pas certain qu'il approcha d'abord le théâtre en tenant par la bride les chevaux des spectateurs, il est, pour les premiers documents d'archives (1594), acteur et actionnaire de la troupe du Lord Chambellan : la scène est d'abord pour lui une bonne affaire (en 1596, il a refait la fortune familiale et obtenu l'anoblissement de son père), et, en 1598, il s'installe dans le nouveau théâtre du Globe. On peut chercher ailleurs le secret de sa vie, dans ses poèmes (Vénus et Adonis, 1593 ; le Viol de Lucrèce, 1594) ou dans ses 154 sonnets, publiés en 1609 : on y lit, plus ou moins clairement, le trouble, la frustration, l'homosexualité, le masochisme. Et il meurt, dit-on, des suites d'un banquet avec Ben Jonson.

Réalisme populaire et vision poétique

La vraie vie de Shakespeare fut le théâtre, et le théâtre occupe dans la vie élisabéthaine une place unique, avec la musique que nous entendons encore dans les admirables chansons des pièces. Il fallait pourtant au public populaire, debout au parterre pour quelques pence, autre chose que cette délicate magie : une action très physique à laquelle participer, de bons coups d'épée, l'illusion du sang et de la mort. Que cette populace brutale, habituée des combats d'ours et de taureaux avec des chiens, ait relayé la reine et la cour comme auditoire, c'est une des merveilles du temps et du lieu. Mais cela fait aussi comprendre que les pièces n'aient pas une forme châtiée ou sévère. Si l'on ajoute que, dans la maigre compagnie d'acteurs, il y avait par obligation des comiques, le bouffon et le fou, parmi les plus payés, parce que les plus appréciés, et qu'il n'était pas question de ne pas les employer, on voit pourquoi il n'est pas de pièce qui ne leur accorde quelque interlude. C'est l'une des gloires de Shakespeare d'avoir cependant incorporé le comique et le grotesque à la vie même, de faire de cette association, qui aurait pu être, au service du goût de l'époque, simple routine, quelque chose d'aussi profondément significatif que la grimace des chapiteaux des cathédrales.

   Plaisir de la foule turbulente, plaisir des gens de la cour et d'une partie de la bourgeoisie, le théâtre est, depuis qu'il existe, l'objet de la méfiance des bigots, des puritains, qui ont avec eux l'autorité. Comme les spectacles brutaux, il est (par un arrêté du lord-maire en 1570) relégué dans les faubourgs avec les mauvais lieux. On s'était accommodé d'« auberges-théâtres » : une cour non couverte et des galeries tout autour. Les premiers vrais théâtres, comme le Cygne, suivent paresseusement ce modèle. La scène est la « scène-tablier », entourée de trois côtés par les spectateurs, parmi lesquels elle s'avance. Toute mise en scène qui considérerait la disposition des acteurs et ses modifications comme tableau et suite de tableaux est de ce fait impossible. C'est le mouvement qui compte, celui qui sans cesse déplace les lignes et défait les contours. La scène est plus profonde que large, et, au fond, elle est doublée d'une arrière-scène fermée d'un rideau, qui pourra devenir la chambre à coucher de Desdémone. L'arrière-scène est couverte, et son toit peut devenir le lieu de l'action : les remparts d'Elseneur ou le balcon de Juliette. Cette Juliette, par ailleurs, est un garçon. Il ne paraît pas une femme sur la scène anglaise jusqu'à la réouverture des théâtres après la Restauration de 1660. Les rôles de femmes sont tenus par des boy actors vêtus paradoxalement de robes somptueuses, quand ils ne sont pas, comme cela est fréquent dans les comédies shakespeariennes, « déguisés » en garçons avec d'étranges superpositions d'équivoques. La troupe de Shakespeare a deux boy actors, l'un petit et l'autre grand, souvent couplés, d'où l'adaptation des rôles, car Shakespeare avait ses acteurs présents à la pensée : Hermia et Helena dans le Songe d'une nuit d'été, Rosalinde et Celia dans Comme il vous plaira sont toujours la petite et la grande.

   Le jeu est vigoureux, emphatique, bien plus rhétorique que réaliste. Il faut souligner l'aspect rituel, qui est sans doute ce qui le sépare le plus de nous. On remarque de pièce en pièce, et par exemple à la fin d'Hamlet, les sonneries de trompettes. Les morts, qui surabondent, sont traitées le plus souvent avec cérémonie et solennité. Nous ne sommes pas encore très loin du théâtre antique. Sénèque est d'ailleurs une influence déterminante, mais, lorsqu'on considère les traductions qui se succèdent à partir de 1560, on est frappé de la saveur anglaise qu'elles ont acquise aussitôt, de la façon dont le quotidien est venu s'insérer dans la rhétorique, bref de ce que Sénèque est devenu pour l'imagination des jeunes écrivains qui ont le sens dramatique et l'énergie naturelle de leur peuple. Le Plutarque d'Amyot retraduit par Thomas North a la même saveur, et Shakespeare saura s'en servir. Le refus de la distance historique amène l'Antiquité au milieu de nous et fait parcourir les rues de Rome aux corporations londoniennes avec leurs tabliers de cuir et leurs insignes de métier. Les âmes sont comme le vêtement : tout est contemporain de l'auteur ; son imagination ne connaît que le vif.

   En quelque vingt-trois ans d'activité fiévreuse, Shakespeare a produit trente-sept pièces de théâtre. Au XIXe siècle, on les répartissait commodément en trois périodes. La première période, légère et heureuse, est marquée principalement par des comédies : Henry VI (vers 1590-1592), Titus Andronicus (vers 1592), Richard III (vers 1592), la Comédie des erreurs (vers 1592), la Mégère apprivoisée (vers 1593), Peines d'amour perdues (vers 1594), les Deux Gentilshommes de Vérone (vers 1594), Roméo et Juliette (vers 1595), Richard II (1595), le Songe d'une nuit d'été (vers 1595), le Roi Jean (1596), le Marchand de Venise (vers 1596), Henry IV (vers 1597), Beaucoup de bruit pour rien (1598), Henry V (vers 1599), les Joyeuses Commères de Windsor (vers 1599), Comme il vous plaira (vers 1599), la Nuit des rois (vers 1599). La deuxième, celle des tragédies, noire, correspondrait à un profond désarroi personnel : Jules César (vers 1600), Hamlet (1601), Troïlus et Cressida (vers 1601), Tout est bien qui finit bien (1602), Othello (vers 1603), Mesure pour mesure (vers 1604), le Roi Lear (vers 1605), Macbeth (vers 1606), Antoine et Cléopâtre (1606), Timon d'Athènes (vers 1607), Coriolan (1607). La troisième est celle des pièces romanesques, réaffirmant, au terme des conflits et des désastres, l'ordre et la lumière : Périclès (1608), Cymbeline (1609), Conte d'hiver (1609), la Tempête (1611), Henry VIII (1612). Ce schéma doit être nuancé dans toutes ses parties : il y a partout ombre et lumière. Ce qui est le plus certain, c'est l'évolution de l'écriture, depuis la rhétorique outrée et fleurie du début jusqu'au dépouillement de la fin. C'est aussi la conception théâtrale, les œuvres de la fin présentant un même éloignement de la réalité.

   On est cependant frappé par la richesse des thèmes découverts et tenus en réserve dès les débuts du jeune dramaturge, et aussi par la persistance de sa vision et par ses récurrences, telles qu'on peut regrouper des pièces, séparées par un plus ou moins large intervalle de temps, en un même faisceau de significations. Ainsi dans Titus Andronicus, première tragédie de Shakespeare, Titus, treize ans avant, est déjà une ébauche de Lear, un vieil homme vaniteux, impérieux, inflexible, qui croit rester maître des volontés qu'il libère en dédaignant d'appuyer la sienne sur le pouvoir. Il tue sans broncher son fils qui ose s'opposer à son caprice, comme il a sacrifié sans pitié aux mânes de ses fils morts le fils de Tamora, la reine captive. Saturninus, à qui il abandonne l'empire, épouse la captive, qui devient toute-puissante pour la vengeance. Comme Goneril ou Régane, filles de Lear, celle-ci incarne autant la luxure que la cruauté : elle est secondée dans l'atroce par son amant, Aaron le More. Il y aurait lieu de considérer la dramaturgie de Shakespeare comme un système limité de combinaisons alternatives. Le More joint à la Blanche appelle en lui des images lascives qui soit se déposent sur le noir comme ici, soit se disposent en face de lui (Othello). La démesure de Titus, la haine et le stupre chez Tamora se rejoignent pour déchaîner une orgie de meurtres et de mutilations. Il n'y a plus qu'à demander à Sénèque et à Ovide de quoi l'illustrer. Lavinia, les deux mains et la langue coupées, suit Philomèle ; les fils servis en pâté à la mère renouvellent le festin offert à Thyeste. Et dans tout cela, si la rhétorique est reine, une vision poétique sourde et profonde se fait jour, comme dans Richard III, où l'on respire déjà le plein génie du poète avec sa noire psychanalyse de la difformité poursuivant ses compensations par la puissance et par le meurtre.