Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Sollers (Philippe Joyaux, dit Philippe)

Romancier français (Talence 1936).

La trajectoire de cet esprit effervescent, catalyseur de la modernité, est un vaste jeu avec les mots et avec les modes dont il ne cesse de raffiner les règles, multipliant les images de lui-même et revendiquant le droit de se contredire Portrait du joueur (1984).

   Mauriac et Aragon louent l'élégance formelle du Défi (nouvelle, 1957) et de son premier roman, Une curieuse solitude (1958), qui exploite les recettes éprouvées du roman d'analyse. Mais ces débuts coïncident avec l'entrée de la littérature dans l'ère du soupçon et Sollers se place très vite au cœur de l'avant-garde, en fondant la revue Tel Quel (1960), lieu d'émergence des nouveaux romanciers, de la recherche de modèles dans les sciences humaines en pleine expansion, de la découverte de Bakhtine et des formalistes russes. Le Parc (prix Médicis 1961) participe à l'entreprise de déconstruction du roman que Sollers théorise dans Logiques (1968) et l'Écriture et l'expérience des limites (1971). Drame (1965) et Nombres (1968) le consacrent par leur formalisme (un échiquer de 64 séquences, un carré magique chinois de 100 fragments numérotés). La littérature fait place au texte, l'écriture n'exprime pas le sujet mais le traverse, met en question son unité dans et par le langage, révèle ce qui dans le je vient du il, du on et du nous. Ces romans suscitent des analyses de Barthes, de Derrida et de Julia Kristeva.

   En 1967, Tel Quel s'engage sur la voie du maoïsme. L'activité signifiante de l'écrivain, producteur du texte (scène où se jouent les conflits entre l'individu et la masse, l'Occident et l'Orient), participe à la transformation politique (Lois, 1972). H (1973) inaugure une nouvelle problématique de la « voix », mélange du flux de la pulsion (cris, chuchotements, invectives) et de l'extériorité intériorisée des discours sociaux. En 1974, Sollers prend ses distances envers le maoïsme et s'engage dans l'écriture de Paradis (1981), vaste « polylogue extérieur » qui brasse autobiographie, intertexte, actualité, mythe et histoire. Le flux continu de l'écriture fait exploser la syntaxe et abandonne la logique de la ponctuation pour celle de la musique, obtenue par un travail sur les rimes et les rythmes.

   En 1983, Sollers fonde la revue l'Infini chez Gallimard et y publie Femmes, que Le Seuil a refusé, entraînant la fin de Tel Quel. Ce roman baroque défraie la chronique en proposant de nombreux portraits à clés du monde des lettres et est perçu comme une trahison de l'avant-garde par le retour à la lisibilité. Mais la rupture n'est peut-être qu'apparente : avec ou sans ponctuation, Sollers poursuit une même entreprise littéraire d'autofiction éclatée et totalisante. Le Cœur absolu (1987), la Fête à Venise (1991), le Secret (1992), Studio (1997) ou Passion fixe (2000) mixent aventures érotiques et romanesques et citations littéraires ; des doubles du romancier dénoncent avec humour la pseudo-démocratie du spectacle et de la marchandise, contre laquelle l'art, qu'explorent des monographies sur Fragonard, Picasso, Casanova ou Mozart (autres doubles, autres joueurs), demeure la seule arme.

Sollogoub (Vladimir Aleksandrovitch, comte)

Écrivain russe (Saint-Pétersbourg 1813 – Hambourg 1882).

L'Histoire de deux galoches (1839), récit d'une vie ruinée par la prose de l'existence quotidienne, le fait connaître au public. Il se spécialise dans le roman mondain, prenant pour personnages de prédilection les jeunes « lions » (Grand Monde, 1840). Mais c'est à son roman Tarantass (1845) qu'il doit sa renommée : ce récit burlesque d'un voyage de Moscou à Kazan dans une voiture disloquée, étude des mœurs provinciales, a été reçu comme une satire du slavophilisme.

Solmi (Sergio)

Écrivain et critique italien (Rieti 1899 – Milan 1981).

Disciple de Croce, il consacre aux littératures française et italienne des pages lucides et suggestives. Poète lyrique (Fin de saison, 1933 ; Poésies, 1950 ; Du balcon, 1968), il médite sur les destins individuels et collectifs et sur les contradictions de l'existence.

Sologoub (Fiodor Kouzmitch Teternikov, dit Fiodor)

Écrivain russe (Saint-Pétersbourg 1863 – Leningrad 1927).

Fils d'une blanchisseuse, il apprit à aimer la musique et la littérature dans la famille qui employait sa mère, puis il enseigna les mathématiques. Ses poèmes (recueils de 1896 et 1904 ; le Cercle enflammé, 1908) traduisent son pessimisme, issu d'une vision d'un monde sans Dieu, où percent des motifs sataniques, souvent érotiques, que l'on retrouve jusque dans les derniers recueils, même si l'écrivain y accorde plus de place à la beauté, à l'amour idéalisé. Son écriture poétique, ciselée à l'extrême, peut paraître d'une froide élégance. Plus proche des parnassiens (Baudelaire, Verlaine), avec lesquels il partage une utilisation du symbole comme transposition concrète d'une abstraction, que des décadents-symbolistes, il se rattache en partie au réalisme par son œuvre romanesque. Rêves lourds (1896), son premier roman, d'inspiration autobiographique, montre les efforts d'un professeur pour préserver son idéal de la fausseté et de la vulgarité environnantes. Le rêve se transforme en cauchemar dans le Démon mesquin (1905) : la dimension symbolique résulte de la présence du diablotin Nedotykomka et de la folie du héros, dont le processus forme, avec le tableau de la vulgarité et de la psychopathie du milieu, le contenu du roman, Peredonov finissant par assassiner son meilleur ami. Réalité et fantaisie ainsi mêlées apparaissent dans les autres romans (comme la Légende en création, 1914, sur la révolution de 1905). Sologoub est aussi l'auteur de drames symbolistes dont le plus connu est la Victoire de la mort (1907), qui a été mis en scène par Meyerhold. Le titre révèle une des singularités de l'œuvre de Sologoub, son obsession pour la mort. Dans les recueils de nouvelles, dont le premier porte un titre emblématique (le Dard de la mort, 1903), celle-ci est omniprésente, qu'elle soit désirée comme une libération (Consolation, 1899) ou redoutée comme un phénomène monstrueux (Dans la foule, 1907).