Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Fauchet (Claude)

Historien et philologue français (Paris 1530 – id. 1602).

Avocat et conseiller au Châtelet de Paris, puis président à la Cour des Monnaies, il fut l'ami de J. A. de Baïf, de J. Bodin, de É. Pasquier, de J. C. Scaliger. Ses deux œuvres principales répondent au désir de donner aux origines politiques et littéraires de la France l'histoire qui leur faisait défaut : ce sont le Recueil des antiquités gauloises et françaises (1579-1599) et le Recueil de l'origine de la langue et poésie françaises (1581), qui cite d'après les manuscrits divers fragments de quelque 127 trouvères.

Faulkner (William Harrison Falkner, dit William)

Écrivain américain (New Albany 1897 – Oxford, Mississippi, 1962).

Faulkner, par son histoire familiale, marque la fin d'une lignée : un arrière-grand-père colonel, banquier, homme de loi, entrepreneur de chemin de fer, journaliste, romancier – auteur de la Rose blanche de Memphis –, deux fois accusé de meurtre et finalement assassiné sur la grand-place d'Oxford ; un père qui vend le chemin de fer familial et tient une modeste quincaillerie. William Falkner, qui signera Faulkner, passe sa vie à Oxford, après avoir séjourné en Europe et publié un volume de vers symbolistes, le Faune de marbre (1924). Ses deux premiers romans, Monnaie de singe (1926) et Moustiques (1927), traitent de la désillusion née de la Première Guerre mondiale en une manière qui n'annonce pas l'œuvre à venir. Sartoris (1927) marque le début de la chronique du Yoknapatawpha. Le Bruit et la Fureur (1928) est construit sur les points de vue des différents frères Compson, dont un « idiot », Benjy, qui justifie la référence shakespearienne du titre (« la vie est une histoire, pleine de bruit et de fureur, dite par un idiot, et qui ne signifie rien », Macbeth). Tandis que j'agonise (1930) place la figure de la mère « totémique » au centre d'une épopée rurale. Sanctuaire (1931), à la manière du roman noir, raconte l'histoire de l'avilissement, que Requiem pour une nonne (1951) placera sous le signe de la rédemption. Lumière d'août (1932) dit, à travers le récit du lynchage d'un Noir, la possibilité de la renaissance, Pylône (1935) dresse un réquisitoire contre le monde moderne et appelle les déguisements du sexe et de la mort. Absalon ! Absalon ! (1936), histoire d'un homme qui veut se survivre par son lignage, dessine la légende des Sutpen face aux Sartoris. L'Invaincu (1938) est un recueil de nouvelles qui présente une structure romanesque et s'attache, par l'évocation de la jeunesse de Bayard Sartoris, au Sud de la guerre de Sécession et à sa ruine. Le Hameau (1940), la Ville (1957), le Domaine (1959) constituent la trilogie des Snopes. Descends, Moïse (1942), qui comprend la nouvelle « l'Ours », l'Intrus (1948) ajoutent aux jeux usuels de la généalogie et de la négritude des références bibliques et le thème de l'étranger. Les Larrons (1962) allient deux images centrales dans l'œuvre, la voiture et le bordel. Deux recueils de nouvelles (Treize Histoires, 1931 ; le Docteur Martino et autres histoires, 1934), un conte symbolique (Parabole, 1954) complètent l'ensemble.

La construction d'un mythe

Faulkner donne, en vingt et un livres, l'histoire du comté imaginaire du Yoknapatawpha, résumé du monde et de l'Amérique, croisement des symboles nationaux et des signes naturels, point où la temporalité devient circulaire. Alors que ce comté se défait, il est aussi lieu de coalescence. L'histoire, qui se délite, est encore porteuse de paradigmes (les clans) et de médiateurs (les Noirs). L'innombrable (15 611 personnages ; 6 298 Blancs et 9 313 Noirs) est ainsi nommable ; toute individualité est à la fois singularité et témoin d'un réseau généalogique et actantiel. Le mythe du Sud est dans ce pouvoir de concentrer les signes humains pour construire une vaste fable quasibiblique, discours sur l'histoire et typologie des passions et des maux, placée sous le signe de la mort inéluctable. Le rapport au local est double : ce à quoi il faut inévitablement revenir ; ce qui ouvre à l'universalité des signes humains. L'œuvre se construit sur cet équilibre et cette implication du local et du global, qui fondent le mystère du Sud et en font une matière proprement esthétique. L'œuvre n'est pas, comme l'a suggéré Michel Butor, une entreprise de restauration, la généalogie récessive n'est pas seulement une manière de s'entêter à regarder le passé, elle est aussi le dessin d'une détermination qui fait du passé un temps sans figure et du lieu un espace de délocalisation : le héros faulknérien porte ainsi en lui un déracinement et une généalogie. S'attacher à narrer la ruine des clans sudistes est plus qu'un constat historique ou que l'aveu de regrets idéologiques : c'est le meilleur moyen de dire tous les hommes et quelques hommes. Aussi le roman, même s'il use de techniques (monologue intérieur) qui conduiront à la décomposition du genre, est-il la forme capable d'enclore la déformation temporelle de l'humain sans que la figure humaine s'efface. Parce que toute généalogie est recueil des écarts humains, la succession des personnages exclut les caractérisations monovalentes et fait des vies individuelles les signes d'un inconscient qui échappe à la causalité linéaire. Le nom propre dit alors une opacité constante et marque la possibilité ineffaçable de l'identification.

   La régularité de la création, son ampleur (consacrée par le prix Nobel en 1949) participent de deux intentions : établir un relevé du réel, tel qu'il se donne dans le comté de Yoknapatawpha, enregistrer les mœurs, le patois, les industries, en procédant par descriptions analogiques, montrer enfin que le réel n'explique pas la réalité. Tout détail implique un espace qui passe les limites de l'observation, où dans le figement du temps se joue la fable de la Chute et de la Rédemption, chez des vivants comme pétrifiés dans leur histoire et dans leur mal, prisonniers des malédictions du Sud, l'esclavage, la défaite, les conséquences économiques. Les clans, qui nomment les lignages du comté, les Sartoris, les Compson, les McCaslin, disent encore un devenir possible dans cette chronique de l'épuisement ; ils apportent les indispensables contrastes qui font lire la genèse du présent en termes de morale et d'ambition, de défaite et de mémoire. Le clan est une variation du nom propre. Dans la vaste onomastique des lieux et des personnages joue l'imaginaire de la fatalité et de la dépossession. Si, par le nom propre, tout a été écrit, cela reste encore à vivre. Il pèse sur le monde de Faulkner une nécessité qui sans être tragique fait des personnages des possédés. Leur définition nominale, peut devenir symbolique – ainsi de Christmas et de Lena, dans Lumière d'août : elle est typologie sociale et caractérologique. Le nom dit le personnage et les divisions, les évolutions sociales – les Sartoris, courageux et orgueilleux ; les Snopes, mercantiles et sans scrupules. La recherche du père dit, de manière inversée, les défauts de la généalogie et les tares. Dans le face-à-face des Blancs et des Noirs se lit une parenté commune, antécédente, preuve de malédiction, certitude de la continuation de la faute (meurtres, incestes, viols). S'il y a dans le monde de Faulkner une « ombre noire » qui accompagne chacun, chaque Blanc est encore à lui-même sa propre ombre, et l'histoire du Sud est l'histoire de ce dédoublement constant du « même ».

   Agrandi à l'histoire des États-Unis et des hommes, le Sud reste un monde sans altérité. Le monde vu par l'idiot Benjy est un monde objectal qui traduit l'équilibre autarcique, homéostatique de l'imaginaire du Sud : les êtres déchus de Faulkner existent par eux-mêmes, grâce à leur aptitude à se reconnaître seuls. Le Mal n'est pas tant alors l'opposé du Bien que ce qui fonde toute apparence et la laisse livrée à elle-même. Il est sans consistance, comme le péché, du viol au meurtre, n'est qu'événement. L'objectivisme de Faulkner, qui commande l'usage du monologue intérieur a partie liée avec cette présence brute des êtres et des choses. Le Sud fonde lui-même sa propre nature ; le comté du Yoknapatawpha un microcosme. Il n'est pas reflet du macrocosme, puisqu'il offre un spectacle en lui-même complet, qui, bouclant la généalogie, fait de l'écrivain le maître et le dernier héritier de ce monde. Si avoir été est la définition constante du personnage faulknérien, tout personnage est déjà écrit et la narration s'offre comme la reprise emphatique de cet écrit disponible. La référence religieuse est parfaitement adéquate à ce constant mouvement à rebours et s'érige en théologie romanesque : la faute et le rappel édénique, les variations sur l'avoir été, prêtent à toute chose une valeur relative.