Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Céline (Louis Ferdinand Destouches, dit Louis-Ferdinand) (suite)

Les pamphlets, la guerre

Les romans suivants, en accusant cette évolution vers l'éclatement, notamment par l'onomatopée, atteindront à une liberté de ton et de forme inédite en français. Comme beaucoup, Céline fait alors son « voyage à Moscou » : il en revient accablé et ajoute le stakhanovisme aux aliénations du fordisme (Mea culpa, 1936), inaugurant ainsi une série d'écrits politiques : Bagatelles pour un massacre (1937), l'École des cadavres (1938), les Beaux Draps (1941). Céline, qui n'avait jamais exprimé un tel ressentiment, devient violemment antisémite. Un ensemble de raisons personnelles ont pu être évoquées. Le contraste est saisissant entre l'élaboration d'une langue créative et l'indigence d'un discours raciste qui se fondera jusqu'à la fin sur une base scientifique irrecevable. L'appréciation esthétique de ces pamphlets est combattue par ceux qui ne peuvent dissocier celle-ci d'une dimension éthique. Pour certains, les pamphlets seraient le premier état d'un genre nouveau, « chronique » ou discours dominant de l'auteur, que les « romans » ultérieurs ne pourront plus enrayer.

   En mars 1944, Guignol's Band, récit de ses périples londoniens pendant la Première Guerre, se heurte à une indifférence presque générale due pour beaucoup aux circonstances, et nombreux sont ceux qui y voient un rétablissement littéraire de pure tactique. Le 17 juin 1944, Céline quitte Paris avec Lucie, sa femme, pour gagner le Danemark, en passant par la débâcle de l'Allemagne nazie et les débris dérisoires de la collaboration à Sigmaringen ; il n'arrivera à Copenhague que le 27 mars 1945 et, le 19 avril, la cour de justice de Paris lance un mandat d'arrêt contre lui sous l'inculpation de trahison. Arrêté par la police danoise le 17 décembre, il restera détenu quatorze mois, dont près de la moitié à l'hôpital, avec la crainte constante de l'extradition. Le 24 juin 1947, il est libéré sur parole et assigné à résidence. En novembre 1948 paraît le premier chapitre de Casse-pipe dans les Cahiers de la Pléiade (repris en volume l'année suivante) ; en un court récit, Céline retrace l'arrivée au quartier d'un « bleu » brutalement confronté au milieu militaire par une nuit de garde : le langage amplifie odeurs, bruits, atmosphère notés dans le Carnet du cuirassier Destouches, pendant sa période militaire (« Du bétail absolument nous étions »).

   Fin 1948, Albert Paraz publie le Gala des vaches qui contient de nombreuses lettres de Céline et s'achève par À l'agité du bocal, violente diatribe contre Sartre qui l'a accusé d'avoir été payé par les Allemands. Le 15 décembre 1949, le procès de Céline s'ouvre devant la cour de justice qui, le 21 février 1950, le condamne à une année d'emprisonnement et à cinquante mille francs d'amende et le déclare en état d'indignité nationale. Le 20 avril 1951, le tribunal militaire de Paris fait bénéficier Louis Destouches d'une amnistie applicable aux anciens combattants blessés de guerre.

Retour d'exil

Le 1er juillet, Céline et Lucie débarquent à Nice. À l'automne, Céline achète à Meudon la maison dans laquelle il vivra jusqu'à sa mort. Inscrit à l'Ordre des médecins, il exerce peu, mais écrit beaucoup, ironisant sur le sort du monde et sur lui-même, sans pitié pour ceux qui l'attaquent, sans illusion sur ceux qui prétendent le défendre. Les Éditions Gallimard rééditent ses principaux romans et publient en 1952 Féerie pour une autre fois, chronique baroque de Montmartre écrite en exil. Le roman passe presque inaperçu. En 1954, la seconde partie, Normance, n'aura pas plus de succès. En 1955 paraissent les Entretiens avec le professeur Y, présentés comme une longue interview consentie à la demande de Gaston Gallimard et dans laquelle Céline se répond à lui-même : réflexion sur son art et sur son langage, ce texte est aussi une réaction contre tous ceux qui l'ont boudé, ne voyant plus en lui que l'épuré de retour d'exil.

   En juin 1957, c'est la publication de D'un château l'autre, premier volet de la trilogie qui racontera son départ pour l'exil en commençant par son passage à Sigmaringen. En juin 1959, Ballets sans musique, sans personne, sans rien reprend les arguments et scénarios publiés au fil des ans séparément ou à l'intérieur d'autres textes : reflets d'une autre mythologie célinienne (sa fascination pour la danse), ils offrent une image moins convenue et d'autant plus intime de l'auteur. Nord, second récit de ses tribulations allemandes, paraît en mai 1960 ; le livre est bien reçu et Céline en écrit la suite jusqu'à sa mort, le 1er juillet 1961, d'une congestion cérébrale. Par la suite seront publiés, en 1964, Guignol's Band, II : le Pont de Londres, que Céline avait abandonné pour écrire Féerie et qui est la fin de l'épisode londonien, et, en 1969, Rigodon, le dernier volet de son périple de l'après-guerre.

   Après la première série de ses romans, les récits d'après l'exil seront une exploitation de la Seconde Guerre mondiale. La rapidité de succession des phrases, la pratique de l'interpellation constante aboutissent à un mode de narration qui devient acte créateur. D'autre part, Céline est allé progressivement vers une simplification de la langue qui privilégie l'ordonnance, le rythme, la respiration, l'accent interne : une « petite musique ». La démesure crée l'éblouissement que partage, ou que refuse, tout lecteur sans jamais pouvoir y demeurer indifférent. Contempteur d'un discours académique auquel il oppose, très arbitrairement, « l'oral dans l'écrit », il n'en conserve pas moins un langage littéraire. Son vocabulaire choque (il a été le premier à employer les mots les plus orduriers, les invectives les plus tranchantes), mais il se recompose dans un flux qui transcrit la coulée de la vie dans sa discontinuité et sa trivialité. Créateur d'un style, il influence notamment Henri Miller, et Sollers jusqu'au pastiche. Objet de nombreuses études, son œuvre et sa vie suscitent un intérêt qui est loin d'avoir épuisé le sujet, tant ses contradictions ont su résister aux nécessaires réductions de la critique professionnelle, interrogeant, entre autres, son rapport à la médecine, à la psychiatrie, à la stratégie littéraire et au discours antisémite.