Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Liban (suite)

Liban francophone

Le Liban est depuis longtemps largement ouvert à la culture française. Au XVIe s., deux Libanais enseignèrent à Paris au Collège royal : Gabriel Al-Sahyuni et Ibrahim Al-Haklani. Dès le XVIIIe s., des missions françaises créèrent des établissements d'enseignement au Liban, suivies par les jésuites (1839) et, en 1909, par la Mission laïque française. Si l'arabe est la langue officielle de la République libanaise, de nombreux écrivains ont choisi le français pour s'exprimer. Dès 1910, les poèmes et les drames romantiques de Chekri Ganem (1861-1929) révèlent une littérature nourrie de légendes nationales.

   Après la Première Guerre mondiale, le poète Charles Corm (1894-1963) crée la Revue phénicienne (1920), exalte le patriotisme libanais dans la Montagne inspirée (1934) et anime le mouvement littéraire et artistique de son pays ; à côté de lui, Jacques Tabet, Elie Tyane, Hector Klat et Michel Chiha (1891-1954) donnent une couleur nouvelle aux traditions de la poésie française et chantent la fraternité entre les chrétiens d'Orient et ceux de France. Après 1945, la réputation de Georges Schéhadé s'impose : sa poésie harmonise l'héritage des maîtres arabes et français ; il gagne l'audience du grand public par des œuvres théâtrales, d'abord humoristiques puis plus inquiètes (Monsieur Bobb'le, 1951 ; les Violettes, 1960). Ceux des poètes qui restent fidèles au vers traditionnel le manient souvent à la perfection, tel le subtil Fouad Gabriel Naffah (la Description de l'homme, du cadre et de la lyre, 1963). La poésie libanaise reste très vivante avec Etel Adnan (née en 1926), Salah Stétié (né en 1929), qui a dirigé l'hebdomadaire l'Orient littéraire et publié de nombreux essais critiques, Nadia Tuéni (1935-1983), Vénus Khoury-Ghata (née en 1938), Fouad El-Etre (né en 1942), Marwan Hoss (né en 1948) et Michel Cassir (né en 1952). Le genre romanesque est à son tour fort bien représenté, avec des écrivains de talent, dont notamment Fardj Allah Ha'ik, auteur de la trilogie des Enfants de la terre (1948-1951), inspirée de l'existence des montagnards libanais ; Amin Maalouf, prix Goncourt en 1993 avec le Rocher de Tanios ; Dominique Eddé (Lettre posthume, Gallimard 1986), ainsi que Sélim Nassib (né en 1946) et Alexandre Najjar (né en 1967).

Libanios

Rhéteur grec (Antioche 314 – v. 393 apr. J.-C.).

Après avoir enseigné à Constantinople, notamment, il fonda à Antioche une école réputée qui compta parmi ses élèves saint Jean Chrysostome, saint Basile et le futur empereur Julien, sur lequel il exerça une grande influence. Ses œuvres, discours et lettres (plus de 1 600 conservées) présentent la défense de l'hellénisme classique face à la pensée chrétienne (Éloge d'Antioche, Sur le Soleil Roi, Sur la Mère des dieux).

libertinage

Les libertins du XVIIe siècle

C'est au jésuite Garasse, dans la Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps (1622), que l'on doit l' « invention » du nom de libertin. Non que le mot n'ait pas eu jusqu'alors d'existence, mais il désignait, dans la pensée de Calvin en particulier, des dissidents spirituels. Sous la plume du jésuite, il désigne les impies, les disciples d'Épicure et tous les esprits qui mettent en doute les vérités révélées et revendiquent, au nom de l'indépendance de la pensée, le droit à l'incrédulité. C'est le Cabinet satyrique ou Recueil parfaict des vers picquants et gaillards de ce temps, tiré des secrets cabinets des sieurs Sigogne, Régnier, Motin, Berthelot, Maynard, et autres des plus signalés poètes de ce siècle (1618) qui déclenche les foudres du père jésuite : cette anthologie de la poésie satirique et licencieuse est aussi un recueil de vers licencieux de Des Yveteaux, de Ronsard et de Du Ryer. La plupart des satires sont dirigées, en termes crus, contre les normes morales en vigueur ; poèmes licencieux, franchement obscènes, épicuriens constituent l'essentiel de ce recueil dont trois éditions augmentées parurent en 1619, 1623 et 1666. La dénonciation extrêmement violente de Garasse lui vaudra de déclencher ce que l'on a appelé la « querelle de la raillerie chrétienne », François Ogier reprochant au père d'avoir usé d'invectives, de railleries vulgaires et violentes et d'avoir ainsi échappé à la politesse et à la bienveillance au nom de laquelle le père était censé écrire.

   Il reste qu'un groupe de libertins a bien existé durant la première moitié du XVIIe siècle : Théophile, des Barreaux, Chouvigny, Saint-Pavin et tous ceux que les travaux de Frédéric Lachèvre et de René Pintard ont mis au jour, témoignent – dans leurs poésies, dans leurs chansons – d'une critique violente, souvent scandaleuse des normes religeuses, morales et sexuelles en vigueur dans la société de leur temps. Si on a pu faire des libertins les héritiers des goliards du Moyen Âge, ils se rattachent directement aux pyrrhoniens du XVIe s., comme Montaigne et Charron. Ils s'appuient souvent sur une érudition profonde et une curiosité scientifique hardie : dans ces domaines, leurs maîtres sont Gassendi et Gabriel Naudé. Les influences de Lucrèce et des Padouans se mêlent dans l'anonyme Theophrastus redivivus (1659), expression d'un athéisme matérialiste qui transformera l'épicurisme ataraxique de Gassendi en recherche active du plaisir chez un Saint-Évremond ou un Vauquelin des Yveteaux.

   La justice poursuivit tous ceux qui n'hésitèrent pas à pratiquer ouvertement des comportements illicites ou à dire publiquement leur pensée. Certains le paieront cher, comme Théophile qui mourra d'épuisement après un très long procès, ou comme Claude le Petit, brûlé en place de grève en 1661 pour avoir publié un Bordel des Muses (dont l'original n'a pas encore été à ce jour découvert dans sa totalité). Pour échapper à la censure et aux poursuites judiciaires, la plupart des auteurs durent employer une écriture dissimulée, souvent ironique, à double entente. Les « déniaisés », comme ils s'appelaient, ou les « esprits forts » s'adressent de toutes façons à ceux qui peuvent les entendre et non à la masse crédule du vulgaire : cette double énonciation, qui suppose une aristocratie de l'esprit, forte de la raison, débarrassée des opinions, des superstitions et de la crainte, a permis à nombre de libertins de passer pour conformistes, au point d'ailleurs de tromper encore certains critiques contemporains.

   L'historiographie depuis la fin du XIXe siècle a toujours dissocié un libertinage érudit, philosophique, digne d'étude et d'attention, qui regrouperait les Naudé, La Mothe de la Vayer, Cyrano, Gassendi, d'un libertinage de mœurs, scandaleux, obscène, aux pratiques sexuelles déviantes. En fait, ce partage, très idéologique, ne tient pas compte du lien étroit qui relie la critique philosophique de la critique morale et qui fait de la sexualité l'un des centres de cette attitude critique. Il suffirait, pour s'en convaincre, de relire à la lueur de l'École des filles (texte libertin immédiatement interdit) la célèbre École des femmes de Molière et la querelle pour obscénité qui a suivi sa représentation. La défense de l'homosexualité et, en général d'une sexualité débarrassée des interdits religieux et sociaux, est au cœur de l'attitude libertine philosophique. Blasphème et irreligion, scandale sexuel et discours philosophique se conjuguent dans le libertinage du XVIIe siècle, comme le montrent les plus récents travaux dans ce domaine. 

Le libertinage au XVIIIe siècle

Les courants intellectuels qui constituent le libertinage du XVIIe s. se poursuivent au siècle suivant, mais tandis que les Lumières assument l'héritage de la libre pensée, le libertinage devient essentiellement mode de vie, conduite privée. Ce libertinage comme goût de la séduction et mise en scène de l'amour selon un code précis s'épanouit sous la Régence. À cette époque se répandent les termes de la famille de roué, « digne de la roue », par lesquels les libertins se désignent eux-mêmes. La recherche du plaisir se double d'une volonté d'indépendance morale, de scandale ou même de malfaisance. Le libertinage se développe durant tout le siècle, à la rencontre de la libération intellectuelle et philosophique qui caractérise l'âge des Lumières, et du raffinement mondain qui marque la vie de cour. Il constitue une vaste littérature qui va du licencieux au pornographique, du « gazé » à l'explicite et dont la diffusion est tantôt officielle, tantôt clandestine. Le libertinage côtoie la politique dans le genre du pamphlet, qui fleurit durant tout le siècle et dénonce les mœurs des gens en place, hommes et femmes de cour, sans épargner la famille royale. Le Régent y est accusé d'inceste avec sa propre fille, Louis XV, d'orgies systématiques, Louis XVI, d'impuissance. À la veille de la Révolution, Marie-Antoinette focalise toute une production pamphlétaire qui se répand après 1789. Des brochures révolutionnaires décrivent avec complaisance les mœurs dissolues de l'aristocratie.

   Le genre principal du libertinage est le roman. Certains se contentent d'évoquer librement les rencontres et les étreintes qui forment le mode d'existence de certaines élites du temps, d'autres analysent la systématisation de cette vie à partir de principes et d'une volonté de puissance auxquels les critiques parfois réduisent le libertinage proprement dit. Le promoteur en est Crébillon fils, qui lance ses jeunes héros dans le monde où ils sont pris en charge par un roué ou une rouée, et dont ils apprennent les règles du jeu. Dans l'espace clos des salons et des boudoirs, ils expérimentent leur savoir et leur pouvoir de séduction, ils établissent un savant dosage de bienséances et d'audace, et manient avec art le langage. Ils collectionnent naïves et femmes du monde, libertines et vertueuses. Aux Égarements du cœur et de l'esprit succèdent les nombreux autres titres de Crébillon fils, les Confessions du comte de *** de Charles Pinot Duclos, les Malheurs de l'inconstance de Dorat, Thémidore de Godard d'Aucourt. La nouvelle attribuée à Vivant Denon, Point de lendemain, résume en une vingtaine de pages les lois du genre. Celui-ci culmine, grâce à la maîtrise de la technique épistolaire et à l'ironie, dans les Liaisons dangereuses de Laclos, sans que le lecteur sache jusqu'où va le libertinage et où commence sa dénonciation. Valmont et Merteuil, par leur lucidité et leur absence de scrupules, sont devenus des figures emblématiques du libertinage, et la présidente de Tourvel, le symbole de la victime, vouée au malheur et à la mort. Le système se défait et les principes s'oublient dans le Faublas de Louvet de Couvray, où le héros n'est qu'un séducteur passif, larmoyant et moralisant, et chez Nerciat, qui décrit une franc-maçonnerie du plaisir et pour qui l'acte érotique n'est pas prise de possession. Il en va de même chez Mirabeau, qui occupe ses loisirs de prison en rédigeant des romans érotiques, ou chez Casanova, dont les Mémoires accumulent les figures féminines et des scènes de séduction qui ne sont pas actes de pouvoir. La recherche du plaisir rencontre la tradition anticléricale et la satire des couvents dans le Portier des chartreux attribué à Gervaise de La Touche ou dans la Capucinade de Nougaret. Elle a le pittoresque des parades et des contes en vers dans Margot la ravaudeuse de Fougeret de Montbron ou dans l'Histoire de M. Guillaume cocher de Caylus. Elle se perd dans le délire personnel chez Restif de La Bretonne, chez qui les obsessions de l'inceste et de la procréation étouffent la séduction, et chez Sade, dont les romans substituent aux règles de la mondanité la brutalité nue du désir animal et aux figures du libertinage la boucherie des tortures.

   Il est difficile d'assigner un sens idéologique à ce libertinage multiforme, le plus souvent aristocratique et parfois imaginairement populaire. L'audace érotique peut se conjuguer avec le conformisme politique et le roman s'achever par un retour aux bonnes mœurs et à l'ordre. Elle peut également s'accompagner d'une radicalité philosophique, qui frappe dans Thérèse philosophe, attribuée au marquis d'Argens. La leçon d'amour y est inséparable de la leçon de philosophie. La sexualité devient le modèle d'un univers matériel régi par les lois de l'attraction. La leçon est politique grâce à la transposition exotique dans un décor oriental avec les Lettres persanes de Montesquieu ou les Bijoux indiscrets du jeune Diderot. La séduction comme affirmation d'un pouvoir peut devenir le symbole d'une société oppressive et coercitive, d'un système politique condamnable. L'image que le XIXe s. a gardée du libertinage du XVIIIe est faite de ces aspects contradictoires : libertinage à la fois aristocratique et philosophique, symptôme de l'Ancien Régime aussi bien que des Lumières, ce qui a permis à Baudelaire d'affirmer que la Révolution avait été faite par des voluptueux.