Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Lopes (Fernão)

Écrivain portugais (vers 1384 – apr. 1459).

« Tabellion général », puis « garde des écritures » des archives nationales, sous les règnes de trois rois, il ne fut remplacé qu'en 1454, à cause de son grand âge, par Gomes Eanes de Zurara. C'est sous le règne de Jean Ier qu'il fut chargé d'écrire la Chronique générale du royaume de Portugal. Il commença par remanier et par compléter par les sources documentaires auxquelles il avait accès les histoires des rois portugais incluses dans la Chronique générale de l'Espagne de 1344, en ayant parfois recours à d'autres sources comme des épitaphes, des sermons, des lettres. Son souci, exposé dans la préface de la Chronique de Jean Ier, est d'établir la « vérité » historique en présentant différentes versions du même événement, et en recherchant les origines historiques. Il associe l'histoire politique et économique à l'intérêt pour la psychologie individuelle ou collective et excelle dans la description des mouvements de masse.

Lopes (Henri)

Homme politique et écrivain congolais (Léopoldville 1937).

Ministre de l'Éducation nationale, des Affaires étrangères, Premier ministre (1973), puis directeur général adjoint de l'Unesco, il mène de front carrière politique et écriture. Il est l'auteur de nouvelles (Tribaliques, 1971) dans lesquelles il se montre un observateur attentif de la société africaine au lendemain des indépendances. Il poursuit, dans ses romans, une réflexion ironique sur le problème de l'émancipation de la femme en Afrique (la Nouvelle Romance, 1976), sur les rapports des intellectuels et du pouvoir (Sans tam-tam, 1977) et sur sa propre écriture, dans le Pleurer-rire (1983), roman à structure complexe qui raconte l'histoire d'un dictateur par la voix de son maître d'hôtel. Après le Chercheur d'Afriques (1990), autobiographie romancée sur le thème du métissage (Henri Lopes est lui-même métis), paraît Sur l'autre rive (1992), histoire d'une femme peintre que le poids des coutumes africaines force à s'exiler en Guadeloupe. Toujours centré sur les questions du métissage et de l'identité, le Lys et le flamboyant (1997) raconte l'histoire d'une diva.

López de Úbeda (Francisco)

Écrivain espagnol (Tolède, fin XVIe – début XVIIe s.).

Médecin évoluant dans les milieux de la cour, il publia en 1605 un roman picaresque, La Pícara Justina, premier livre où le rôle de picaro est tenu par une femme, autobiographie fictive pleine de références à l'actualité (notamment aux intrigues de la cour de Philippe III), parodiant les prétentions didactiques d'Alemán et marquant le passage de l'esprit de la Renaissance au baroque.

Lorrain (Paul Duval, dit Jean)

Écrivain français (Fécamp 1855 – Paris 1906).

« Je cherche à m'élancer hors de ma personnalité, hors de mon siècle », écrivait-il : par leur nature, ses « évasions » (drogue, alcool, dandysme radical, homosexualité, violence verbale autant que physique), présentées comme affirmations esthétiques, en font un des héritiers des frénétiques autant qu'une des meilleures illustrations du décadentisme. De son œuvre abondante on retiendra moins la poésie que les récits (Monsieur de Bougrelon, 1897 ; Histoires de masques, 1900 ; Monsieur de Phocas, 1901 ; la Maison Philibert, 1904, qui évoque l'univers de Toulouse-Lautrec), dont certaines trouvailles fascineront les surréalistes. Dans son refus de se plier aux conventions tant sexuelles que sociales, Lorrain, adepte d'un style recherché au risque souvent de la préciosité, y invente un merveilleux aussi noir que pervers qui, longtemps méprisé, rencontre aujourd'hui des échos renouvelés.

Lorrains (Cycle des)

Garin le Lorrain et Gerbert de Metz (fin XIIe s.) sont le noyau originel d'un cycle qui développe sur quatre générations de héros (les deux suivants sont Hervis de Metz et Anséis de Metz) les luttes féodales entre les Lorrains et les Bordelais sous Pépin le Bref, bien que ce cycle, entièrement imaginé, ne se rattache à aucun événement historique précis. Les caractéristiques essentielles en sont la violence des situations, leur extrême diversité, qui renouvelle la thématique épique, la représentation aussi brutale que réaliste qui est donnée des mœurs féodales. Comme dans Raoul de Cambrai, le pouvoir royal reste impuissant à arrêter l'enchaînement des vengeances qu'entretient la farouche solidarité de lignages. Garin le Lorrain est la plus ancienne et la plus importante chanson du cycle et relate d'abord les exploits de Garin et de son frère Bégon contre les païens, puis les débuts des hostilités entre le lignage des Lorrains et celui des Bordelais, mené par Fromont. L'assassinat de Begon entraîne une nouvelle cascade de violences et d'exactions, dont le meurtre de Garin dans une chapelle, alors qu'il est venu négocier la paix. Cette première chanson qui, comme Gerbert, a eu une très grande diffusion, ne parvient pas à mettre fin aux luttes féodales qui se poursuivent dans Gerbert de Metz. Gerbert s'achève cependant sur la mise à mort des traîtres tandis que les héros survivants, comme Gerbert, sont récompensés des luttes qu'ils ont aussi menées pour la défense de la chrétienté.

Lortkipanidze (K'onst'ant'ine Aleksandres dze)

Écrivain géorgien (Didi Djixaichi, rég. de Samt'redia, 1905 – Tbilisi 1986).

Il aborde la nouvelle réalité sociale dans des récits comme la Mousse (1927) ou la Première Mère (1928), consacre une suite romanesque à la collectivisation (À bas la république du maïs !, 1931) et un autre roman à la vie actuelle dans les campagnes (la Pierre aux souhaits, 1955-1965).

Loti (Julien Viaud, dit Pierre)

Écrivain français (Rochefort 1850 – Hendaye 1923).

Les voyages de Julien Viaud, qui ramena de Tahiti le surnom de Loti (ce fut d'abord le nom du personnage chargé de le représenter avant de devenir son nom d'écrivain), ne furent pas intérieurs ; pourtant les pays lointains, découverts pendant quarante ans de carrière dans la marine, restent sous la plume du romancier des pays de rêve. Plus que l'amour de l'officier pour la jeune autochtone (Aziyadé, 1879 ; le Mariage de Loti, 1880, deux livres publiés anonymement), le thème central de cette œuvre faussement limpide est celui d'une tristesse désabusée, que le pittoresque exotique ne parvient pas à chasser. L'Afrique (le Roman d'unspahi, 1881), l'Orient (les Désenchantées, 1906), l'Extrême-Orient (Mme Chrysanthème, 1887), ou ces régions à la fois proches et lointaines que sont la Bretagne (Mon frère Yves, 1883 ; Pêcheur d'Islande, 1885) ou le Pays basque (Ramuntcho, 1897) n'y peuvent rien : l'immersion dans l'ailleurs est toujours imparfaite, la constitution d'une nouvelle identité toujours impossible. En effet, malgré son désir d'oublier l'Occident, le héros-Loti est condamné à l'éphémère, à l'inutile superposition de tableaux colorés, à la répétition de l'amour trop fidèle et trop tendre d'une indigène, à travers laquelle il cherche l'essence d'une contrée – et en ce sens les ouvrages de Loti (l'Inde sans les Anglais, 1903) ne reflètent pas comme ceux de Kipling l'idéologie d'un colonisateur. Auteur à succès, goûté par un public féminin charmé par son sentimentalisme aimable, Loti a ressassé la même intrigue peu élaborée, accumulé les mêmes personnages dans une langue infiniment suggestive, un lexique simple, sans recherche et une syntaxe sans effet. Son art spontanément impressionniste dépasse cependant la recette du roman exotique. Est-ce parce que plane sur l'œuvre cette angoisse de la mort, qui la situe dans le courant décadent ? En réalité, ces récits suggèrent la recherche des origines, d'un monde primitif plus pur. Le corps-paysage de la femme étrangère ne saurait combler la nostalgie de l'enfance et de la mère (le Roman d'un enfant, 1890 ; Prime jeunesse, 1919). Les purs récits de voyages (depuis Au Maroc [1890] jusqu'à Un pèlerin d'Angkor [1912] en passant par Fantôme d'Orient [1892] ou Vers Ispahan [1904]) correspondent mieux à la sensibilité contemporaine qui a aussi découvert son journal, source de l'œuvre tout entière (Cette éternelle nostalgie, 1997 ; Soldats bleus, 1998). À la suite de Roland Barthes préfaçant Aziyadé (1972), le lecteur actuel lit Loti autrement, comme un écrivain singulièrement moderne : insignifiance de l'intrigue, pouvoir du verbe, trouble de l'identité.