Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Grèce (suite)

La philosophie

Dès l'époque archaïque, les philosophes présocratiques ont été des explorateurs de l'ordre du monde et de ses lois, politiques et mathématiciens, comme Thalès de Milet (VIIe-VIe siècle av. J.-C.) : souvent cité parmi les Sept Sages, pour avoir prévu une éclipse de soleil et comme l'homme qui tombe dans un puits parce qu'il observe le ciel, selon la tradition, ce personnage aux compétences multiples (Hérodote, I, 74-5 ; 170), n'a rien écrit. Les présocratiques montrent la richesse de la pensée grecque ; ce sont les Milésiens, enquêteurs ioniens (VIIe-VIe s.), premiers « philosophes de la nature », ou phusikoi (« physiciens ») – pour emprunter selon l'habitude à une terminologie postérieure – qui cherchent l'archè du monde, à la fois début et principe régulateur du développement interne dont il permet l'explication, Pythagore ou Héraclite d'Éphèse (VIe-Ve s.), Parménide, philosophe de l'Être, Empédocle, Anaxagore, proche de Périclès, l'un de ces cosmologues ou « météorologues » (de météora, phénomènes célestes) moqués par Aristophane et accusés d'impiété, Démocrite, l'atomiste (Ve s.). Enfin, il faut citer les sophistes, les penseurs du Ve siècle. De tous ces auteurs nous avons conservé des fragments. Au IVe siècle, Platon et Aristote marquent une étape dans l'histoire de la philosophie ; ils évoquent la figure de Socrate, dont les disciples sont aussi les « petits socratiques », les mégariques (Euclide de Mégare, Eubulide de Milet, Diodore Cronos, Stilpon, IVe s.), les cyrénaïques (Aristippe, v. 435-350, Hégésias, Annicéris et Théodore de Cyrène) et les cyniques. L'époque hellénistique voit encore naître le stoïcisme, l'épicurisme et le scepticisme.

Les philosophes présocratiques et les sophistes

Disciple de Thalès, Anaximandre (vers 610-v. 545 av. J.-C.) s'est intéressé à l'origine des espèces, à la description du monde (on lui attribue la première « carte » ionienne), à l'astronomie ; il donne comme principe de toute chose l'Illimité et pose une loi de régularité cosmique, un système de dommage et de réparation. Anaximène (vers 585-v. 525), le dernier des Milésiens, admet l'air comme principe unique. Avec Pythagore (vers 580-v. 497), la pensée philosophique se déplace vers la Grande Grèce. Né à Samos, il s'installe à Crotone ; la vie de ce thaumaturge aux pouvoirs divins, fondateur d'une école qui est aussi une communauté politique et religieuse, est l'objet d'une riche tradition (les Vers d'or qu'on lui attribuait sont datés du IVe siècle apr. J.-C.). Le pythagorisme unit mysticisme, physique, mathématique, cosmologie et musique à une théorie de l'âme et de la métempsycose et à la conception de l'harmonie de l'univers. On peut citer parmi les pythagoriciens Alcméon de Crotone, phusikos et médecin, et, au Ve siècle, Ion de Chios, auteur tragique, poète lyrique et auteur des Triagmes, où il donne une cosmogonie ; Damon, le musicien, auquel Platon fait référence (en particulier République IV, 424 c) ; Hippodamos de Milet, architecte, connu pour le plan géométrique lié à l'harmonie politique qu'il donnait aux villes ; Philolaos de Crotone ou Archytas de Tarente, ami de Platon, politique, inventeur et auteur de nombreux ouvrages. Pythagore fut la cible des critiques de Xénophane de Colophon (vers 580-v. 480), dont il nous reste des fragments d'élégies ou des hexamètres ; observateur et enquêteur, il met l'accent sur la distance qui nous sépare du divin et pose le problème de la connaissance. L'influence d'Héraclite (vers 540-v. 480) sur la pensée grecque a été considérable. Dans son traité De la nature, le philosophe que les Anciens appelaient l'« Obscur » articule le changement universel sur un ordre réglé et immuable des choses où les contraires se combinent sans cesse. Au Ve siècle, les Éléates, Parménide, auteur d'un poème Sur la nature, ou Zénon posent l'unité de l'Être éternel et immuable ; Empédocle d'Agrigente (vers 490-v. 435), médecin et thaumaturge, met à l'origine du monde quatre éléments et deux puissances, Amour et Haine ; Anaxagore de Clazomènes (vers 500-v. 428) y met le Nous, l'Intellect ; Diogène d'Apollonie donne une cosmogonie qui emprunte à plusieurs de ses prédécesseurs, notamment à Anaxagore et à Leucippe. On doit à Leucippe et à Démocrite la théorie de l'atomisme.

   Le Ve siècle est encore marqué par le mouvement sophistique ; les principaux sophistes sont Protagoras d'Abdère (vers 490-v. 420), Gorgias de Léontinoi (vers 485-v. 380), Prodicos de Céos, Hippias d'Élée, Antiphon, Thrasymaque. À côté de témoignages, de fragments parfois d'œuvres de ces auteurs, nous avons deux textes anonymes, les Dissoi Logoi (Discours doubles) et l'Anonyme de Jamblique. C'est par Platon qu'on connaît surtout les sophistes, qui se déplacent de cité en cité, se font payer fort cher pour enseigner la rhétorique et former les jeunes gens, et donnent aussi des « conférences » (epideixis). Platon met en scène des adversaires plus que des interlocuteurs de Socrate, chez qui il critique l'intéressement, la prétention à une connaissance sans fondement, l'usage d'une rhétorique que les Nuées d'Aristophane ont caricaturée, la prétention de la plupart d'entre eux à enseigner la vertu, l'« excellence » qui assure le succès ; il associe souvent les sophistes au régime démocratique, dont le mythe du Protagoras (320 c-322 d) est un mythe fondateur. La critique s'intéresse désormais chez ces auteurs à une réflexion qui touche aux problèmes philosophiques, porte sur le langage et sur l'être ou sur le discours et son statut, comme c'est le cas du traité Du non-être ou De la nature, de l'Éloge d'Hélène et de la Défense de Palamède de Gorgias. Au Ier et au IIe s., dans le monde gréco-romain, s'épanouit une seconde sophistique, à partir des écoles rhétoriques d'Asie Mineure (Dion Chrysostome, Ier s. apr. J.-C., Favorinus d'Arles, Hérode Atticus, Aelius Aristide, IIe s.). Le mouvement est fort différent de la première sophistique.

Les cyniques

Antisthène, proche de Socrate, auteur de discours d'apparat, sans doute le maître de Diogène de Sinope, apparaît comme le fondateur du cynisme, dont le nom vient, avec un jeu sur le nom du chien en grec, du gymnase du Cynosarge. Diogène est célèbre pour ses provocations, pour ses mots et pour l'ascèse, dont il montra le modèle à Athènes et par laquelle le philosophe s'affranchit de la civilisation et des contraintes qui pèse sur l'homme. On doit au cynisme, qui reste vivant jusqu'au Ve siècle apr. J.-C., la forme littéraire de la diatribe et la satire (Ménippe de Gadara, 1re moitié du IIIe s. av. J.-C.).

Scepticisme, épicurisme et stoïcisme

Le scepticisme, qui conteste la possibilité de la connaissance et prône la suspension du jugement (epochè) pour accéder au bonheur dans la tranquillité de l'âme, remonte à Pyrrhon d'Élis (vers 365-v. 275), dont rien ne nous est parvenu, et que nous ne connaissons que par le témoignage de son disciple Timon de Phliunte (vers 275-v. 230), qui raille dans les Silles, conservés par fragments les autres doctrines philosophiques. La doctrine sceptique trouve un renouveau avec le néopyrrhonisme d'Énésidème (Ie s. av. J.-C.) ou d'Agrippa, dont les œuvres sont perdues, et surtout avec Sextus Empiricus, médecin et compilateur, auteur des Hypotyposes pyrrhoniennes (IIe s. apr. J.-C.) et du Contre les mathématiciens. Épicure (341-270) a fondé à Athènes le Jardin, où il enseigna une doctrine dont il revendique l'originalité. Nous avons conservé de lui des Lettres, les Maximes capitales (Kuriai doxai) et les Sentences, enfin les fragments d'un traité De la nature en 37 livres. La philosophie d'Épicure comprend une physique où l'on retrouve l'atomisme, les atomes et le vide, le mouvement et le hasard qui le gouverne, une théorie de la connaissance, ou canonique, et une éthique. L'épicurisme entend aboutir au bonheur des hommes, délivrés de la crainte par la connaissance, par le choix des plaisirs qui mènent à l'absence de souffrance. Le Jardin demeure jusqu'au IIIe siècle apr. J.-C., et l'on peut citer parmi les épicuriens, outre Lucrèce à Rome, Colotès de Lampsaque (IIIe s. av. J.-C.), à qui Plutarque répond dans le Contre Colotès et qui s'oppose à l'Académie et au stoïcisme, Philodème de Gadara (Ier s. av.-Ier s. apr. J.-C.) ou Diogène d'Oenanda (IIe s. apr. J.-C.).

   On donne au stoïcisme plusieurs fondateurs : Zénon de Citium (vers 334-262), élève du cynique Cratès, disciple de Diogène puis des mégariques Stilpon et Diodore Cronos, et du platonicien Polémon à Athènes, a enseigné dans le Poecile, la Stoa Poikilè, d'après laquelle sont nommés les stoïciens, philosophes du Portique. Cléanthe d'Assos (vers 331-230), auteur de l'Hymne à Zeus, lui succéda à la tête de l'école, en 262, avant Chrysippe de Soles (vers 280-v. 206) ; le système stoïcien qui lie physique, logique et éthique, montre la solidarité des éléments de l'univers réglé par la raison. Ainsi, le philosophe peut définir un art de vivre qui s'appuie sur la connaissance et sur la soumission aux lois de la nature. Diogène de Babylone, Cratès de Mallos, Antipater de Tarse, Panétius de Rhodes (vers 180-110), Posidonius d'Apamée (vers 135-51), qui enseigna à Rhodes, sont les auteurs du moyen stoïcisme, dont nous n'avons que des fragments. Le stoïcisme de l'époque romaine impériale s'incarne ensuite dans les grandes figures de Sénèque, d'Épictète ou de Marc Aurèle.