Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
E

Elytis (Odysséas)

Poète grec (Héraklion, Crète, 1911 – Athènes 1996).

Influencé, à ses débuts, par le surréalisme français, et surtout par Eluard et Breton (Orientations, 1940 ; Soleil premier, 1943), il est ensuite profondément marqué par l'expérience de la guerre (Chant héroïque et funèbre pour le sous-lieutenant tombé en Albanie, 1945). Suit alors un long silence rompu par deux recueils, Six plus un Remords pour le ciel et, surtout, Axion esti (1960). Si le premier conserve toute la thématique égéenne qui lui est chère, avec la lumière, la sensualité, le goût de la nature source d'éternel émerveillement, Axion esti est un poème-somme, qui exploite toutes les ressources de la langue grecque, et notamment de la langue de l'hymnographie byzantine. Les recueils ultérieurs d'Elytis (l'Arbre lucide et la quatorzième beauté, 1971 ; Marie des Brumes, 1978 ; Trois Poèmes sous pavillon de complaisance, 1982) montrent chez le poète un souci croissant de l'univers contemporain, souci que consacre le prix Nobel en 1979.

Emants (Marcellus)

Écrivain hollandais (Voorburg 1848 – Baden, Suisse, 1923).

Son cosmopolitisme prépara la voie au naturalisme de la revue De Nieuwe Gids. Pénétré d'un pessimisme à la Schopenhauer, à la fois cynique et désespéré, il chercha son inspiration dans la Bible et les légendes nordiques (Lilith, 1879 ; le Crépuscule des dieux, 1884 ; Loki, 1906). On lui doit aussi des drames de tonalité romantique et des romans en partie autobiographiques (Confession posthume, 1894 ; la Cinquantaine, 1899 ; Initiation, 1901).

Embirikos (Andréas)

Psychanalyste et poète grec (Braila, Roumanie, 1901 – Athènes 1975).

Embirikos est le surréaliste grec par excellence. Il introduit en Grèce l'écriture automatique avec Haut Fourneau (1935), recueil de poèmes en prose dans une langue mêlant la démotique et la katharévoussa. Il revient ensuite à une écriture plus traditionnelle, tout en laissant une large place à l'érotisme et au rêve (Arrière-Pays, 1945 ; Mythologie personnelle, 1960 ; le Grand Oriental, roman érotique fleuve, 1990).

emblème

Née en Italie dans la seconde moitié du XVe s. d'une interrogation sur les figures qui ornaient les médailles romaines et sur les hiéroglyphes égyptiens des obélisques de Rome, la vogue des emblèmes gagna, au XVIe s., l'Europe entière. L'emblème était calqué sur la structure présumée de l'hiéroglyphe. Il comprenait trois éléments : une image (le « corps » de l'emblème), un intitulé (sentence ou simple titre qualifiant l'image) et un texte plus développé qui explicitait la portée didactique ou morale de l'image (ces deux derniers composants formant l'« âme » de l'emblème). Les recueils d'emblèmes furent très nombreux dans l'Europe de la Renaissance. Le premier fut les Emblemata de l'Italien Alciat, dont l'édition française parut en 1534 ; en France, les plus fameux furent le Théâtre des bons engins de G. de La Perrière (1539) et l'Hécatomgraphie de G. Corrozet (1540). La vogue des emblèmes fut telle que la plupart des imprimeurs européens adoptèrent l'emblème comme marque de fabrique ; l'un des plus célèbres fut celui que choisit l'imprimeur vénitien Alde Manuce : un dauphin enlaçant une ancre. Beaucoup de ces emblèmes étaient fondés sur un jeu sur le propre nom de l'imprimeur : ainsi É. Dolet choisit-il comme emblème la doloire (la hache), G. Corrozet une main étendue tenant un cœur qui entourait une rose (cor-rozé).

Emerson (Ralph Waldo)

Philosophe et écrivain américain (Boston 1803 – Concord, Massachusetts, 1882).

Pasteur de l'Église unitarienne, il renonce au sacerdoce, mais conserve, de son Église, l'idée d'une réflexion religieuse libre, d'un christianisme antidogmatique et anticalviniste. Lié au romantisme anglais (il rencontre Coleridge et Carlyle), influencé par Kant et par l'idéalisme allemand, il s'installe dans le village de Concord, qui devient le centre de la renaissance intellectuelle de la Nouvelle-Angleterre. Autour de lui se rassemblent A. M. Alcott, Hawthorne, Henry Thoreau, Elizabeth Peabody, Margaret Fuller, G. W. Curtis, G. Ripley ; ils éditent le Dial (1840-1844). Dans Nature (1836), l'Érudit américain (1837), Adresse à l'école de théologie (1838), Essais (1841), De grands hommes (1850), Caractéristiques anglaises (1856), Art de vivre (1860), ses poèmes et son journal en dix volumes, Emerson exprime une pensée antirationaliste, antisensualiste, antidéterministe : anarchisme intellectuel qui commande un lien direct avec Dieu et une religion du cœur, ainsi qu'une idéologie de la confiance qui fonde la foi dans le devenir américain. Ce « transcendantalisme », radical et optimiste, qui allie immanence du divin et évidence de l'âme, débouche sur la recherche d'une relation pratique originale avec l'univers inséparable du libéralisme politique. Il est la composante idéologique et philosophique majeure de la littérature américaine.

Eminescu (Mihai)

Poète et prosateur roumain (Ipotesti, près de Botosçani, 1850 – Bucarest 1889).

À l'image de sa biographie tourmentée – vie de bohème, études irrégulières à Vienne et Paris, précarité matérielle, mort précoce due à une maladie mentale –, son œuvre le situe parmi les derniers grands romantiques européens. Extrait de son vaste laboratoire d'écriture (plus de 50 000 pages), un seul recueil de poèmes paraît de son vivant (1884), le consacrant en tant que poète national. Influencés par Schopenhauer et la philosophie indienne, construits sur l'opposition irréductible entre l'imperfection du réel et le rêve de l'absolu, ses thèmes de prédilection sont l'amour impossible, la solitude du génie, la nature consolatrice, l'âge d'or opposé à un présent corrompu et vil. Les mêmes motifs se retrouvent dans sa prose fantastique (le Pauvre Dionis, 1972 ; Cesara, 1876) mélangeant l'onirisme à une imagination débordante.

Emmanuel (Noël Mathieu, dit Pierre)

Poète français (Gan, Pyrénées-Atlantiques, 1916 – Paris 1984).

Il donne les plus hautes exigences spirituelles et le sens même de l'être pour horizons à sa méditation, à sa poésie, à ses essais. De formation scientifique, il enseigne (J.-C. Renard sera son élève), lit les mystiques, la Bible, les grands poètes dont Hölderlin, et sonde l'unité du monde (le Goût de l'Un, 1963), qui a pour lui partie liée à l'incarnation du Christ. Dehors du monde et intériorité ne se séparent pas. Deux titres se répondent : Le monde est intérieur (1967) et la Vie terrestre (1976). La lecture de Jouve l'ouvre à l'érotisme et à un questionnement encore plus aigu. Tombeau d'Orphée (1942) est la liturgie d'un irréalisable amour. Dans le Poète et son christ (1942), il s'explique sur « le tourment de Dieu », et dans Sodome (1944), sur « le pêché de nostalgie ». Chansons du dé à coudre (1947) donnent des vers plus brefs mais traversés des mêmes accents inquiets. Tu (1978) dit la seconde personne, et l'Autre (1980), cette présence de Dieu. Qui est cet homme ? (1947, 1970) retrace le parcours d'un poète pour qui la différence des sexes, les conflits entre désir et réalité sont des voies d'approche fécondes.